Archives par mot-clé : classiques du XXe siècle

MAC Créteil : Combat de nègre et de chiens

      La MAC Créteil ouvre sa saison théâtrale avec la création de la pièce la plus énigmatique du répertoire koltésien : Combat de nègre et de chiens présentée dans une mise en scène classique de Mathieu Boisliveau (>), mise en scène singulière en ce qu’elle laisse le spectateur empiéter littéralement sur l’espace de jeu et en ce qu’elle remodèle ainsi le rapport au public en le rapprochant au maximum du jeu physique des comédiens amplement convaincants dans leurs rôles respectifs.

      Les textes de Marie-Bernard Koltès ne cessent de nous fasciner par l’ambiguïté de leur dimension quasi métaphysique ainsi que de résister à toute interprétation décisive. Même Patrice Chéreau, qui a le mérite d’avoir familiarisé les spectateurs avec le théâtre de Koltès, ne pouvait prétendre à détenir la clé exclusive de son décryptage définitif : les premières créations des pièces de Koltès par ce metteur en scène incontournable nourrissent indéniablement les nouvelles, et si elles ont pour un certain temps empêché même d’autres metteurs en scène de s’attaquer au théâtre de Koltès en raison de leur haute qualité dramaturgique et esthétique incontestable, elles sont devenues depuis, en plus des textes proprement dits, des repères indispensables qui servent toujours de points de départ fructueux. Si une comparaison avec Chéreau s’impose toujours, il ne s’agit pourtant absolument pas de rivaliser avec lui : sa dramaturgie accessible à travers ses notes et écrits a désormais une valeur historique qui contribue au travail herméneutique mené sur le théâtre de Koltès. Mathieu Boisliveau, intimement attaché à ce théâtre et aux questions qu’il soulève, a su se frayer son propre chemin pour proposer de Combat de nègre et de chiens une relecture personnelle fondée sur une scénographie hyperréaliste.

Combat de nègre et de chiens, mise en scène par Mathieu Boisliveau, 2022 ©GLM

      Dans le propos imprimé sur la quatrième de couverture (Les Éditions de Minuit, 1989), Koltès insiste sur le fait que son Combat de nègre et de chiens n’est pas une pièce sur l’Afrique, le racisme ou le néocolonialisme — même si l’action est située dans un pays d’Afrique de l’Ouest et qu’elle aborde indirectement la question raciale à travers une confrontation directe entre le noir Alboury venu réclamer le corps de son frère mort et le chef de chantier Horn qui biaise pour le lui livrer. La teneur des dialogues nous persuade en effet qu’un étiquetage précipité pourrait nous induire en erreur et réduire la portée métaphysique des propos : l’action intègre certes des thèmes liés au rapport inextricable entre l’Occident/France et l’Afrique, comme au rapport complexe entre les Blancs et les Noirs, mais les dépasse largement en explorant aussi bien les rapports humains entre les quatre personnages de la pièce que le rapport entretenu par chacun d’eux au monde de manière générale : au travers de leur destin singulier, elle conduit à une confrontation féroce de quatre visions du monde qui ont raison de leur impossible entente au-delà de toutes les différences culturelles, sociales, religieuses ou raciales qui les opposent fatalement. Combat de nègre et de chien se présente comme une sombre ode à la vie dans la mesure où les quatre personnages pris isolément débordent certes d’énergie vitale, mais sans parvenir à concilier leurs aspirations dans un compromis acceptable : leurs errances sur le lieu du chantier africain se soldent par une rupture tragique irrémédiable. La mise en scène de Mathieu Boisliveau tient compte de ces enjeux dramatiques et métaphysiques en campant l’action dans un cadre imprécis à cheval entre un désert et un simple chantier.

      Plusieurs éléments de décor nous déplacent dans un lieu aride du continent africain sans qu’aucun objet explicite ne nous indique pourtant clairement qu’on se trouve en Afrique, si ce n’est ce sable jaune foncé qui recouvre entièrement la scène et qui n’a en fin de compte qu’une valeur métaphorique ambiguë. A jardin, une sorte de cabane faite en tôle ondulée évoque vaguement le caractère provisoire d’un terrain de chantier : à cour, un grand arbre parsemé de fleurs roses introduit dans cette scénographie aride un élément poétique qui contraste curieusement avec le reste. Si plusieurs rangées de spectateurs sont installées derrière ces deux éléments saillants, une table à jardin et une élévation de terrain à cour se trouvent, quant à eux, sur le devant de la scène. Les quatre angles représentent dès lors chacun un endroit symbolique spécifique pour les besoins de la mise en scène tout en contribuant dans le même temps à circonscrire l’espace de jeu dans un cercle ouvert qui semble dessiner une arène : les rangées de spectateurs placées derrière la scène et les gradins qui leur font face renforcent l’impression que l’aire sablée s’apparente à cette terrible arène où les quatre personnages jouent leur propre destin sous les regards ébahis des spectateurs installés dans leur étroite proximité, pris çà et là pour gardiens. L’action proprement dite semble tiraillée entre les quatre points symboliques en se situant au milieu de la scène à ses moments les plus marquants. L’utilisation dramaturgique de l’espace scénique relève ainsi d’une tension esthétique subtile qui répond au vœu de Koltès selon lequel son Combat de nègre et de chiens « parle simplement d’un lieu du monde ».

