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A La Folie Théâtre : Toxique de Sagan

      Toxique de Sagan, reprise à La Folie Théâtre (>) à l’occasion de la nouvelle saison théâtrale, est une création originale inspirée du journal tenu par Françoise Sagan lors de sa cure de désintoxication subie à l’âge de 22 ans. Le spectacle en lui-même se présente comme une adaptation dramatique de Michelle Ruivo, montée par Cécile Camp dans un seul-en-scène haletant avec Christine Culerier. Créé en 2017 au Théâtre du Temps, ce spectacle a déjà fait ses preuves en rencontrant un accueil enthousiaste.

     Le journal de Françoise Sagan relève de cette écriture de soi qui n’était probablement pas destinée à la lecture : il en ressort en effet une pulsion d’écrire manifestée au travers de notations, parfois très brèves, faites au jour le jour, pulsion salutaire qui aide sans doute l’écrivaine à surmonter une étape de vie marquée tant par une solitude douloureuse que par des crises d’angoisse entraînées par la cure de désintoxication. Ce journal intime de Françoise Sagan ne semble cependant pas reposer sur une élaboration littéraire qui se coule tant bien que mal dans les codes de la littérature autobiographique en vogue dans la seconde moitié du XXe siècle : il nous laisse au contraire pénétrer dans une pensée fragmentaire en quête d’elle-même. Françoise Sagan ne revient en effet pas sur son séjour à la clinique de désintoxication pour en rendre compte plusieurs années après, elle ne le transpose pas dans une narration ordonnée (ou désordonnée) pour reconstruire artificiellement ses états d’âme passés : son écriture de soi est pleinement concomitante avec son vécu. Il semble dès lors moins s’agir de la construction intentionnelle d’une image de soi que de laisser surgir une pensée spontanée qui traduit sans écran les tourments d’une conscience en souffrance. La création théâtrale, quant à elle, refonde en catimini le rapport complexe entre l’écriture et la lecture.

Toxique de Sagan, mise en scène par Cécile Camp @ Laurence Navarro

      Si c’est à 22 ans que Françoise Sagan séjourne à la clinique de désintoxication, c’est qu’elle est devenue dépendante de Palfium 875 à la suite d’un grave accident de voiture survenu près de Milly-La-Forêt (Essonne) lorsqu’elle roulait à plus de 160 km/h sur la nationale 448. Dans sa chambre, elle se retrouve livrée à elle-même : en plus de ses douleurs, elle est en proie à des désirs et ambitions littéraires qui transparaissent au gré de ses réflexions suscitées par ses nombreuses lectures. Les extraits choisis de son journal, publié au reste en 1964 sous le titre de Toxiques, n’évoquent curieusement sa souffrance physique que de manière succincte et marginale : certes, les crises d’angoisse, l’enfermement et le « sentiment de la déchéance » l’amènent à envisager la fuite ou le suicide, mais sa passion pour la littérature l’emporte sur tout et occupe ainsi une place dominante dans les notations. Comme elle le déclare, ses seuls moments heureux avec elle-même… sont littéraires. Elle passe au crible plusieurs auteurs qui lui sont chers — Apollinaire revient dans ses écrits à plusieurs reprises —, mais elle considère aussi sa posture d’écrivaine et sa façon d’écrire. Plus qu’ils ne tendent à conférer au journal de Françoise Sagan une dimension métalittéraire incontestable, ces écrits rendent son témoignage émouvant au regard de leur caractère spontané et direct. Et c’est précisément l’esprit de ce témoignage singulier que la mise en scène cherche à restituer.  

      La scénographie repose sur la figuration symbolique de la chambre où Françoise Sagan loge lors de sa cure et où elle écrit son journal. À jardin, un grand lit en fer, flanqué d’une table de chevet sur laquelle se dresse une pile de livres, représente un cadre spatio-temporel qui nous transpose d’emblée à l’époque de l’écriture. À cour, une chaise en bois, quant à elle, forme un pendant expressif à l’activité de la lecture, celle du journal qui intervient en réalité bien des années plus tard et qui renvoie au présent des spectateurs. C’est dans cet espace en apparence clairement identifiable que s’introduit le personnage énigmatique de Françoise Sagan incarnée par Christine Culerier. Or son entrée en scène provoque un vertige temporel. La comédienne, vêtue d’un paletot beige, s’adresse directement aux spectateurs pour évoquer ce passé douloureux qui a fait l’objet de l’activité scripturaire. Si elle enlève rapidement son paletot en s’installant dans la chambre, elle ne devient pas tout à fait Sagan à l’âge de 22 ans. Une délicate ambiguïté quant à l’ancrage temporel de l’action scénique persiste tout au long du spectacle qui situe celle-ci à cheval entre le moment de l’écriture et celui de la lecture du journal : elle entraîne par-là une subtile tension dialectique qui propulse le personnage de Sagan dans une temporalité suspendue qui échappe au temps historique. En bousculant les repères temporels, la mise en scène de Cécile Camp assigne ainsi au témoignage de Sagan une dimension intemporelle : celle de l’écrivaine face à elle-même.

