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Théâtre de l’Atelier : La Collection

la collection      La Collection est une pièce de Harold Pinter mise en scène par Ludovic Lagarde, ensemble avec L’Amant, une autre pièce du même auteur : si la première a été créée au Théâtre National de Bretagne, la seconde est née dans le même décor au Théâtre de l’Atelier (>), où elles sont désormais présentées en diptyque l’une après l’autre au cours des mêmes soirées. Rien n’empêche cependant de voir seule La Collection et de l’apprécier dans sa singularité captivante.

      Les spectateurs se réjouissent de (re)découvrir sur scène une pièce grinçante écrite pour le théâtre et non pas une énième adaptation infructueuse d’une œuvre romanesque. L’intrigue de La Collection est certes d’abord pensée comme un scénario pour le cinéma, que Pinter réécrit par la suite pour le donner au théâtre, mais ce remaniement ne change fondamentalement rien sur la qualité des situations et des dialogues destinés à être représentés. Le dramaturge britannique est au reste réputé à cet égard pour ses recherches stylistiques, liées en même temps à un croisement adroit de genres divers, ce qui lui permet de remettre en cause les convenances sociales avec une plus grande efficacité que ne le ferait une adaptation pour le théâtre diluée dans une narration insipide. Les cibles privilégiées de Pinter sont la famille bourgeoise des années 1960, son étroitesse d’esprit et son puritanisme invétéré qui l’enferment dans des représentations néfastes. Dans La Collection, Pinter réussit à entremêler l’art du dialogue dramatique aussi bien à des interrogations sociales qu’à celles qui portent sur le rapport à la fiction et à la vérité. Ludovic Lagarde sert ces trois aspects avec une délicatesse acérée.

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      L’action de La Collection est fondée sur une enquête tant soit peu fantasque menée sur un récit d’infidélité qui semble in fine inventé, pour des raisons restées obscures, par Stella, la femme de James. Il y a sûrement eu quelque chose, lors d’un voyage d’affaires, entre elle et Bill, un jeune artiste homosexuel vivant avec et aux dépens de son généreux amant Harry, il y aurait eu une histoire d’adultère que cherche à comprendre James sans jamais vraiment parvenir à démêler le vrai du faux dans la mesure où les autres personnages ne cessent de se payer sa tête pour l’éconduire. Un formidable persiflage désinvolte se met dès lors en place parce que James se laisse attraper en renchérissant sur ce que disent les autres. Cette intrigue de comédie de boulevard n’est toutefois pas si banale que ça, quand on se rend compte qu’elle n’est jamais vraiment dénouée comme chez Feydeau, que le spectateur ne connaîtra jamais la raison pour laquelle Stella aurait inventé l’histoire avec Bill et que, de surcroît, la confrontation entre un couple hétérosexuel et un couple homosexuel ne va pas de soi dans les années 60. Une tension intrigante s’instaure dès lors entre les codes de la comédie de boulevard et sa déconstruction subversive. C’est moins banal qu’extrêmement subtil et fracassant.

      Ludovic Lagarde, dans sa mise en scène, multiplie avec sobriété des éléments qui confèrent à l’action une dimension étrange, voire fantastique sans pour autant basculer dans quelque chose qui soit à la limite de la réalité. La scénographie l’inscrit en effet dans un univers bourgeois à travers des décors accentuant le sentiment de réel malgré un découpage artificiel de la scène en deux parties bien distinctes, mais pensées dans une étroite communication symbolique : à jardin, le salon de Stella et James, à cour, celui de Bill et Harry ; respectivement, un grand canapé en cuir blanc placé sur un tapis blanc devant de hautes parois blanches, un tourne disque posé au sol, d’un côté, et deux fauteuils en cuir marron, avec une table basse au milieu, installés devant un escalier tournant monumental et une porte d’entrée en plexiglas noir, de l’autre. Deux espaces en apparence bien distincts, qui se font face pour mieux révéler l’envers, que l’avers soit lumineux ou sombre, d’appartements bourgeois éprouvés par des dérèglements passionnels récurrents, deux espaces baignés dans une ambiance huppée qui dégage une certaine lourdeur pesante en correspondance avec une lassitude caustique sensible chez les personnages.