 

      C’est ainsi que chaque personnage entretient un rapport différent à ce lieu qui les réunit durant quelques heures. Si le chef de chantier Horn et l’ingénieur Cal l’ont investi depuis longtemps, Alboury et Léone le découvrent à l’instant en s’y rendant l’un pour récupérer le corps de son frère, l’autre pour rejoindre son futur époux, Horn. Or, les rencontres conditionnées précisément par un rapport ambigu à cette terre africaine les précipitent les uns les autres dans une catastrophe sanglante précédée d’échanges tendus qui constituent l’action propre de la pièce : des moments empreints aussi bien de violence et d’angoisse que de poésie et d’espoir, amenés par les quatre comédiens à l’aide d’un jeu assuré et entraînant, devenu haletant dès lors que l’étau se resserre et qu’un ultime règlement de comptes semble inévitable. Soulignons à cet égard qu’un subtil travail sur l’éclairage permet d’augmenter l’intensité de ces moments en instaurant des ambiances variées, ce qui est le plus sensible à ces moments exceptionnels où Léone et Alboury trouvent le chemin l’un vers l’autre pour exprimer leur fascination pour la terre africaine tant malmenée par des intérêts économiques et industriels, à ces moments poétiques où la scène est plongée dans une semi-obscurité bleutée et où l’espoir d’une issue non tragique semble encore possible. C’est le personnage de Léone qui représente l’élément le plus lumineux dont la « profanation » symbolique, l’automutilation et la disparition sonnent le glas de compromis devenus in fine impossibles.

Combat de nègre et de chiens, mise en scène par Mathieu Boisliveau, 2022 ©GLM

      Chloé Chevalier s’empare de la création de Léone avec une sensibilité émouvante : si elle lui prête un air de naïveté en lien avec l’origine sociale de cette parisienne débarquée en Afrique, celle-ci nous séduit tant par sa pureté morale que par l’assurance avec laquelle la comédienne défend les aspirations intimes de ce seul personnage féminin. Denis Mpunga, dans le rôle d’Alboury, incarne le versant masculin de Léone en créant un personnage équilibré doué d’une étonnante sérénité et d’une persévérance inébranlable : Denis Mpunga nous persuade dans le même temps que cette posture n’est pas un signe de soumission mais qu’elle traduit la détermination et l’honnêteté pudique d’Alboury. A l’autre bout de l’échelle des valeurs humaines, Thibault Perrenoud prête son corps au cynique ingénieur Cal, âprement attaché au gain et au bien-être : il l’incarne avec une agitation fiévreuse traduisant les frustrations de ce personnage en perte de repères entraînés par une errance stérile qui précipite les autres dans le mal. Pierre-Stefan Montagnier, dans le rôle de l’homme de compromis par excellence, incarne son personnage avec un air de bonhommie tenace en nous convainquant que l’échec des actes bien intentionnés d’Horn est imputable au louvoiement et au manque de fermeté.

     Combat de nègre et de chiens dans la mise en scène de Mathieu Boisliveau est une création entraînante qui tient les spectateurs en haleine pendant les deux heures que dure le spectacle : elle relève d’une relecture personnelle sensible tout en servant le texte de Koltès avec adresse. Elle nous séduit dans le même temps par le jeu maîtrisé des quatre comédiens qui s’approprient leurs personnages avec aisance. C’est un moment intense avec le théâtre de Koltès.

A La Folie Théâtre : Derniers remords avant l’oubli

      La Cie Les Horloges Lumineuses remonte sur les planches avec une nouvelle création présentée dans une mise en scène raffinée d’Olivier Pasquier à À La Folie Théâtre (>) : cette fois-ci, elle s’approprie un classique du XXe siècle Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce (1987).