Toxique de Sagan, mise en scène par Cécile Camp @ Emeric Gallego

      L’action scénique se cantonne dans un triangle dessiné par le lit, la chaise et le point d’adresse aux spectateurs, triangle qui la rend dynamique sur le plan spatio-temporel dans la mesure où les déplacements de la comédienne se partagent entre ces trois points symboliques. Christine Culerier s’empare de la création de Françoise Sagan en la transformant en un véritable personnage de théâtre, puisque la mise en scène ne cherche pas à reconstruire la cure de désintoxication au travers de détails naturalistes qui montrent l’écrivaine tourmentée par de déplaisantes crises d’angoisse. Christine Culerier reprend à son compte des postures, gestes et tics propres au personnage réel connu grâce à l’audiovisuel afin d’en donner une image certes ressemblante, mais sans forcer son interprétation, ce qui lui permet de se l’approprier selon sa propre sensibilité et de l’incarner dès lors avec une touche personnelle qui rend cette interprétation à la fois convaincante et émouvante. Son jeu expressif repose sur un équilibre enlevant : en s’affranchissant précisément de l’étalage de tous ces effets physiques sur le corps propres à une cure de désintoxication, tout en gardant quelque chose de nerveux dans le geste et de troublant dans le regard, Christine Culerier tend à créer une Françoise Sagan tant soit peu éthérée qui nous livre aussi bien ses états d’âme que ses avis et goûts littéraires.

      Toxique de Sagan est un de ces seul-en-scène époustouflants qui marient avec succès un récit de vie et une écriture de soi : s’il ne s’agit pas d’un récit de vie épique ordinaire qui retrace la vie d’un être humain de la naissance à la mort, cette création remarquable renouvelle ce genre de spectacles par des choix de mise en scène qui nous plongent de façon fascinante dans l’univers de l’écrivaine et de la personnalité qu’était Françoise Sagan. Christine Culerier l’incarne avec une grande délicatesse.

A La Folie Théâtre : Derniers remords avant l’oubli

      La Cie Les Horloges Lumineuses remonte sur les planches avec une nouvelle création présentée dans une mise en scène raffinée d’Olivier Pasquier à À La Folie Théâtre (>) : cette fois-ci, elle s’approprie un classique du XXe siècle Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce (1987).

     Le théâtre de Jean-Luc Lagarce s’empare de la vie des gens ordinaires pour représenter leur quotidien situé dans un hors-temps dramatique. Ses personnages dessinés avec une touche hyperréaliste nous interpellent à travers des tensions qui les hantent sans conduire à une véritable catastrophe tragique au sens classique du terme : il reste quelque chose à régler entre eux, et c’est ce qui les réunit au passage, mais pas inévitablement, sans qu’ils parviennent tout à fait à s’entendre pour trouver un compris. Le théâtre de Jean-Luc Lagarce saisit précisément ces instants délicats qui ébauchent en sourdine une crise profonde : des conversations entamées, juxtaposées par le dramaturge dans leur linéarité, se suivent comme si elles étaient prélevées sur le quotidien des personnages sans nous éclairer entièrement sur les raisons de cette crise susceptible de verser à tout moment dans une catastrophe qui entraîne une rupture définitive. C’est ainsi que des bribes d’un passé évoqué par intermittence s’introduisent dans des échanges sans inscrire pour autant l’action dans un temps historique : tout reste dans un état d’indétermination qui crée un savoureux mystère. Cette indétermination traduit dans le même temps l’échec d’une rationalisation dramatique comme celui d’un arrangement conformiste, rationalisation et arrangement qui sont l’apanage des représentations de la société bourgeoise.

      Dans Derniers remords avant l’oubli, six personnages se réunissent pour régler la question d’un héritage après un temps plus ou moins long qui s’est écoulé depuis leurs dernières entrevues. Pierre, Paul et Hélène, frères et sœur (on le suppose du moins), entretiennent des relations distantes, tandis que les conjoints et une des filles qui les accompagnent se connaissent à peine pour s’être vus à une période indéterminée, ce qui engendre des situations croisées embarrassantes. S’il s’agit de convaincre Pierre de vendre la maison de campagne qu’il occupe moyennent un loyer modéré, Paul et Hélène ne parviennent à parler de la vente de cet héritage qu’indirectement et que pendant quelques moments limités par rapport à l’économie générale de l’action. Les personnages s’empêtrent davantage dans des tirades qui provoquent des réactions succinctes ou conduisent à une sorte de non réponse à la manière de ces personnages tchekhoviens habiles à détourner le propos sur un autre sujet. Le metteur en scène est dès lors invité à transposer cette volonté de ne pas communiquer avec autrui, ce qui est d’autant plus délicat que les personnages comprennent très bien les insinuations proférées à leur égard : Olivier Pasquier s’est précisément appliqué à rendre palpitante cette subtile tension dialectique entre un refus de communiquer et une parfaite entente à demi-mot.