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      Le rythme de l’action paraît au premier abord tant soit peu lent, mais il l’est sans être traînant parce que les silences et les brefs moments de stagnation ou plutôt de nonchalance lui confèrent une tension singulière pour opposer avec finesse la morosité et l’épuisement du milieu bourgeois à l’affolement d’un mari attaché à préserver son territoire. L’action scénique se déroule dès lors au gré de cet acharnement mesuré mais ascendant de James sur Bill, qui semble vouloir jouer avec lui au chat et à la souris en prolongeant facétieusement le supposé mensonge de Stella. Cette tendance au ralentissement et une propension atténuée à l’humour british sont la source d’une atmosphère sombre, d’une puissante dialectique passionnelle, d’une action grinçante aux confins de l’absurde. Cette ambiance nous cueille non seulement par son étrangeté captivante, mais aussi grâce aux quatre comédiens qui entrent dans leurs rôles avec une justesse terrifiante. Valérie Dashwood crée une Stella blasée, quasi impassible, en véhiculant avec trouble les représentions d’une épouse désinvolte au comble de l’ennui. Laurent Poitrenaux, dans le rôle de Harry, incarne un mari piqué au vif dans son amour-propre, déterminé à connaître la vérité avec une violence feutrée. Micha Lescot, quant à lui, s’empare de la création de Bill en lui prêtant une posture modérément mais finement affectée, propre à l’image que l’on se fait d’un jeune homme quasi gigolo. Mathieu Amalric, dans le rôle de Harry, crée un personnage de daddy agile, perspicace, avec un sens de la répartie assassin.

      La Collection, donnée dans la brillante mise en scène de Ludovic Lagarde au Théâtre de l’Atelier, est un bel événement théâtral de cette fin de saison accueilli avec un grand succès : la mise en scène comme les comédiens nous arrachent littéralement des applaudissements qui sont tout à fait mérités !

MAC Créteil – Dans la solitude des champs de coton

dans la solitude des champs de coton mac creteil      Dans la solitude des champs de coton est une pièce énigmatique de Bernard-Marie Koltès, créée pour la première fois par Patrice Chéreau en 1987 au Théâtre Nanterre-Amandiers. En quête d’une impossible interprétation parfaite, celui-ci la redonne peu après dans deux autres mises en scène différentes. C’est dire à quel point le texte de Koltès séduit en résistant à une réalisation scénique définitive. Kristian Frédric s’en est emparé pour une nouvelle création fascinante présentée début mars 2023 à la MAC Créteil, avec Ivan Morane et Xavier Gallais dans les rôles du dealer et du client (>).

      Après l’« écrasante » emprise de Chéreau sur tout le théâtre de Koltès qu’il s’est inlassablement employé à porter à la scène, les pièces de cet auteur incontournable connaissent depuis quelques années un nouveau regain d’intérêt et par-là de nouvelles relectures, ce qui contribue à l’herméneutique de ses textes devenus paradoxalement, en l’espace de ces quelques années, des classiques de la seconde moitié du XXe siècle. Leur écriture poétique et leur disposition dramaturgique sont pourtant loin d’être « classiques » dans la mesure où Koltès reconstruit, en les déconstruisant, dans un univers subversif singulier, les codes d’un théâtre en proie à une profonde crise de représentation du personnage et de l’action. Chacun de ses textes repose étonnamment sur une dramaturgie originale tout en interrogeant avec un effet de vertige ce qui est violent et angoissant dans notre rapport au monde. Dans Dans la solitude des champs de coton, Koltès met en œuvre un dialogue quasi métaphysique entre deux personnages lambda, un dealer et un client, noué à la faveur d’une rencontre à l’origine certes réelle, mais poétisée et transposée dans un univers transcendant autrement imaginaire. Kristian Frédric, quant à lui, explore cet univers en en proposant une relecture scénique saisissante.

Dans la solitude des champs de coton, mise en scène par Kristian Frédric © Soo Lee

      L’anecdote nous apprend, à en croire les témoignages portés par Chéreau sur l’œuvre de Koltès, que Dans la solitude des champs de coton est inspirée d’une rencontre réelle entre un Koltès errant dans un hangar et un dealer new-yorkais voulant vendre. L’action de sa pièce semble ainsi être à la fois le fruit et le reflet d’un simple hasard, de deux trajectoires qui se traversent fortuitement, de deux regards malencontreusement croisés. Si l’un refuse sans vouloir rien prendre, l’autre cherche à le persuader d’acheter. C’est précisément cette rencontre éphémère banale que le dramaturge transpose dans une jouxte oratoire sur la naissance et l’exploitation du désir. Le terme de dealer a certes ici une connotation péjorative par trop transparente avec une coloration illicite clairement située dans l’illégalité, mais la teneur, l’extension et la généralisation des propos vont au-delà de l’anecdotique. L’objet d’un possible échange entre les deux personnages du dialogue n’est en effet jamais désigné, demeurant dans un flou délicat pleinement propice aussi bien à une abstraction métaphysique qu’à un impressionnant travail de poétisation du langage. C’est, par exemple, ce qui permet à Chéreau d’imaginer dans sa seconde mise en scène qu’il pourrait s’agir — non pas d’une drogue mais — d’une drague homosexuelle — ou, le cas échéant, des deux en même temps. Il reste que le dialogue mis en œuvre par Koltès instaure un rapport de force trouble entre les deux personnages confrontés et opposés l’un à l’autre avec une suspicion indépassable. C’est ce rapport de force représentée sous la forme d’une jouxte utopique qu’il s’agit de porter à la scène sans en réduire la tension dialectique à un échange platement anecdotique.