     Le théâtre de Jean-Luc Lagarce s’empare de la vie des gens ordinaires pour représenter leur quotidien situé dans un hors-temps dramatique. Ses personnages dessinés avec une touche hyperréaliste nous interpellent à travers des tensions qui les hantent sans conduire à une véritable catastrophe tragique au sens classique du terme : il reste quelque chose à régler entre eux, et c’est ce qui les réunit au passage, mais pas inévitablement, sans qu’ils parviennent tout à fait à s’entendre pour trouver un compris. Le théâtre de Jean-Luc Lagarce saisit précisément ces instants délicats qui ébauchent en sourdine une crise profonde : des conversations entamées, juxtaposées par le dramaturge dans leur linéarité, se suivent comme si elles étaient prélevées sur le quotidien des personnages sans nous éclairer entièrement sur les raisons de cette crise susceptible de verser à tout moment dans une catastrophe qui entraîne une rupture définitive. C’est ainsi que des bribes d’un passé évoqué par intermittence s’introduisent dans des échanges sans inscrire pour autant l’action dans un temps historique : tout reste dans un état d’indétermination qui crée un savoureux mystère. Cette indétermination traduit dans le même temps l’échec d’une rationalisation dramatique comme celui d’un arrangement conformiste, rationalisation et arrangement qui sont l’apanage des représentations de la société bourgeoise.

      Dans Derniers remords avant l’oubli, six personnages se réunissent pour régler la question d’un héritage après un temps plus ou moins long qui s’est écoulé depuis leurs dernières entrevues. Pierre, Paul et Hélène, frères et sœur (on le suppose du moins), entretiennent des relations distantes, tandis que les conjoints et une des filles qui les accompagnent se connaissent à peine pour s’être vus à une période indéterminée, ce qui engendre des situations croisées embarrassantes. S’il s’agit de convaincre Pierre de vendre la maison de campagne qu’il occupe moyennent un loyer modéré, Paul et Hélène ne parviennent à parler de la vente de cet héritage qu’indirectement et que pendant quelques moments limités par rapport à l’économie générale de l’action. Les personnages s’empêtrent davantage dans des tirades qui provoquent des réactions succinctes ou conduisent à une sorte de non réponse à la manière de ces personnages tchekhoviens habiles à détourner le propos sur un autre sujet. Le metteur en scène est dès lors invité à transposer cette volonté de ne pas communiquer avec autrui, ce qui est d’autant plus délicat que les personnages comprennent très bien les insinuations proférées à leur égard : Olivier Pasquier s’est précisément appliqué à rendre palpitante cette subtile tension dialectique entre un refus de communiquer et une parfaite entente à demi-mot.

Derniers remords avant l’oubli, mise en scène d’Olivier Pasquier, Les Horloges Lumineuses, 2022

      Olivier Pasquier invente une subtile action scénique grâce à une scénographie constituée de deux espaces perméables propres à fluidifier les multiples changements de scène. L’espace est en effet divisé en deux parties en apparence distinctes qui convergent vers le milieu de la scène en gommant leur prétendue séparation. À jardin, l’intérieur tronqué d’un salon, à cour, un jardin qui semble se prolonger jusque dans les coulisses : d’un côté, un fauteuil vintage entouré d’un guéridon avec des livres et d’une grande lampe à pied, un mur à brique et un autre guéridon avec d’autres livres et une chaîne hi-fi ; de l’autre côté, plusieurs rondins de bois disposés autour d’une table basse, le tout installé devant un faux mur végétal assorti d’un treillage en bois qui dépeint un milieu naturel. Cet agencement symétrique de l’espace scénique situe l’action à deux endroits différents tout en permettant de distinguer les scènes plus intimes déroulées entre les deux frères et la sœur de celles qui réunissent à l’extérieur leurs conjoints et la fille ou la famille tout entière. L’action scénique se coule dès lors entre les deux pôles intérieur/extérieur, comme s’il s’agissait de faire sortir Pierre de la maison, ce qui se solde par un échec d’autant plus flagrant que la famille rassemblée par deux fois dans le jardin se disperse rapidement et que Pierre finira par rentrer.

      Symboliquement Pierre se trouve installé sur le plateau avant le lever du rideau en attendant les autres arriver. Les premières scènes entre Pierre et Paul et Hélène se déroulent ainsi dans le salon, tandis qu’un peu plus loin, celle entre Anne et Antoine est située dans le jardin, où ils font connaissance en installant des chaises et une table camping pour un goûter à venir. D’autres entrées et sorties, d’un lieu à l’autre, se succèdent certes suivant le rythme imposé par le texte, mais de telle sorte que l’action ne s’enlise jamais dans le salon ou dans le jardin, ce qui la rend particulièrement dynamique malgré plusieurs tirades susceptibles de la ralentir, comme celle d’Hélène sur ses infidélités ou celle de Lise sur les travers de la bourgeoisie. L’action scénique tient dès lors à cette autre tension dialectique lisible dans le rapport symétrique entre la profération de la parole liée à son écoute plus ou moins attentive et le mouvement engendré par d’incessants déplacements, ce qui entraîne un délicat fourmillement de discours et de mouvements. Le metteur en scène atténue ainsi la juxtaposition des scènes en redynamisant les relations tendues entre les personnages et en déployant une action qui avance par à-coup sans jamais basculer dans l’excès de pathos. Si, par ailleurs, la toute première scène, celle de retrouvailles, est suivie d’un bref passage dans le noir, d’autres sont rassemblées dans des séquences plus importantes, ce qui relève du découpage personnel du metteur en scène sensible aux grands mouvements du texte de Lagarce et par-là à l’invention d’une action qui le met amplement en valeur.