Derniers remords avant l’oubli, mise en scène d’Olivier Pasquier, Les Horloges Lumineuses, 2022

      Olivier Pasquier invente une subtile action scénique grâce à une scénographie constituée de deux espaces perméables propres à fluidifier les multiples changements de scène. L’espace est en effet divisé en deux parties en apparence distinctes qui convergent vers le milieu de la scène en gommant leur prétendue séparation. À jardin, l’intérieur tronqué d’un salon, à cour, un jardin qui semble se prolonger jusque dans les coulisses : d’un côté, un fauteuil vintage entouré d’un guéridon avec des livres et d’une grande lampe à pied, un mur à brique et un autre guéridon avec d’autres livres et une chaîne hi-fi ; de l’autre côté, plusieurs rondins de bois disposés autour d’une table basse, le tout installé devant un faux mur végétal assorti d’un treillage en bois qui dépeint un milieu naturel. Cet agencement symétrique de l’espace scénique situe l’action à deux endroits différents tout en permettant de distinguer les scènes plus intimes déroulées entre les deux frères et la sœur de celles qui réunissent à l’extérieur leurs conjoints et la fille ou la famille tout entière. L’action scénique se coule dès lors entre les deux pôles intérieur/extérieur, comme s’il s’agissait de faire sortir Pierre de la maison, ce qui se solde par un échec d’autant plus flagrant que la famille rassemblée par deux fois dans le jardin se disperse rapidement et que Pierre finira par rentrer.

      Symboliquement Pierre se trouve installé sur le plateau avant le lever du rideau en attendant les autres arriver. Les premières scènes entre Pierre et Paul et Hélène se déroulent ainsi dans le salon, tandis qu’un peu plus loin, celle entre Anne et Antoine est située dans le jardin, où ils font connaissance en installant des chaises et une table camping pour un goûter à venir. D’autres entrées et sorties, d’un lieu à l’autre, se succèdent certes suivant le rythme imposé par le texte, mais de telle sorte que l’action ne s’enlise jamais dans le salon ou dans le jardin, ce qui la rend particulièrement dynamique malgré plusieurs tirades susceptibles de la ralentir, comme celle d’Hélène sur ses infidélités ou celle de Lise sur les travers de la bourgeoisie. L’action scénique tient dès lors à cette autre tension dialectique lisible dans le rapport symétrique entre la profération de la parole liée à son écoute plus ou moins attentive et le mouvement engendré par d’incessants déplacements, ce qui entraîne un délicat fourmillement de discours et de mouvements. Le metteur en scène atténue ainsi la juxtaposition des scènes en redynamisant les relations tendues entre les personnages et en déployant une action qui avance par à-coup sans jamais basculer dans l’excès de pathos. Si, par ailleurs, la toute première scène, celle de retrouvailles, est suivie d’un bref passage dans le noir, d’autres sont rassemblées dans des séquences plus importantes, ce qui relève du découpage personnel du metteur en scène sensible aux grands mouvements du texte de Lagarce et par-là à l’invention d’une action qui le met amplement en valeur.

 

      Les comédiens s’emparent de la création de leurs personnages en adoptant des postures nuancées. Thibault Infante donne à son Pierre une attitude alerte, en apparence joviale, mais qui s’assombrit aux premières accroches en se chargeant d’un ton véhément et incisif. Par rapport aux autres personnages masculins, Pierre paraît ainsi tant soit peu affecté, renfermé dans une autosuffisance solitaire. Paul, incarné par Adrien Lefébure, représente son envers pondéré : la quasi stoïcité que l’on observe dans ses gestes traduit son esprit conciliant qui se trouve en contraste avec l’attitude pétulante d’Hélène. Antoine, quant à lui, créé par Philippe Briouse, fait partie de ces intrus tolérés et écoutés par égard pour ceux qui les introduisent, mais son caractère vainement communicatif ne séduit pas les autres. Du côté des personnages féminins, Hélène a un rôle plus dominant, bien que sans conséquence, parce que c’est elle qui semble vouloir vendre la maison de campagne : Gaëlle Monard l’incarne en lui prêtant une attitude légèrement nerveuse qui trahit notamment son embarras grandissant de retrouver Pierre, voilé de mystère. Anne, quant à elle, interprétée avec finesse par Valérie Descombes, cherche, comme Antoine, sa place au sein de la famille qu’elle découvre, mais son sourire de façade et sa disposition à écouter les autres semblent davantage traduire sa volonté de garder les apparences. Parmi ce florilège d’individus bien différents, Lise, jouée par Paula Denis avec une résistance impassible aux désaccords des adultes, paraît comme la plus énigmatique au regard de sa présence quasi constante sur scène et de la quantité réduite de ses propos. Les comédiens créent ainsi des personnages contrastés avec raffinement pour nous montrer avec conviction ce que peuvent avoir de pesant des retrouvailles lourdes d’un passé dont on refuse de parler.

