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MAC Créteil : Dom Juan de David Bobée

      David Bobée adapte tant soit peu le célèbre Dom Juan de Molière pour en proposer une relecture intemporelle mémorable : créée au Théâtre du Nord (>), sa mise en scène est partie en tournée pour sillonner la France et émerveiller ses spectateurs. A l’affiche début avril au Théâtre de la Villette, elle a été programmée à la MAC de Créteil juste avant les vacances scolaires (>).

      Dom Juan ou le Festin de Pierre, grande comédie de Molière, s’impose toujours à notre attention comme une pièce polémique au regard des questions des rapports à l’amour et à la foi qu’elle soulève malgré une distance temporelle importante qui nous sépare de sa première création (1665). Avec la réécriture de Dom Juan de Tirso de Molina, Molière insuffle en effet au mythe de ce libertin invétéré une force dramatique susceptible non seulement d’interroger les représentations des spectateurs de tous temps, mais aussi de les remuer dans leur sensibilité. L’amour et la religion restent omniprésents dans notre quotidien de quelque façon que ce soit, et l’affectent avec une vigueur inépuisable. Certes, dans le personnage de Dom Juan, Molière concentre un certain nombre de clichés et de travers de son époque, notamment pour constituer en apparence un personnage comique sulfureux, mais celui-ci est-il pour autant privé de sensibilité ? Certainement pas, dans la mesure où sa posture radicalement provocatrice, hors norme au sein de la société policée de l’époque de Louis XIV, incarne symboliquement une pensée souterraine qui la ronge de l’intérieur et une façon d’être qui en représente d’autre part une application dramatique expérimentale. Peu importe que Dom Juan soit in fine terrassé par le Ciel, le chemin parcouru pour arriver à ce dénouement moral obligé donne à voir un personnage émancipé de toutes les contraintes sociales au mépris de tout scandale. C’est ce dont nous persuade la création de David Bobée qui conçoit Dom Juan non pas comme un personnage comique risible mais comme celui qui est doué d’une profonde sensibilité humaine.

Dom Juan Bobée
Dom Juan, mise en scène par David Bobée, Théâtre du Nord © Arnaud Bertereau

      Comme c’est devenu la règle pour les grandes comédies de Molière — L’École des femmes, Le Tartuffe et Le Misanthrope —, les metteurs en scène s’en emparent en atténuant considérablement leurs ressorts comiques pour souligner la trajectoire tragique intrinsèque des personnages principaux. Dom Juan ne déroge nullement à cette dimension tragique, lisible dans son libertinage effronté qui le conduit à braver le Ciel et par-là à se frayer le chemin en enfer. Les maladresses et les lâchetés de Sganarelle ne manquent pas de provoquer quelques rires, sans aucun préjudice à la relecture sérieuse de Dom Juan de David Bobée, mais ce comique ne fait que relever la cohérence et la complexité du personnage principal agissant conformément à ses convictions libertaires. Le metteur en scène intervient dans le texte en réécrivant certains passages. S’il remplace l’éloge du tabac par celui du théâtre célébré par l’ensemble de la troupe, les spectateurs sont sans aucun doute sensibles à d’autres retouches plus conséquentes sur la réception de la mise en scène : la scène de séduction des deux paysannes cède la place à celle de Charlotte et de Pierrot, ce qui introduit non sans invraisemblance le thème de l’homosexualité ; le père de Dom Juan est transformé en mère ; et les visites qui lui sont rendus dans dernier acte atteint le nombre neuf, avant que Dom Juan ne soit tué par deux coups de pistolet tirés par un personnage (transcendant ?) ambigu. Sans dénaturer la pièce, David Bobée l’adapte et modernise subtilement, comme le fit au reste Molière lui-même avec celle de Tirso de Molina, eu égard aux sensibilités des spectateurs d’aujourd’hui et suivant son projet esthétique.