 

      Les comédiens s’emparent de la création de leurs personnages en adoptant des postures nuancées. Thibault Infante donne à son Pierre une attitude alerte, en apparence joviale, mais qui s’assombrit aux premières accroches en se chargeant d’un ton véhément et incisif. Par rapport aux autres personnages masculins, Pierre paraît ainsi tant soit peu affecté, renfermé dans une autosuffisance solitaire. Paul, incarné par Adrien Lefébure, représente son envers pondéré : la quasi stoïcité que l’on observe dans ses gestes traduit son esprit conciliant qui se trouve en contraste avec l’attitude pétulante d’Hélène. Antoine, quant à lui, créé par Philippe Briouse, fait partie de ces intrus tolérés et écoutés par égard pour ceux qui les introduisent, mais son caractère vainement communicatif ne séduit pas les autres. Du côté des personnages féminins, Hélène a un rôle plus dominant, bien que sans conséquence, parce que c’est elle qui semble vouloir vendre la maison de campagne : Gaëlle Monard l’incarne en lui prêtant une attitude légèrement nerveuse qui trahit notamment son embarras grandissant de retrouver Pierre, voilé de mystère. Anne, quant à elle, interprétée avec finesse par Valérie Descombes, cherche, comme Antoine, sa place au sein de la famille qu’elle découvre, mais son sourire de façade et sa disposition à écouter les autres semblent davantage traduire sa volonté de garder les apparences. Parmi ce florilège d’individus bien différents, Lise, jouée par Paula Denis avec une résistance impassible aux désaccords des adultes, paraît comme la plus énigmatique au regard de sa présence quasi constante sur scène et de la quantité réduite de ses propos. Les comédiens créent ainsi des personnages contrastés avec raffinement pour nous montrer avec conviction ce que peuvent avoir de pesant des retrouvailles lourdes d’un passé dont on refuse de parler.

      Derniers remords avant l’oubli dans la mise en scène d’Olivier Pasquier est une création équilibrée, portée sur scène avec cette modération élégante dans le ton et dans le geste qui aborde le théâtre de Jean-Luc Lagarce avec une perspicacité convaincante. Le jeu des comédiens qui le sert tout autant est entraînant et intrigant, épuré de tout excès dans la restitution des états d’âmes des personnages douloureusement confrontés les uns aux autres.

Théâtre de l’Essaïon : La Ménagerie de verre

      La Ménagerie de verre, l’une des plus fameuses pièces de Tennessee Williams, se trouve actuellement remise à l’affiche au Théâtre de l’Essaïon (>) dans une mise en scène intime de Patrick Alluin, où les comédiens créent avec sobriété des personnages à la fois attachants et bouleversants tant par le caractère poignant de leurs destins tragiques que par la finesse avec laquelle ils leur donnent vie sur scène. Cette création de la Cie Mireno Théâtre (>) présentée à l’Essaïon en 2021 a été reçue avec un grand succès, amplement mérité.

      Les pièces de Tennessee Williams, bien inscrites dans notre culture théâtrale, ne cessent de nous impressionner par la justesse avec laquelle le dramaturge américain a su non seulement dessiner les caractères de ses personnages et nuancer leurs sentiments les plus profonds, mais aussi dépeindre en demi-teinte les ambiances singulières dans lesquelles ceux-ci évoluent en écho avec des souffrances socio-économiques d’époque. Sans doute mieux que quiconque d’autre, Tennessee Williams parvient toujours à nous rendre sensibles à la condition des héros modernes que sont ces hommes et ces femmes issus de milieux populaires, d’origines différentes, en quête d’une vie meilleure comme à la recherche d’un équilibre sentimental. Ceux de La Ménagerie de verre (1944) représentent les Américains vivant dans des quartiers ouvriers surpeuplés qui les renferment dans un quotidien désolant terni par des salaires bas : la situation de la petite famille d’Amanda Wingfield est certes devenue précaire après le départ du mari et père entraîné par un esprit d’aventure, mais elle est tout aussi fragilisée par l’infirmité de sa fille Laura et le mal-être de son fils Tom qui vit désemparé à cause d’un travail aride à une usine à chaussures.