      Derniers remords avant l’oubli dans la mise en scène d’Olivier Pasquier est une création équilibrée, portée sur scène avec cette modération élégante dans le ton et dans le geste qui aborde le théâtre de Jean-Luc Lagarce avec une perspicacité convaincante. Le jeu des comédiens qui le sert tout autant est entraînant et intrigant, épuré de tout excès dans la restitution des états d’âmes des personnages douloureusement confrontés les uns aux autres.

A La Folie Théâtre : L’Étranger

      Vincent Barraud s’est emparé du plus célèbre roman d’Albert Camus pour le porter sur scène dans une performance captivante. Il l’avait déjà adapté, il y a plus de vingt ans, pour un seul-en-scène visuel avant de le reprendre en 2019 à l’occasion du Festival d’Avignon OFF dans une création épurée qui laisse résonner le phrasé de Camus à travers une simplicité troublante. Repris en Avignon en 2021, cet Étranger de Vincent Barraud, reçu avec succès, est à l’affiche, au printemps 2022, à À La Folie Théâtre (>).

      L’Étranger de Camus fait partie de ces textes devenus classiques qui ne cessent d’interroger la condition humaine et le rapport à la société grâce à la portée universelle d’une expérience singulière transposée dans un récit fictif. Comme tant d’autres textes narratifs adaptés pour le théâtre, il pique lui aussi la curiosité des metteurs en scène et des comédiens. Si sa relative longueur conduit naturellement à faire des coupes, il semble en même temps inviter de lui-même à une création scénique à la manière de ces « monologues » tels que La Nuit juste avant les forêts de Lagarce conçue comme une longue réplique adressée implicitement à un lecteur/spectateur inscrit dans un tissu narratif par des indices tant soit peu ambigus qui renvoient à une situation d’énonciation située dans le présent de narration. Énonce sur scène dans une intimité troublante, le discours de Meursault apparaît, quant à lui, comme une confession improbable au regard de sa condition de condamné à mort qui attend dans sa cellule la mise à exécution de la peine capitale. La transposition scénique de ce discours métaphysique par Vincent Barraud questionne précisément ce rapport improbable avec les spectateurs venus ainsi assister à une profession de foi athée qui dénonce les artifices de la société bourgeoise.

 

      Le récit, comme son adaptation pour le théâtre, commence par ces phrases bouleversantes devenues célèbres : « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. » Il se poursuit jusqu’à la révolte de Meursault contre l’aumônier venu le rejoindre dans sa cellule pour le réconforter ou bien tenter d’éveiller en lui un sentiment pour la religion. Si ce récit progresse, étape par étape, de façon linéaire, le narrateur se charge en même temps de restituer des propos d’autres personnages en créant des situations dialoguées : celles-ci étayent son argumentation en mettant à plat les interprétations de ses actes, avancées notamment lors du procès et faussées par les convictions moralisatrices de la société bourgeoise qui détient le pouvoir de mort sur sa vie. Cette polyphonie inscrite dans le récit de L’Étranger se prête d’emblée à une mise en voix nuancée qui infléchit la prétendue insensibilité de Meursault considéré comme un témoin impartial de son destin, comme celui qui se contente le plus souvent de rapporter les faits et propos tels quels sans se laisser aller à formuler des jugements moraux. Pour peu que la technique narrative adoptée par Camus oblige le lecteur à appréhender lui-même les faits racontés, le passage de ce récit à la scène amène naturellement le metteur en scène et le comédien à cette même démarche herméneutique, à ceci près que les enjeux esthétiques et philosophiques de ce passage à la scène sont ici d’autant plus considérables que le travail de mise en scène ne saurait les contourner pour se couler dans le processus d’objectivation poursuivi par Camus.

L’Étranger, par Vincent Barraud © Pascal Nottoli

      La scénographie campe le comédien dans un face-à-face brute avec les spectateurs désarçonnés par la proximité du personnage qui se livre peu à peu à eux dans sa solitude de condamné à mort. Une simple chaise et une grande bouteille d’eau en verre sont les seuls accessoires qui jonchent le vide existentiel de ce prisonnier sorti paradoxalement paradoxalement comme invité à faire son récit de vie. Si l’absence d’adresse directe voile cette entreprise ambiguë de tant de mystère que de sentiments de malaise, une lumière constante qui éclaire fortement le comédien tout au long de sa performance le met brutalement à nu comme lors d’un interrogatoire, comme si les spectateurs devaient in fine réévaluer la sentence tombée et l’état psychique de Meursault en proie à son ultime crispation métaphysique dont ils supposent qu’elle précède de peu son exécution : la bouteille dont il boit au reste çà et là sans la finir semble même fatalement traduire cet écoulement implacable du temps tant vers la fin du spectacle que vers le dénouement de son récit et sa mort prochaine.