      Kristian Frédric, quant à lui, ne manque pas d’audace dans son interprétation très personnelle du texte de Koltès : il le met à l’épreuve en situant l’action dans un univers dystopique. Sa scénographie sombre, fondée sur le jeu de clair-obscur, dessine un lieu imaginaire truffé de plusieurs symboles qui renvoient à la situation métaphysique et au rapport de force violent instaurés entre les deux personnages : des rails enchevêtrés, à jardin et au milieu de la scène, dans lesquels se trouvent bloquée une chaussure mobile destinée à retenir le client, mènent, entre autres, à un rocher en pente où monte à des moments précis le dealer. Un tas de chaussures placé derrière les rails complète la confection de ce paysage désaffecté ni tout à fait lunaire ni tout à fait industriel. Comme le dialogue entre le client et le dealer qui est à la fois une extrapolation et une excroissance formidables d’une simple rencontre sur le thème du désir, cette scénographie dystopique s’autorise de la même manière à nous transporter dans cet endroit fantasmagorique qui provoque le sentiment de froideur et d’effroi. La dimension inquiétante de ce locus terribils fantasmé est par ailleurs souligné aussi bien par des effets sonores très puissants — des aboiements, des bruits d’effondrement, des échos, mais aussi quelques rares voix humaines — que par l’obscurité de laquelle se détachent les deux figures grâce à des faisceaux de lumière latéral et verticaux qui les mettent en valeur avec un effet de mystère angoissant.

 

      Comme l’action dramatique repose sur un « simple » dialogue, il s’agit, pour le metteur en scène, d’inventer une action scénique suffisamment dynamique, susceptible de suggérer — d’aller au-delà même du texte sans le surinterpréter —, au travers des corps des comédiens, avec une certaine ambiguïté, ce que nous dévoilent leurs propos. Dans la mise en scène de Kristian Frédric, cette action scénique tient au déploiement d’une séduction féroce du client coincé sur le lieu de la rencontre par la chaussure et livré par-là à la merci du dealer qui tourne autour de lui en variant la hauteur et la distance de son regard perçant malicieusement porté sur lui. Si leur rapport de force semble clairement signifié, il s’agit de savoir si le dealer parviendra à persuader ou si le client réussira à s’échapper. Tout se joue entre les deux personnages à travers cette collision certes fortuite, mais qui nous montre toute la brutalité de son caractère malsain parce que sournoisement recherchée et imposée par le dealer. L’action expose ainsi, en le concrétisant avec un effet de déflagration, ce qui se trouve à la lisière des propos voilés dans un langage séduisant empreint de poésie. Tandis que Xavier Gallais dans le rôle du client ne cesse de se débattre en adoptant des postures généralement effrontées mais subtilement nuancées, Ivan Morane crée un dealer dominant aussi bien par la maîtrise des mouvements et des gestes d’un corps raide que celle des inflexions d’une voix posée. Les deux comédiens mettent en vie deux personnages superbes : tandis que l’un donne au sien quelque chose de sauvagement animal, l’autre s’oppose à lui avec un air faussement policé terrible. Leur interprétation puissante nous happe dès leur entrée en scène tout en nous laissant dans une incertitude inquiète de deviner l’issue de leur rencontre frémissante.

      Kristian Frédric met en scène Dans la solitude des champs de coton avec une grande audace, mais qui est tout à fait payante parce que cette brillante pièce de Koltès semble autoriser une relecture dystopique — du moins, Kristian Frédric, ensemble avec Ivan Morane et Xavier Gallais, nous en convainc amplement. Sa création produit un fascinant effet de sidération.

La création de Dans la solitude des champs de coton de Kristian Frédric est reprise dès le 14 mars au Théâtre de la Ville (>).

Théâtre Hébertot : Les Parents terribles

parents terribles      Les Parents terribles , présentée dans une nouvelle mise en scène de Christophe Perton au Théâtre Hébertot (>), est une célèbre pièce de Jean Cocteau, connue grâce à ses nombreuses créations. Il s’agit pour cette fois-ci d’une création fondée sur le texte originel de l’auteur, non censuré par les éditeurs qui font circuler sa version édulcorée. C’est une création sombre mêlant le comique au tragique pour dévoiler avec férocité l’emprise de la famille bourgeoise sur le sort des enfants.