      La Ménagerie de verre se présente comme un récit rétrospectif qui tend à se résorber dans des séquences dramatiques sans s’effacer entièrement parce que Tom qui le prend en charge réapparaît ponctuellement dans des apartés pour précipiter et atténuer la catastrophe, celle de son départ qui a sans doute fait basculer sa mère et sa sœur dans la misère. L’action chemine dès lors vers ce dénouement tragique dans un inépuisable rapport dialectique de départ/passé et retour/présent : comme dans une tragédie antique, tel le coryphée qui, après avoir parlé délègue la parole aux personnages, Tom revient sur les lieux de son « crime », celui d’avoir délaissé sa famille pour donner libre cours à son goût de l’aventure stimulé dans sa jeunesse par ses fréquentes sorties au cinéma. Si l’on peut considérer La Ménagerie de verre comme une tragédie moderne, c’est à cause de cette dialectique nouée entre le récit rétrospectif et les scènes de retour en arrière qui aident le prétendu coupable à faire pénitence de sa faute dans une sorte de communion cathartique vécue avec les spectateurs auxquels il s’adresse explicitement. Mais Tom, enserré par une mère dévorante dans l’étau d’une situation sans avenir, et animé par un violent désir d’émancipation, est-il entièrement coupable ? l’est-il, en particulier, à l’égard de sa sœur chérie, vouée par une timidité et un manque de confiance chroniques à la solidarité de la famille ?! La mise en scène de Patrick Alluin nous introduit avec délicatesse au cœur de ce souvenir douloureux qui hante Tom malgré l’impossible volonté d’oublier.

 

       La scénographie, conçue par Thierry Good, repose sur la sobriété des décors et la fidélité des accessoires et costumes à l’époque de l’entre-deux-guerres. La scène représente une double pièce : une salle à manger qui trouve le prolongement sur le devant de la scène dans un vague salon symboliquement suggéré par une desserte en bois utilisée en l’occurrence pour servir de rangement à la ménagerie de Laura et pour loger un gramophone. Des rideaux clairs à rayures, avec une photo du père accrochée en haut comme pour préfigurer la fuite de Tom, cachent une entrée étroite qui mène à l’appartement situé au dernier étage de l’arrière d’un immeuble. Trois chaises disposées autour d’une table placée devant les rideaux, le tout dans un style art déco fondé sur l’usage du tube métallique, complètent cette scénographie spartiate en véhiculant les représentations matérielles que l’on peut se faire d’une famille d’ouvriers attachée aux valeurs traditionnelles de classes moyennes. C’est ainsi que l’attention particulière semble portée au service de table dont les accessoires réalistes abondants jurent avec le caractère dépouillé de la scène comme pour souligner l’attachement d’Amanda à l’ordre, à la propreté et à la promesse de la réussite sociale. Niché dans l’intimité de la petite « grande salle » du théâtre de l’Essaïon, cet ensemble quelque peu austère embrasse une action scénique ponctuée d’effets sonores (swing mais aussi Chopin) ainsi que d’effets de lumières (pénombre) qui versent dans des situations émouvantes parfaitement équilibrées. L’éclairage à la bougie lors de l’entretien de Laura avec Jim entraîne, quant à lui, un effet de fascination, tout comme ces scènes entre Tom et Laura déroulées sur le devant de la scène qui nous rapproche d’eux.

      Si l’histoire de La Ménagerie de verre reste bien connue des spectateurs, les comédiens les y intéressent rapidement à nouveau grâce au naturel avec lequel ils s’emparent de la création de leurs personnages : ils s’y prennent en adoptant des postures captivantes sans emphase, leur donnant une allure réservée qui en traduit la douleur certes en sourdine, mais avec émotion, à travers des gestes simples et des regards pleins de chagrin étouffé. Au lever du rideau, l’entrée de Léo Lebesgue instaure d’emblée une atmosphère de nostalgie, lorsque le comédien sort un briquet pour éclairer les visages de la mère et de la sœur installées sur scène, et que son personnage se met à nous raconter leur histoire commune sur un ton avenant qui cache pour autant mal la souffrance morale. Léo Lebesgue gardera cette attitude séductrice tout au long de l’action, par-delà même des emportements auxquels est sujet Tom agacé par la volonté de puissance d’Amanda. Il crée ainsi un Tom ouvert d’esprit, sensible, irrésistible, tout en nous persuadant que ce fils et frère déserteur a été poussé à s’envoler du nid familial au prix d’un violent sentiment de désespoir. C’est dès lors Tom qui s’impose à notre attention comme le personnage principal de la pièce, dans la mesure où le comédien parvient à dépasser le caractère dominant de la mère, brillamment incarnée par Agnès Valentin. Celle-ci ne manque certes pas d’imprimer à son Amanda un certain air de coquetterie, lorsque celle-ci évoque ses anciens amours, ou même d’afféterie lorsqu’Amanda reçoit Jim pour le dîner, mais la comédienne modère l’expression corporelle de son personnage pour en souligner la suffisance désarmante sans ridicule : son Amanda attendrit au contraire par le soin porté à ses enfants qu’elle désire voir réussir coûte que coûte. Sarah Cotten nous épate, quant à elle, par la douceur et la délicatesse avec lesquelles elle parvient à donner à sa Laura une allure profondément timide et à nous rendre sensibles au petit monde dans lequel celle-ci vit enfermée. Jim O’Connor de Pablo Gallego paraît en revanche sûr de lui-même, confiant sans vanité en ses capacités et en sa réussite, mais reste sensible et attentif, grâce à son caractère jovial, aux inquiétudes de Laura qu’il réussit à faire sortir de sa bulle.