      On décèle en même temps quelque chose de doux dans la voix de Vincent Barraud qui nous persuade inlassablement que Meursault a retrouvé l’apaisement après la visite de l’aumônier et qu’il attend désormais sa mort dans l’indifférence du monde extérieur. Le comédien ne laisse cependant pas de mimer ceux dont il rapporte les propos et d’imiter ainsi leur voix. Son Meursault paraît dès lors moins « taciturne » et « renfermé » que ne le dépeint le procureur, dans la mesure où ses mises en voix dramatiques d’autres personnages le conduisent par moments à sortir de sa bulle et à montrer l’émotion que ceux-ci lui inspirent. Si Vincent Barraud interprète la scène de la plage les yeux fermés et le bras droit tendu vers la salle, comme si Meursault la revivait une seconde fois, il restitue avec véhémence le discours du procureur ainsi que sa colère noire provoquée par l’aumônier. Son personnage s’empreint d’une certaine sensibilité délicate qui trahit moins le mépris de la bien-pensance de la société bourgeoise que l’aspiration à vivre la condition d’homme sans se sentir obligé de se couler dans des stéréotypes d’emprunt de bons sentiments.

      L’Étranger de Camus adapté par Vincent Barraud représente un remarquable travail de maturation vers une performance épurée, tout à fait convaincante, qui confronte le comédien non seulement à ses spectateurs, mais aussi et surtout à un personnage problématique en proie à un trouble existentiel. Vincent Barraud nous le rend ainsi vivant et doué d’une certaine sensibilité que lui refusent les hérauts de la société bourgeoise.

A La Folie Théâtre : Le Legs de Marivaux

      Le Legs est une petite comédie de Marivaux, en un acte, relativement peu connue et peu jouée. Elle a été mise en scène par Alain de Bock dans une distribution faite avec de tout jeunes comédiens qui, tous passés par le Studio Alain de Bock (>), défendent très bien leur rôle. Elle est actuellement donnée à À La Folie Théâtre et ce, jusqu’au 7 novembre (>).

      L’histoire du LegsLe Legs_ affiche_ mes Alain de Bock est par ailleurs celle d’un mariage fâcheux conditionné par un héritage. Un marquis doit se marier avec une certaine Hortense ou lui payer deux cent mille écus, alors qu’il aime une comtesse à laquelle il ne parvient pas à déclarer son amour en bonne et due forme à cause de sa timidité chronique. Les vues d’Hortense portent sur un chevalier sans que la jeune femme éprouve la moindre attirance pour le marquis. Pour l’un comme pour l’autre se pose alors la question de l’héritage auquel aucun des deux ne veut renoncer. Les deux personnages sont ainsi amenés à se donner une comédie en faisant semblant de consentir au mariage dans l’espoir que l’autre finira par sacrifier sa part. Deux domestiques qui s’en mêlent à leur manière ne manquent pas de mettre leur grain de sel à cette comédie de dupes pour embrouiller leur maître sur le plan sentimental.

      À chaque nouvelle mise en scène d’une comédie de Marivaux, tout metteur en scène doit passer par son adaptation au goût des spectateurs contemporains. Les pièces de Marivaux sont des textes du XVIIIe siècle qui ont certes quelque peu vieilli sur le plan linguistique mais qui ne laissent rien à désirer quant à leur qualité dramatique. Ce qui reste intemporel, c’est l’analyse minutieuse et pertinente des trajectoires sentimentales des personnages le plus souvent perturbés par des contraintes ou des préjugés divers qu’il s’agit de dissiper pour accéder pleinement et librement à l’amour. La justesse avec laquelle Marivaux entre dans la peau de ses personnages exerce un attrait indéniable qui place cet auteur du XVIIIe siècle sur le devant de la scène contemporaine. Réussir à (bien) jouer du Marivaux est devenu même une sorte d’épreuve théâtrale par excellence. La difficulté qui revient avec récurrence dans toute création tient au caractère purement dialogique de l’action dramatique : autrement dit, toute l’action repose généralement sur les dialogues qui s’enchaînent à travers des mots qui piquent l’orgueil ou qui blessent l’amour-propre. Pour ne pas (trop) ennuyer les spectateurs et pour répondre à leurs attentes, il faut inventer ce que les personnages pourraient faire sur scène en plus de parler. À cet écueil peuvent se joindre des questions liées à des préoccupations sociales ancrées dans le contexte socio-politique de l’époque, dans la mesure où certains personnages sont des nobles et disposent bel et bien de serviteurs comme c’était l’usage sous l’Ancien Régime. À ce double écueil, Alain de Bock apporte des solutions dramaturgiques qui rendent sa mise en scène tout aussi pétillante que gracieuse. D’un côté, il situe l’action à la Belle Époque pour résoudre le problème de la distance par rapport à la langue et à la question sociale, ce qui conditionne les enjeux esthétiques de la scénographie. De l’autre, il invente une formidable action scénique qui exploite les possibilités de la « partition » marivaudienne, tout en l’imprégnant d’un érotisme insoupçonné. Le résultat ainsi obtenu est à la fois fascinant et convaincant.