      La pièce de Cocteau ressemble d’une certaine manière, par son intrigue remplie de quiproquos, à une comédie de boulevard, mais elle ne l’est pas tout à fait dans la mesure où elle ne cesse de s’en prendre aux artifices de l’ordre bourgeois, de son mode de fonctionnement et de ses archétypes de pensée sclérosés. Pour ce faire, Cocteau introduit, par exemple, dans l’action la tante Léo qui est une sorte de Flaminia moderne drapée dans les habits d’une vieille fille amoureuse du mari de sa sœur. Cette action se situe même aux antipodes d’une classique comédie d’intrigue bien faite à la Feydeau ou à la Labiche non seulement par son dénouement tragique, mais aussi par l’insertion d’un certain nombre de propos métathéâtraux qui démêlent les codes du genre. Si Léo et Madeleine déclarent chacune à un moment donné que « nous ne sommes pas au théâtre » pour récuser un concours de circonstances trop invraisemblable, c’est au père de famille, Georges, que revient de fustiger le caractère impensable de la situation engendrée et de pointer du doigt l’ironie tragique qui la sous-tend. La pièce de Cocteau est de ce point de vue « trop bien faite » pour interroger aussi bien les rapports au genre décrié de la comédie de boulevard que le « désordre » bourgeois représenté par la pièce.

Les Parents terribles, mise en scène par Christophe Perton, Théâtre Hébertot 2023

      L’histoire des Parents terribles donne volontairement une image forcée des relations malsaines entre parents et enfants au sein de familles (prétendument) bourgeoises. Yvonne, une mère possessive, est maladivement attachée à son fils Michel : elle essaie de se faire passer pour son amie en délaissant son mari Georges. Celui-ci, un inventeur raté, en manque d’affection, finit au prix de mensonges par s’éprendre d’une jeune fille dont il assure le bien-être en toute honnêteté. Madeleine, la jeune fille en question, entretient cependant une relation amoureuse avec le fils de Georges et Yvonne. L’action débute précisément au moment où Michel révèle à ses parents, dans l’intention de se marier avec Madeleine, son histoire d’amour tenue jusqu’alors secrète. Il s’agit d’abord pour les deux parents inquiets d’empêcher le mariage coûte que côte, pour renverser ensuite la donne et sauver Michel qu’ils souhaitent garder auprès d’eux. Si la machination, assistée avec ambiguïté par la tante Léo, ménage des effets de surprise dignes des meilleures comédies de boulevard, comme la rencontre entre Georges et Madeleine autour de laquelle gravite tout le deuxième acte, d’autres situations à grand potentiel comique sont passées sous silence, comme celle du premier acte où Michel découvre à Georges son histoire avec Madeleine tout en lui apprenant que le « vieux » à renvoyer c’est lui-même. Les crispations d’Yvonne et l’embarras de Michel, aussi bien que les manœuvres de Léo, tendent certes à faire rire, mais ce rire se teint vite en noir pour s’empreindre de tragique. Christophe Perton exploite dans sa mise en scène précisément ce rapport féroce entre comique et tragique.

      La scénographie situe l’action sans ambages, suivant les indications du texte, dans la chambre d’Yvonne au premier et au troisième acte, dans le salon de Madeleine au deuxième. Les deux pièces sont matériellement représentées avec des décors réalistes. Schématiquement, la chambre d’Yvonne, aménagée autour d’un grand lit entouré sur les côtés de boiseries sombres avec des placards encastrés, donne sur une grande salle de bain verdâtre installée au fond, séparée pour autant par des portes coulissantes. Le salon de Madeleine, épuré et lumineux par rapport à la chambre d’Yvonne, ne comprend, quant à lui, qu’un grand canapé orange et un grand plateau en bois clair laqué. Visuellement, une pièce sombre et chargée d’objets en désordre, au premier et au dernier acte, s’oppose symboliquement et dialectiquement à une pièce quasi vide, éclatant de lumière et d’ordre — les vêtements de Michel qui y traînent au lever de rideau représentent sans doute l’irruption du désordre bourgeois dans l’ordre d’artisanat (Madeleine travaille dans le métier de reliure). La scénographie de Christophe Perton instaure par-là subrepticement un rapport de force implicite entre les deux univers qui se côtoient mais qui ont du mal à trouver un chemin l’un vers l’autre. Le retour dans la chambre d’Yvonne au troisième acte ainsi que l’admission bien pesée de Madeleine au sein de la famille semblent dès lors traduire la victoire du premier qui absorbe sournoisement le second. Ce quelque chose de pesant et de lourd qui se dégage de l’aspect cafardeux de la chambre d’Yvonne engloutit ainsi fatalement la fraîcheur, l’énergie et la légèreté trouvées par Michel chez Madeleine.