      La création de La Ménagerie de verre par Patrick Alluin au théâtre de l’Essaïon déborde littéralement de finesse dans l’habileté avec laquelle le metteur en scène campe des situations délicates, susceptibles de basculer autrement dans le mièvre : rien de tel parce que la justesse, la précision, la sensibilité et l’élégance avec lesquelles les comédiens entrent dans la peau de leurs personnages nous persuadent amplement de la pertinence des choix de mise en scène. C’est une création tout aussi entraînante que perspicace et raffinée.

Studio Hébertot : Caligula de Camus

Caligula

      Caligula d’Albert Camus compte aujourd’hui parmi les plus grands classiques du XXe siècle grâce à la portée universelle de sa teneur à la fois politique et métaphysique : la Cie des Perspectives s’en est emparée pour le mettre à l’honneur dans une mise en scène épurée de Bruno Dairou et Édouard Dossetto. Reçue avec succès en 2021 au Festival d’Avignon OFF, cette création captivante partie en tournée a été programmée au Studio Hébertot en mai 2022 (>).

      Le choix d’un sujet inspiré de l’histoire antique a toujours conduit les dramaturges à introduire dans l’action de leurs pièces une méditation politico-métaphysique en résonance avec des interrogations en cours à leur époque. L’éloignement temporel des événements historiques avérés favorise une telle démarche dramaturgique grâce au caractère quasi légendaire de ces événements qui ont amplement éprouvé le sens de l’humanité. Si, en 1945, lors de sa création au Théâtre Hébertot dans la mise en scène de Paul Œttly, avec Gérard Philippe, Caligula s’impose comme une poignante allégorie dramatique sur les horreurs entraînées par le nazisme, la volonté de puissance et la soif de pouvoir absolu, inlassablement recherchées par l’empereur romain qui prête son nom à la pièce de Camus, ne se cantonnent pas à la férocité impensable de la Seconde Guerre mondiale : elles la dépassent largement pour se renouveler incessamment sous d’autres formes, de telle sorte que les questions soulevées dans Caligula ne laissent jamais d’affecter les spectateurs dans leur présent historique et de mettre en évidence des fractures qui les amènent à repenser le rapport au pouvoir et ses dérivés. La réputation sulfureuse de Caligula mêlée à la finesse de la plume de Camus nous invite d’autant plus à projeter dans ce personnage troublant aussi bien des angoisses secrètes que des fantasmes audacieux.

 

      Comme la seconde partie de son règne verse dans un despotisme inflexible qui l’oppose violemment au Séant, mais aussi dans la débauche assortie d’une liaison incestueuse entretenue avec sa sœur Drusilla, la réputation de Caligula donne lieu à des suppositions selon lesquelles il serait atteint de maladie ou de folie : ses actes de cruauté envers les sénateurs convainquent certains de sa monstruosité. Camus transpose dans sa pièce cette part légendaire en prêtant à Caligula bien des actes ou décisions atroces rapportés par des historiens romains, mais se garde de le faire basculer dans une monstruosité irrationnelle gratuite. Le soupçon de folie avancé par les personnages les plus lâches se voit démenti dans des situations intimes qui confrontent ses aspirations absolutistes à une opposition ferme ourdie par ces sénateurs qui n’ont pas peur de mourir. Leur fermeté incite Caligula à laisser tomber son masque pour dévoiler sa froide rationalité avec laquelle il s’emploie non seulement à rechercher la vérité, mais aussi et surtout à égaler les dieux qu’il considère comme des fantoches : il peut dès lors, à l’occasion d’un entretien avec Scipion, qualifier ses actes comme « les caprices de [sa] fantaisie » ou comme « de l’art dramatique » (III, 2) ; il peut, de surcroît, susciter l’admiration ou le respect de plusieurs sénateurs malgré leurs désaccords politiques. La création de ce personnage réputé fou ou monstrueux semble ainsi reposer sur la recherche d’un équilibre esthétique susceptible de mettre en relief la teneur métaphysique des échanges.