      La scène représente une sorte de terrasse propre à favoriser les rencontres entre les personnages réunis en l’occurrence dans une propriété de la comtesse située à la campagne. Côté jardin, une table recouverte d’une nappe blanche en dentelle est entourée de deux chaises blanches en osier, pourvues de coussins noirs. À l’autre bout de la scène, côté cour, est installé un canapé deux places, également fait en osier et équipé de coussins noirs, flanqué d’une autre table recouverte d’une jolie nappe. Les deux côtés de la scène se répondent ainsi tout en proposant une variation délicate quant au choix du mobilier pour ne pas ennuyer l’œil du spectateur à travers une symétrie fade. Plusieurs pots de plantes vertes et quelques vases remplis de fleurs relèvent les décors en rendant l’espace scénique pittoresque et en faisant un clin d’œil à l’esthétique de l’art nouveau fondée sur l’utilisation des motifs végétaux. Les costumes, d’une élégance recherchée, s’inscrivent pleinement dans ce cadre aménagé à l’image des codes de la Belle Époque : les vêtements et les chaussures autant que les accessoires et les coiffures, tout rappelle en effet au spectateur la mode des vingt premières années du XXe siècle. La Comtesse avec son chignon haut, vêtue d’un chemisier blanc à volant et d’une longue jupe mauve, a l’air d’être sortie d’une affiche de Mucha. Les costumes permettent en même temps d’établir de fines distinctions entre les quatre personnages de maîtres. Alors qu’Hortense et le Chevalier sont habillés tout en blanc, ce qui connote l’idée d’innocence ou peut-être même de virginité, les habits de la Comtesse et du Marquis sont teintés de couleurs plus foncées et plus variées, ce qui leur confère une certaine maturité par rapport au couple des deux jeunes premiers.

      La scénographie dessine ainsi un espace scénique historiquement marqué sans toutefois pousser l’illusion jusqu’à un réalisme mièvre propre aux comédies de boulevard. Elle évoque en effet la Belle Époque à travers des éléments typiques sans chercher à imposer cet espace comme un lieu réel. Les décors et les costumes se détachent curieusement du fond noir de la scène, ce qui permet d’effacer toute prétention aux facilités d’une dramaturgie platement réaliste et de jouer subtilement sur un décalage tant soit peu merveilleux entre la réalité scénique des comédiens et celle des personnages. Ce simple contraste scénographique autorise le metteur en scène à introduire dans le jeu des comédiens des éléments comiques qui les conduisent à adopter des postures explicitement sensuelles sans verser dans la caricature. Puisque l’espace scénique ne représente en quelque sorte que ce qu’il est — un plateau de théâtre aménagé, certes avec goût, mais de manière conventionnelle, le jeu scénique peut dès lors s’appuyer amplement sur des gestes et des mouvements théâtralisés.

      Dès leur entrée en scène, les comédiens s’adonnent à un double jeu : à celui qui est renfermé dans leurs propos se superpose en effet délicieusement un jeu de corps et de regards qui « trahit » sans ambages la libido des personnages restée implicite dans le texte. Ainsi, dans la première scène, le Chevalier (Lambert Gintrand) court ostensiblement après Hortense (Inès Moulin Tougard) tout en se pressant contre elle et tout en essayant de lui arracher quelques baisers, alors qu’elle s’empresse de lui échapper en lui opposant des fleurs ou même une chaise. Il naît, de cette poursuite amoureuse, une action scénique comique qui suscite aisément le rire des spectateurs parce que le Chevalier ne manque pas de tomber, d’empêtrer ses pieds dans une plante ou de mordre une fleur, mais aussi parce que les regards fuyants et les intonations faussement naïves d’Hortense persuadent que la jeune fille se divertit copieusement tout en cherchant à prolonger le jeu galant. L’action scénique se poursuit dans le même esprit entre les serviteurs interrogés par Hortense sur les dispositions sentimentales du Marquis et de la Comtesse : Lépine (Antoine Ody) s’amuse alors à embêter Lisette (Laura Hatchadourian) à la manière du Chevalier en évitant à grand peine d’être surpris par la maîtresse et en recevant ainsi à son tour des coups. Il n’y a cependant rien de bouffon ou de vulgaire : tout se passe dans la joie et la bonne humeur à travers de simples gestes érotico-galants explicites. Si Hortense et Lisette se défendent tant bien que mal contre leur séducteur, elles en restent suffisamment complices pour maintenir le jeu de séduction au niveau de la suggestion. Une tension érotico-galante se fait également sentir entre le Marquis (Julien Joulain) et la Comtesse (Sophie Teulière), mais elle se fait plus discrète à cause de la timidité du premier et de la réputation de la seconde. Le spectateur comprend rapidement à travers leur jeu de corps qu’ils ont envie d’être l’un à l’autre sans arriver à se déclarer. Les postures évasives du Marquis amoureux énervent drôlement la Comtesse qui réagit souvent de manière brusque et impulsive : la signification de son attitude nerveuse et de ses regards sensuels n’échappe cependant qu’au seul Marquis qui prend les avances de la Comtesse pour de la colère. Tous les comédiens se laissent dans le même temps aller à un jeu à la fois un peu saccadé et fébrile, ce qui leur permet d’instaurer une distance comique par rapport à leur personnage et de situer l’action du Legs dans l’univers romanesque d’un conte libertin.