Les Parents terribles, mise en scène par Christophe Perton, Théâtre Hébertot 2023

      L’action scénique impriment aux dialogues une tonalité tragi-comique : plusieurs contretemps et postures font certes rire, mais une ironie mordante ressentie derrière les révélations et les vérités auxquelles sont confrontés Yvonne et Georges en particulier rend ce rire amer, grinçant, malicieux. Elle est subtilement dynamique, déroulée à travers des actes banals qui occupent les personnages en train de parler : les spectateurs voient par exemple Léo essayer des vêtements d’Yvonne qu’elle range en même temps, Yvonne se recoucher dans son lit au gré de son humeur changeant selon les événements qui la mettent drôlement mal à l’aise en la forçant à réagir. C’est ce couple de femmes manipulatrices — Yvonne, inconsciemment, Léo, volontairement — qui dictent l’attitude aux autres personnages tenus sous leur emprise néfaste.

      Charles Berling crée avec assurance un Georges la plupart du temps en apparence indolent, quand sa sérénité résignée ne cède la place à une exaspération virulente face à Madeleine et à Léo. Émile Berling et Lola Créton, dans les rôles de Michel et Madeleine, forment un couple complice : leurs personnages sont ardents et chaleureux quand ils sont confiants en la bienveillance de la famille, mais brisés, abattus, en proie à un désespoir stoïque qui traduit l’intensité de leurs émotions, quand ils sont séparés par les manigances de cette même famille. Maria de Medeiros, quant à elle, incarne la tante Léo en lui donnant certes un certain air de tristesse et de compassion, mais en nous convainquant que l’attitude animée, les démarches entreprenantes et les sentiments refoulés, comme l’ordre auquel son personnage semble tant tenir, sont parfaitement maîtrisés. Muriel Mayette-Holtz, enfin, dans le rôle d’Yonne, crée une mère cruellement souffrante à cause de l’« infidélité » du fils, en se laissant aller à des accès de colère désinvoltes et des sauts d’humeur insouciants, mais elle s’y prend avec une juste mesure, avec une certaine élégance en quelque sorte, sans jamais verser dans l’excès. Sa création d’Yvonne est, en un mot, épatante. Les comédiens brident ainsi délicatement le côté potentiellement comique des situations pour l’imprégner sans excès de pathos d’amertume et de tragique.

      Les Parents terribles dans la mise en scène de Christophe Perton est une brillante création qui propose de la pièce de Cocteau une relecture sombre tout à fait convaincante. Tous les comédiens s’approprient leur rôle avec justesse tout en répondant magistralement aux enjeux subversifs du texte.

Studio Hébertot : L’Aigle à deux têtes

      L’Aigle à deux têtes est une pièce de Jean Cocteau, donnée pour la première fois par le Théâtre Hébertot en 1946 d’abord à Bruxelles, avant d’être jouée à Paris, dans une mise en scène de l’auteur. Jean Cocteau l’a également adaptée pour le cinéma (1948), avec Jean Marais dans le rôle de Stanislas. Paul Goulhot se l’approprie pour une nouvelle création conçue dans un esprit oriental : sa mise en scène attrayante est actuellement à l’affiche au Studio Hébertot (>).

      Injustement méconnue, L’Aigle à deux têtes est une brillante pièce écrite dans cette veine allégorique que l’on retrouve dans le Fantasio de Musset (1833) ou dans Le Mal court d’Audiberti (1946). C’est une histoire de prince, de pouvoir et d’amour, mais son sujet n’est explicitement tiré ni de l’Histoire ni de la mythologie gréco-romaine. Les personnages n’ont pas une identité précise, si ce n’est leur statut social ou leur fonction dramatique qui permet de les caractériser et de motiver leurs actes. Les événements qui structurent l’action ne se réfèrent à aucun fait réel clairement identifiable, si une certaine ressemblance ne nous amène à établir un lien équivoque avec une réalité historique. Cette imprécision recherchée situe l’action dans un présent imaginaire dans la mesure où toute action de théâtre est censée conventionnellement se dérouler ici et maintenant. Ces pièces, à juste titre considérées comme allégoriques, renvoient en même temps à notre quotidien à travers des idées et des sentiments exprimés. Malgré leur effet d’abstraction poétique, elles ne manquent donc pas de nous affecter et d’interroger notre rapport au monde. C’est précisément parce qu’elle remue notre sensibilité que L’Aigle à deux têtes est une brillante pièce : toute sa dimension politique qui sous-tend l’intrigue s’y trouve magnifiquement transcendée par une histoire d’amour poignante.