      La mise en scène de Bruno Dairou évite adroitement l’excès et la caricature en réservant quelques gestes symboliques de la prétendue folie de Caligula à des scènes qui éprouvent davantage le rapport de force entre cet empereur sanguinaire et les autres personnages de la pièce. La scénographie situe l’action dans un lieu abstrait, délimité par une chaîne lumineuse qui forme sur scène un grand carré, comme pour insister, à travers cette forme géométrique atemporelle, sur l’universalité des débats provoqués par la quête métaphysique de Caligula. Plusieurs cubes blancs, qui constituent les seuls décors et qui sont manipulés par les comédiens pour suggérer schématiquement un piédestal, une tribune ou un fauteuil, renforcent cette volonté apparente d’inscrire l’action de Caligula dans un cadre spatio-temporel qui dépasse son ancrage à quelconque époque. Des effets d’éclairage qui relèvent la semi-obscurité de la scène proposent des variations lumineuses — rouge, vert, bleu — en conférant à ce cadre géométrique une certaine dimension fantastique. Si l’action semble pourtant tant soit peu située dans une époque vaguement contemporaine, c’est à travers des costumes vintage composés de jeans, chemises blanches et vestes bleu foncé. Ce délicat alliage de l’antique et de l’intemporel plonge les spectateurs au cœur de l’action avec d’autant plus d’efficacité que ceux-ci sont interpellés, dès leur entrée dans la salle, par les comédiens déguisés en sénateurs à la recherche de Caligula disparu depuis trois jours.

 

      L’attention des spectateurs accueillis par les sénateurs pour « parler politique » est régulièrement relancée tant par des contacts oculaires ambigus que par le jeu des comédiens généralement tournés vers la salle, celui de Caligula en particulier qui concentre les regards de tous en allant même les chercher suivant son désir d’avoir le pouvoir sur les destins des hommes à l’instar des dieux. Son entrée en scène par le fond, soigneusement préparée par les sénateurs inquiets de sa disparition, sème au premier abord un doute sur sa santé mentale : couvert d’un long drap blanc, frissonnant, le torse nu, Antoine Laudet qui l’incarne nous laisse découvrir un homme en proie à une angoisse existentielle, ébranlé par l’impossibilité d’atteindre l’impossible — avoir la lune ou quelque chose qui ne soit pas de ce monde. Si son Caligula adopte par la suite une posture plus joviale qui traduit moins des sauts d’humeur qu’une propension assumée à manipuler et à tyranniser froidement les autres, son expression conservera un vague air de souffrance inscrit au plus profond de son âme : Antoine Laudet crée dès lors un personnage fébrile fascinant, et confère ainsi, malgré toutes les atrocités commises, à sa quête d’absolu et de vérité une profondeur humaine. Cette humanité paradoxale ressort même grandie lorsqu’elle se trouve confrontée à la lâcheté et à la peur de plusieurs personnages incarnés par Josselin Girard avec une nette tendance à la dérision qui montre subtilement ce que cette lâcheté et cette peur renferment de laid. Si Antoine Robinet dans le rôle du serviteur Hélicon et Céline Jorrion dans celui de l’amante Caesonia créent des personnages dévoués à Caligula, Pablo Eugène Chevalier (le poète Scipion) et Édouard Dossetto (le sénateur Chéréa) représentent leur envers tout en lui vouant une certaine reconnaissance malgré le caractère impraticable de ses aspirations : les quatre comédiens s’emparent de la création de leurs personnages avec un air de noblesse en adoptant des attitudes altières et assurées, soutenues de plus par une diction distinguée.

      La création de Caligula par la Cie des Perspectives, présentée entre autres au Studio Hébertot, offre aux spectateurs une relecture convaincante de cette célèbre pièce de Camus, adaptée à l’occasion pour une troupe de cinq comédiens excellant dans leurs rôles. Elle nous a séduits tant par son inépuisable actualité que par la justesse de son équilibre esthétique : l’élégance du geste mêlée à la finesse du propos transcende poétiquement cette version de Caligula en une expérience sensible empreinte d’un délicat trouble existentiel.

Théâtre Nanterre-Amandiers : La Mouette de Cyril Teste

      Cyril Teste et le Collectif MxM se saisissent de La Mouette de Tchekhov en l’adaptant pour le plateau suivant une démarche audiovisuelle à cheval entre le théâtre et le cinéma : cette création singulière, reprise au Théâtre Nanterre-Amandiers pour une quinzaine de nouvelles représentations à la mi-avril 2022 (>), suscite bien la curiosité des spectateurs en ce qu’elle remodèle, en les explicitant sans ambiguïté, les motivations psychologiques et les états d’âme des personnages tchekhoviens mis à nu grâce à un regard voyeuriste.