      Un équilibre apparent s’impose progressivement entre la véracité des sentiments et un jeu nerveux qui exploite les non-dits du texte de Marivaux. À une scénographie semi-réaliste correspond un jeu galant explicite pour proposer aux spectateurs une sorte de conte pour adultes à la fois moral et libertin. C’est que la teneur des propos ne manque pas de dénoncer le mensonge et l’avarice au profit d’un sentiment amoureux romanesque dépourvu de tout intérêt. Mais le jeu scénique subvertit dans le même temps cette dimension légèrement moralisatrice de la pièce grâce à un certain érotisme qui révèle avec humour les désirs sexuels enfouis dans l’expression verbale. Alain de Bock semble ainsi tremper la comédie de sentiment dans un conte de Crébillon fils.

A La Folie Théâtre : La Putain respectueuse

      De Jean-Paul Sartre, La Putain respectueuse a été créée en mai 2019 par la Compagnie Strapathella (>) au Centre Culturel Jean-Jacques Robert à Mennecy (Essonne) dans une mise en scène de Lætitia Lebacq. Elle a été reprise par À La Folie Théâtre (>) pour y être jouée du 20 mai au 20 juin 2021.

      Les pièces de Sartre restent toujours d’actualité au regard des thèmes qu’elles véhiculent et qui touchent les hommes au plus profond de leur vie quotidienne. Parfois quelque peu schématiques sur le plan dramatique, elles exposent des problèmes existentiels universels sans toutefois apporter une réponse (morale ou métaphysique) toute faite. Elles s’achèvent en général sur un dénouement impitoyable, moralement inacceptable ou du moins dérangeant. C’est au spectateur, ébranlé dans ses convictions, de trancher. Dans le cas de La Putain respectueuse, plusieurs problèmes remuent conjointement sa sensibilité élémentaire : le racisme fédérateur lié à la supériorité des blancs et à la promotion néfaste du patriotisme américain conservateur, mais aussi la prééminence masculine et la soumission des femmes. Si l’action de la pièce est située dans une Amérique des années 40, et que son intrigue soit constituée à partir de clichés propres au contexte historique, elle pourrait se dérouler dans n’importe quel autre pays affecté par des luttes raciales. La teneur de la pièce est en effet on ne peut plus explosive, d’autant plus que Sartre ne se gêne pas pour désigner certaines réalités évoquées par des noms cruellement révélateurs de leur fond contestable et ce, à l’instar du titre désinvolte qui est un oxymore : l’homme noir est traité de nègre et présenté comme pondéré malgré toute l’injustice qu’il subit de la part des blancs impunément méprisants ; le sénateur expose de manière éhontée et insidieuse l’idéologie orientée selon laquelle seuls les blancs ont une valeur réelle pour la nation américaine ; Fred se conduit à l’égard de Lizzie avec un machisme orgueilleux pour obtenir d’elle un faux témoignage contre « le nègre » ; et enfin, Lizzie concentre tous les clichés d’une prostituée naïve et facile à berner. La Putain respectueuse véhicule ainsi un système de représentations entièrement calqué sur des comportements stéréotypés pour les dénoncer en les montrant dans leur plus grande simplicité. C’est en outre une des rares pièces qui abordent le problème du racisme de manière absolument subversive et au regard de son dénouement conformiste en accord avec une idéologie exclusive soutenue par les dominants.

« C’est en m’inspirant de cette efficacité et de cette simplicité que je souhaite mettre en scène cette pièce et créer une ambiance moite qui rendrait hommage à l’univers d’Elia Kazan. »
Lætitia Lebacq, Note d’intention
 