L’Aigle à deux têtes, mise en scène par Paul Goulhot, Studio Hébertot 2023

      L’Aigle à deux têtes raconte en effet une histoire d’amour entre une reine et un anarchiste venu la tuer. La Reine, sans régner réellement, vit en retrait et se voile le visage en signe de deuil depuis l’assassinat de son mari le matin même de leurs noces. Sans mener une vie trop extravagante, elle fait tout de même preuve de caprices tels que la diffusion d’un poème antiroyaliste rédigé contre elle par Stanislas qui n’est autre que ce poète anarchiste pénétré dans le château de Krantz une nuit d’orage. Prête à se faire tuer par dépit d’être privée de son mari, elle ne convainc pas Stanislas blessé de lui asséner un coup fatal. Cette situation de départ de la rencontre nocturne, comme la suite de l’histoire, est entièrement romanesque, dépourvue de toute vraisemblance, et pourtant elles renferment quelque chose de vrai dans les échanges et dans les sentiments des deux personnages en mal de vivre, attirés l’un vers l’autre par ce sentiment de mal-être qui les unit passionnément. Ce quelque chose de vrai tient sans doute à leur amour naissant impossible fondé sur la compassion, ce dont les persuadent cruellement les manigances secrètes du comte Foëhn, le bras droit de l’archiduchesse belle-mère friande de pouvoir. Dans une création scénique de L’Aigle à deux têtes, on sera de ce fait particulièrement attentif à la manière dont est amenée la tension dialectique entraînée par la dimension romanesque de l’action et la véracité attendue dans le rapport de force sentimental entre les deux personnages principaux.

      Le caractère romanesque tant soit peu fantaisiste de L’Aigle à deux têtes favorise d’emblée la transposition de son action dans un univers souhaité. C’est ce qui permet à Paul Goulhot de la situer dans un Orient légendaire avec une simplicité symbolique quant au choix de décors, de costumes, d’accessoires et de comédiens. Sa scénographie japonisante est constituée avec sobriété de quelques meubles en bois marron laqué proportionnellement disposés : une commode à tiroir à jardin, une table entourée de deux chaises au milieu et un divan à cour et ce, pour instaurer une ambiance d’intimité propre au salon d’une reine repliée sur elle-même qui reçoit peu de monde. En plus de quelques bandes sonores et de la projection de dessins inspirés de la peinture japonaise à l’encre de Chine, ce sont les accessoires et les costumes qui empreignent le plus la scénographie de parfum d’orient : une statuette en or ou des épées apportées au deuxième acte et surtout les tenues asiatiques portés par les comédiens, à l’exception notable de Stanislas incarné d’ailleurs par un comédien blanc. Pour transposer l’action de L’Aigle à deux têtes dans un univers oriental sans encombrer la scène d’objets gratuits, Paul Goulhot fait en effet le pari réussi de la distribution de comédiens asiatiques. L’ensemble repose ainsi sur ces choix délicats faits pour donner de la scène une image harmonieuse, sans être chargée de fioritures, et pour focaliser par-là le regard des spectateurs sur le jeu des comédiens.

L’Aigle à deux têtes, mise en scène par Paul Goulhot, Studio Hébertot 2023

      L’action scénique, quant à elle, repose sur un équilibre dynamique en ce qu’elle alterne des moments qui introduisent un mouvement plus rapide et ceux qui s’en distinguent par un ralentissement subtile mis en valeur par une lumière forte dirigée en plongée sur des personnages campés sur une scène laissée dans l’obscurité. Ces quelques moments privilégiés sont les plus intimes et les plus bouleversants, qu’il s’agisse de l’émouvante déclaration d’amour entre la Reine et Stanislas, en particulier de ce beau moment où la Reine invite Stanislas à venir près de lui et où celui-ci, la serrant dans ses bras par derrière, lui suggère avec des mots justes de sortir de l’ombre pour reprendre le pouvoir, ou bien de ce saisissant entretien mené avec une vigueur fascinante entre l’anarchiste-lecteur de la Reine et le sournois comte de Foëhn venu l’enrôler au service de l’archiduchesse. Le mouvement scénique ne pâtit jamais, les comédiens étant toujours astucieusement occupés, ne serait-ce que par de menus déplacements alliés à un jeu de regards suspicieux et à une écoute attentive. Ce jeu de regards et cette écoute sont de plus une source de tension et de surprise, en particulier chez la Reine dont une certaine propension au caprice tient en haleine le spectateur dans l’incertitude de devenir si elle s’apprête, à l’aide de sa cravache, à caresser ou à frapper en l’air, toujours avec le risque de ne pas manquer son but.

      Les trois comédiens dans les rôles secondaires créent avec justesse des personnages types tels que lectrice, gouverneur et chef de police : Maïko-Eva Verna apparaît dans celui d’Edith en lui donnant une allure prétendument respectueuse devant la Reine, mais brusque et sévère dès lors qu’elle se trouve en présence d’un autre personnage ; Olivier Ho Hen, dans celui de Félix sincèrement attaché à la Reine, en lui prêtant cet air de sérénité et de sagesse qui rassure un personnage mélancolique instable ; et Boun Sy Luang Phinith, dans celui du comte de Foëhn, qu’il incarne avec un air sournois féroce lisible derrière une gesticulation prononcée et une fausse bienveillance. Huifang Liu, quant à elle, s’empare de la création de la Reine avec noblesse, adaptant son attitude selon le personnage auquel celle-ci a affaire et en fonction des dispositions sentimentales de son personnage : le spectateur découvre ainsi dans son interprétation une Reine en apparence orgueilleuse, inflexible, capable de se tenir droit et de rester impassible pour en imposer aux autres, mais sensible, fragile et dévouée dès qu’elle se laisse aller à l’amour. Jérémy Brige crée un anarchiste sombre et mystérieux avec ce charmant air de tristesse, qui ne le quitte que lors de la scène de déclaration d’amour et qui s’allie délicatement aux situations éprouvantes dans lesquelles se retrouve son personnage : que Stanislas soit souffrant à cause de sa blessure, qu’il essaie de jouer le comte de Foëhn ou qu’il souffre affreusement à cause du mauvais tour de la Reine lors de la scène finale, le jeu sensible de Jérémy Brige nous livre un Stanislas attachant.