      La célèbre pièce de Tchekhov, première en série qui ouvre résolument la voie à la dramaturgie moderne, pose avec acuité la question de l’avant-garde et de nouvelles formes de théâtre. Sur le fond d’une représentation manquée, elle retrace le parcours de vie d’un jeune auteur (Treplev) et ce, à travers quatre grands tableaux (ou actes) dramatiques, à ceci près que l’action épique qui fait avancer l’histoire se trouve nettement reléguée au hors-scène ou à l’entre-deux-actes. Si Treplev semble au premier abord s’imposer comme le héros de la pièce, d’autres personnages ne laissent pas d’usurper la place qu’il occupe au premier acte non seulement pour relever la complexité de son drame personnel, mais aussi pour dépeindre avec une touche réaliste l’immobilisme esthétique et moral auquel se trouve vouée la société russe dans le viseur de Tchekhov. La Mouette se comprend comme le « récit » de la maturation de plusieurs échecs, dès lors qu’aucun personnage ne parvient à réaliser son projet de vie et atteindre la plénitude vitale recherchée sans illusion, même pas Arkadina ou Trigorine condamnés à se prévaloir avec dérision d’une reconnaissance sans leste dont ils n’ignorent au reste pas les limites.

La Mouette
La Mouette, d’après Tchekhov, mise en scène par Cyril Teste © Simon Gosselin

      Cyril Teste s’approprie ce drame, constitué de déceptions et échecs en série, en créant des images bouleversantes qui permettent d’accéder à l’intimité de chacun des personnages, quel que soit son rôle dans l’action. Ce n’est pas que ces personnages manquent de soif de vivre, c’est qu’ils sont obnubilés par des attaches qui les empêchent d’avancer, ou qu’ils se condamnent eux-mêmes, sans parvenir à s’élever par des actes marquants, à mener une vie fondée sur des compromis tout aussi frustrants que s’ils se laissaient aller à l’abandon : le mariage désespéré de Macha avec l’instituteur Medvedenko en est un exemple le plus frappant. Seule Nina semble à cet égard sortir du lot par sa détermination de devenir comédienne et pour être ainsi parvenue à s’émanciper de sa famille, mais son cruel manque de talent et son risible amour charnel pour Trigorine lui ménagent le même échec professionnel et sentimental qu’essuie Treplev à cause des jalousies mesquines qui l’empêchent de prendre de l’envol et imposer avec assurance, au mépris des moqueries ouvertes de sa mère, sa vision novatrice de l’art. Tous les personnages s’enlisent ainsi définitivement dans une vie tant soit peu dérisoire en se noyant dans une souffrance immanente à leur propension à la songerie et aux bavardages. C’est cette intériorité que cherche à rendre palpable la création de Cyril Teste à travers des gros plans envahissant la scène, révélateurs de frémissements entraînés par cette étreinte existentielle qui met les personnages face à une impuissance crispée pour certains comme face à une suffisance flagrante pour d’autres.

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La Mouette, d’après Tchekhov, mise en scène par Cyril Teste © Simon Gosselin

      Pour ce faire, Cyril Teste met en œuvre une scénographie dépouillée qui permet d’abord de figurer l’extérieur de la maison située au bord d’un lac pour favoriser ensuite la projection des scènes d’intérieur. Le spectateur voit ainsi ce qui se passe dans la maison essentiellement à l’aide de la caméra qui retransmet en direct l’action déroulée derrière la paroi du milieu, dès lors que les personnages abandonnent, à la fin du premier acte, les environs du lac qui servent de cadre naturel à la représentation préparée par Treplev. Ce parti pris scénographique est intéressant en ce qu’il infléchit la dimension réaliste de la pièce en la transformant en un drame symboliste qui évoque certains drames claudéliens. Si la représentation de la pièce de Treplev réunit tous les personnages, au clair de lune, devant un sublime paysage de taïga russe projeté par intermittence sur la façade de la maison, ils finissent par se disperser pour se replier d’autant plus douloureusement sur eux-mêmes qu’ils se renferment dans une solitude stérile vécue collectivement au sein même de la propriété. Ce n’est pas que les comédiens ne jouent plus sur le devant de la scène à partir du second acte, c’est que leurs apparitions furtives se font de plus en plus rares pour garder une aura symbolique, comme cette confrontation haletante entre Arkadina et Trigorine intervenue au cours du troisième acte, ou comme cette ultime rencontre entre Treplev et Nina (déplacée ainsi à l’extérieur) qui entraîne in extremis le suicide du jeune homme. Les projections en gros plan des scènes d’intérieur ne nous font pas seulement  pénétrer dans l’intimité des personnages et observer par-là comme à la loupe leurs états d’âme, elles nous montrent tout aussi leur chute progressive qui se traduit par leur disparition de la scène : ils semblent dès lors échapper à une souffrance incommunicable pour devenir de pâles fantômes d’eux-mêmes.

      L’adaptation de La Mouette par Cyril Teste représente ainsi une expérience théâtrale originale qui aborde la partition tchekhovienne sous le prisme de la caméra pour repenser le rapport du spectateur aux personnages : si les superbes gros plans produisent un saisissant effet d’éloignement, c’est pour mieux souligner l’enferment des personnages dans une vie monotone proche d’un poignant ennui existentiel.