      Lætitia Lebacq s’est saisie de La Putain respectueuse de Sartre pour la présenter dans une mise en scène classique qui, au premier abord, met en valeur le jeu des comédiens. La scène représente le salon de l’appartement de la prostituée Lizzie, où se déroule toute l’action sans changement de décor. Ce salon n’est pas dépourvu d’une certaine chaleur qui s’en dégage sans que rien ne révèle ostensiblement la nature des pratiques exercées par la jeune femme. La metteuse en scène gomme soigneusement tout indice tant soit peu vulgaire susceptible de rappeler au spectateur que l’appartement de Lizzie serait un lieu de prostitution. Aucun élément extérieur à l’action de la pièce n’est ainsi là pour le contrarier : tout paraît tout à fait lisse. Le spectateur voit un simple salon aménagé avec quelques meubles ou accessoires propres à évoquer sans surcharge l’époque historique souhaitée par Sartre : il s’agit notamment d’une grande radio en bois placée au fond de la scène et d’un grand fauteuil en cuir noir installé côté cour devant l’entrée d’une supposée salle de bain, mais on remarque aussi une vasque, une cruche à eau et un miroir de table posés sur une sorte de desserte mobile campée à l’extrémité droite du plateau. Une table et trois chaises en fer forgé se trouvent disposées côté jardin à l’entrée supposée de l’appartement. Quelques accessoires, tels qu’une bouteille de whisky laissée sur un guéridon ou une carafe d’eau posée sur la table en fer forgé, complètent l’ameublement retenu. Enfin, un rideau de lanières rouges recouvre le fond du salon tout en faisant entrevoir le fond noir de la scène ainsi qu’un espace vide qui les sépare. Ces éléments de décor, de même que les costumes d’époque et une bande musicale qui ouvre l’action, transposent rapidement le spectateur dans une Amérique des années 40. Le but de la metteuse en scène est, paraît-il, de susciter l’impression que cet ensemble conventionnel, corrélé à l’action conformiste de la pièce, reproduit sur scène les mêmes stéréotypes que l’on retrouve dans le comportement des personnages. La subversion est donc double : une scénographie classique tend un miroir à l’intrigue de La Putain respectueuse pour former avec elle une œuvre homogène et efficace sur le plan dramaturgique.

La Putain respectueuse, A La Folie Théâtre
La Putain respectueuse, mise en scène par Lætitia Lebacq, A La Folie Théâtre, 2021

      Ces choix scénographiques sont parfaitement soutenus par le jeu des comédiens. Lætitia Lebacq, qui s’est également emparée du rôle de Lizzie, crée un personnage de jeune femme débordant d’énergie et d’illusions sans toutefois basculer dans une caricature déplaisante. Si sa Lizzie cherche une certaine élégance à travers ses manières et ce, d’autant plus qu’elle se destine à une clientèle aisée, une certaine spontanéité maîtrisée que l’on observe dans les gestes de la comédienne laisse en même temps transparaître sa condition sociale peu élevée. La Lizzie de Lætitia Lebacq paraît ainsi naturellement contrastée, se trouvant à la croisée de deux univers qui broient le personnage en quête d’une impossible reconnaissance sociale pour son faux témoignage : sensible au malheur du Nègre et regrettant après coup son parti pris, elle persuade en même temps de la facilité avec laquelle on peut la séduire grâce à un discours flatteur proféré par les dominants. Comme le suggère le texte de Sartre, la Lizzie de Lætitia Lebacq, malgré tout le mauvais traitement qu’elle subit de la part de Fred, ne parvient pas non plus à cacher l’amour naissant qu’elle ressent pour cet homme hautain : les regards fuyants et les maladresses assumées de la comédienne trahissent franchement cet amour au moment même où elle le nie avec véhémence. Le spectateur peut ainsi se laisser aller à la pitié que provoque en lui une Lizzie interprétée avec une profondeur psychologique insinuée par le texte. À côté d’elle, Bertrand Skol crée un Fred imbu de lui-même en adoptant une posture quasi brutale, empreinte d’un machisme orgueilleux : il rassemble dans son jeu tous les stéréotypes liés à l’image d’un mâle supérieur méprisant tout et tout le monde. Ses regards assassins, sa voix grave et ses gestes et mouvements plus qu’assurés montrent un personnage tranché et presque insensible, entièrement fermé, fort de ses prérogatives. Le sénateur, incarné par Philippe Godin, se présente, quant à lui, comme un bonhomme conciliant et à l’écoute de la jeune femme humiliée, mais le spectateur décèle rapidement dans le jeu du comédien l’envers manipulateur de sa bonhommie feinte. Baudouin Jackson, dans le rôle du Nègre, paraît enfin comme acceptant sa condition de « nègre » : sa posture soumise semble scandaleusement servir les intérêts de ses persécuteurs sans les mettre en cause. Les quatre comédiens parviennent ainsi à individualiser avec souplesse les quatre personnages ébauchés par Sartre dans sa pièce en deux actes.

La Putain respecteuese, A La Folie Théâtre 2
La Putain respectueuse, par Lætitia Lebacq, A La Folie Théâtre, 2021

      La mise en scène de La Putain respectueuse réalisée par Lætitia Lebacq gagne donc les suffrages des spectateurs grâce à des choix classiques faits pour servir étonnamment la dimension subversive de la pièce : la simplicité dramaturgique s’avère ici tout à fait efficace pour dénoncer sans ambiguïté la supériorité présumée et le racisme assumé des blancs.

La Putain respectueuse, mise en scène par Laetitia Lebacq, La Compagnie Strapathella.