      L’Aigle à deux têtes donnée dans la mise en scène japonisante de Paul Goulhot nous persuade de l’intemporalité de cette belle pièce de Jean Cocteau, que nous avons par curiosité lue avant d’aller voir le spectacle, et que nous avons ensuite eu l’énorme plaisir de voir jouée sur la scène du Studio Hébertot. Cette lecture nous a sans doute permis de goûter avec une délicieuse frayeur l’émouvante ironie tragique qui se dégage de l’histoire d’un amour impossible, mais elle n’est absolument pas nécessaire pour rêver avec Paul Goulhot et ses comédiens à cet amour romanesque réécrit à l’encre de Chine.

La Scala-Paris : En attendant Godot

      La célèbre pièce de Beckett En attendant Godot gravit les planches de La Scala (>) dans une excellente mise en scène d’Alain Françon. C’est une nouvelle création de la compagnie Théâtre des nuages de neige (>) préparée en co-production avec La Scala et Les Nuits de la Fourvière (Lyon).

      La création d’En attendant Godot en 1953 au Théâtre de Babylone dans une mise en scène de Roger Blin a froissé les spectateurs d’époque désappointés, voire scandalisés par un « étonnant » manque d’action dramatique. Cette pièce phare du théâtre dit de l’absurde compte pourtant aujourd’hui parmi les plus grands classiques du XXe siècle. En soixante ans, les mentalités ont en effet évolué de telle sorte qu’on se presse désormais d’aller voir toute pièce de Beckett mise à l’affiche. Le spectateur averti sait que c’est pour qu’on lui montre une humanité déchue immobilisée dans une attente métaphysique de l’innommable : le nom propre de Godot représente ici symboliquement celui dont l’identité échappe entièrement aux deux personnages principaux et que ceux-ci ne sauraient donc pas reconnaître. Un tel argument traduit amplement ce que l’on a nommé dans les années 80 la « crise du personnage dans le théâtre moderne », ce théâtre d’après-guerre vidé de substance narrative et de certitudes relayées régulièrement par la bourgeoisie bien-pensante outrancièrement célébrée dans le théâtre dit de boulevard. Cette modernité n’a pas perdu de son lustre : elle continue d’interroger notre rapport fondamental à l’humain et à la vie. Le théâtre de Beckett devenu classique ne saurait être épuisé.

En attendant Godot 01
En attendant Godot, Alain Françon 2022 © Jean-Louis Fernandez

      Il n’est pourtant pas facile de « bien » jouer du Beckett. Représenter une humanité déchue et un ennui engendré par une attente sans fin relève d’autant plus du défi que les créations d’En attendant Godot sont nombreuses et que certaines ont fait date dans l’histoire de la mise en scène. Vladimir et Estragon se retrouvent, sans arriver à se séparer, à un endroit peu précis, vaguement identifié par la présence d’un arbre desséché et d’une pierre. Ils semblent s’y retrouver quotidiennement pour espérer l’arrivée de l’énigmatique Godot qui in fine ne cesse de reporter sa venue au jour suivant. C’est ce que suggèrent leurs échanges et notamment leurs défauts de mémoire dans le second tableau qui introduit dans l’action l’écoulement d’un temps épique, impossible pourtant à mesurer si ce n’est, tant soit peu, grâce aux deux passages contingents de Pozzo et Lucky. Il s’agit dès lors, pour Vladimir et Estragon, de passer le temps, de combler cet immense vide qui conditionne leur existence suspendue dans un cadre spatial bouleversé par cette déroutante dimension temporelle. Le rapport dialectique entre l’écoulement quasi imperceptible du temps épique et son enlisement dans une attente déconcertante est inscrit dans l’action de la pièce. Il est désormais question de le représenter dans une dynamique scénique susceptible d’entraîner un trouble métaphysique sans ennuyer.

      Alain Françon, dans sa relecture d’En attendant Godot, en maître incontesté, fait le pari d’une curieuse élégance scénographique avec laquelle il livre aux spectateurs la déchéance de Vladimir et Estragon comme celle de Pozzo et Lucky. Certes, les quatre personnages représentent des humains socialement déclassés — en raison de leur âge ou de leur condition —, et leur mine n’inspire pas spécialement une grande sympathie, mais leur apparence scénique est loin d’être repoussante : leurs costumes à moitié décrépis et leur pétillante balourdise dans le geste comme dans le propos entraînent un certain effet de dérision tragique qui nous amène paradoxalement à les considérer avec un regard bienveillant. Si leurs paroles et leur situation éveillent une sympathie troublante, les quatre personnages (le garçon messager mis à part du fait de la singularité de son rôle) n’évoluent pas moins dans un espace scénique qui produit un délicat vertige métaphysique : un paysage crépusculaire dressé au fond de la scène évoque d’emblée l’ambiance orageuse ou plutôt brumeuse d’une journée hivernale, ce qu’accentue dans le même temps le gribouillis de peinture blanche recouvrant le sol à la manière d’une couche de givre tapissant un champ gelé. Un tracé foncé horizontal en bas du paysage comme le ciel crémeux représenté en haut donnent une telle impression de profondeur que Vladimir et Estragon semblent littéralement perdus au milieu d’une vaste plaine sans bornes. Une grande pierre installée à jardin et un fin tronc tordu à cour dont le houppier ne comprend que deux branches soulignent enfin aussi bien le vide matériel que cette saisissante vastitude à perte de vue. Le traitement de l’espace scénique rejoint ainsi magistralement celui du temps dramatique.

En attendant Godot, Alain Françon 2023 © Thomas O’Brien

      Cet élégant décor n’aurait pas entraîné un irrésistible bruissement métaphysique si les comédiens ne parvenaient pas à lui insuffler une vie pétulante qui relève de l’action proprement dite. C’est par leur adroite direction qu’Alain Françon expose son savoir-faire et son sens de théâtre : il invente une subtile action scénique qui, loin d’être du remplissage, tisse un lien organique entre le jeu des comédiens et le cadre spatio-temporel. Si cette action scénique ne connaît aucun temps mort — les comédiens ne cessent d’être minutieusement occupés, qu’ils parlent, écoutent ou observent —, le mouvement scénique paraît tout à fait naturel : Alain Françon tire en effet de sa lecture textuelle de Beckett une captivante partition composée de pas, de gestes et de regards qui répondent à ce que le texte dramatique suggère dans ses moindres recoins. Certes, certains gestes et pas sont bien inscrits dans ce texte, mais ce qui compte in fine dans le cas de Beckett tient tout aussi à la justesse du rythme et du ton : inutile de forcer le trait, pour peu que les comédiens adoptent des postures naturelles qui confèrent à leur personnage une profondeur psychologique de cette humanité qu’ils disent qu’ils représentent hic et nunc, notamment dans le cas des deux compagnons inséparables, Vladimir et Estragon.

      Gilles Privat, dans le rôle du premier, crée un personnage alerte qui, malgré sa légère boiterie, entraîne régulièrement un Estragon déboussolé. André Marcon donne, en effet, à celui-ci un air moins éveillé et plus résigné : son allure contraste heureusement avec celle de Vladimir tout en maintenant un menu frémissement entre les deux personnages, ce frémissement organique à la lisière des propos articulés propre à relancer l’action dès lors que celle-ci risque de déboucher dans une impasse. Pozzo maltraite certes son esclave Lucky, mais la prestance dominante volontairement autocentrée de Guillaume Levêque et la brutalité de ce rôle, faute d’excès, semblent bel et bien modérées lors de la première rencontre avec Vladimir et Estragon. C’est sans doute Lucky, incarné par Éric Berger, qui s’éloigne de l’approche humaniste des trois personnages de par une apparence et une posture tant soit peu clownesques : cette étrange figure d’esclave questionne ainsi l’humanité des trois personnages en renouvelant en catimini la dimension absurde et le malaise métaphysique qui s’installent peu à peu sur scène, mais qui risqueraient autrement de basculer dans une nouvelle normalité, progressivement circonscrite dès le lever de rideau. Enfin, Antoine Heuillet, grâce à son allure juvénile, mais aussi grâce à sa figure élancée et la douceur de ses gestes, confère au garçon, à cet énigmatique messager de Godot, une apparence angélique ambiguë. Tous les rôles, interprétés avec une grande précision, constituent dès lors un double tableau certes troublant, mais sans être radicalement sombre, celui d’une humanité à la fois en perte de souffle et en quête d’elle-même.

     La création d’En attendant Godot par Alain Françon est un magnifique hommage rendu au théâtre de Beckett. Alain Françon a réussi à donner à l’attente métaphysique de Vladimir et Estragon une profondeur humaine et une force magnétisante qui nous rendent amplement sensibles aux interrogations soulevées par les cinq personnages brillamment incarnés.