      La scénographie dessinée par David Bobée nous convainc d’emblée de sa volonté de conférer à sa mise en scène une dimension intemporelle qui provient notamment de l’installation de plusieurs statues en plâtre blanc choisies en une référence ambiguë aussi bien à la sensualité des modèles antiques qu’à celle de la statuaire baroque caractérisée par des allures sinueuses dynamiques. Une énorme statue d’homme nu se trouve ainsi placée au milieu de la scène : sans tête, sans bras, mais avec des pecs impeccables, avec des jambes en V coupés aux genoux, dévoilant deux testicules spectaculairement avachies, le pénis curieusement tronqué. Au-delà de l’idée de la débauche qu’elle inspire avec grâce, cette statue surdimensionnée trône ici en miroir à l’attitude effrontée de Dom Juan. Visible dès le lever du rideau, elle fait sans aucun doute un clin d’œil subversif éclatant à la nonchalance avec laquelle Dom Juan revendique sa volonté de se laisser aller aux amours et de donner ainsi libre cours à ses plaisirs charnels. D’autres statues de tailles moins spectaculaires sont progressivement amenées sur scène, puis déplacées ou manipulées au cours d’autres actes : un cheval renversé, un buste de soldat avec une bouche ouverte et un commandeur sans visage. Avec délicatesse, avec une impression saisissante de pureté, avec une élégante sobriété, cette scénographie sculpturale réactive dès lors des signes et des symboles tirés de Dom Juan aussi bien pour entraîner d’étonnants effets de mise en abîme que pour accentuer le caractère impudemment démesuré de la posture libertaire assumée de Dom Juan.

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Dom Juan, mise en scène par David Bobée, Théâtre du Nord © Arnaud Bertereau

      Le Dom Juan de Radouan Leflahi s’impose dès son apparition comme un personnage dominant sombre, mais séduisant, sûr de lui-même, confiant en ses convictions et sa capacité de jouer les autres à son avantage, qu’il s’agisse de l’infatigable Elvire, des frères prêts à se battre avec lui, de Sganarelle, des paysans, du mendiant, de M. Dimanche ou de la mère. Le côté sombre, voire taciturne dès lors qu’il n’est pas sollicité pour parler, nous persuade que ce Dom Juan se trouve en proie à un grisant ennui métaphysique accentué par la scénographie minérale fondée sur le contraste entre l’immensité cosmique de l’espace et une relative petitesse humaine. Radouan Leflahi arpente ainsi avec souplesse la statue du milieu ou défie avec insolence celle du commandeur, gravite, reçoit ou festoie avec une superbe assurance, avec une vanité désinvolte, au milieu de cet espace démesuré dans lequel son personnage s’affirme au mépris des conventions et préjugés moraux. L’action scénique, entraînant ainsi des frissons métaphysiques, se trouve dans le même temps empreinte d’une certaine poésie amenée, en plus de plusieurs choix musicaux tels que le clapotis des vagues et des morceaux méditatifs apaisants, par des chorégraphies introduites à la place des scènes purement farcesques : la dispute entre Charlotte et Pierrot en une langue asiatique transposée en français grâce au sous-titrage, mais aussi la recherche et le présumé viol de Charlotte représentés sous forme de danses modernes ou l’hallucinante rencontre avec le mendiant voilée dans une fumée blanche coulant sur un fond bleuté, avec des voix en écho. Au milieu de ce trouble fascinant, virevolte un Sganarelle svelte, tiré à quatre épingles, même sans chemise, délicatement incarné par Shade Hardy Garvey Moungondo, dont l’embarras existentiel suscite par moments des rires grinçants en guise de mauvaise conscience.

      Le création de Dom Juan par David Bobée est en un mot superbe ! Et c’est, pour moi, la première création de cette pièce de Molière qui m’a vraiment convaincu. Je l’attendais depuis longtemps, et je l’ai trouvée dans cette relecture intemporelle magistrale, brillamment interprétée par tous les comédiens dirigés avec habileté par David Bobée, en tête avec l’excellent Radouan Leflahi.

Comédie-Française (Studio) : On ne sera jamais Alceste

      On ne sera jamais Alceste est une création tirée des cours de Louis Jouvet donnés entre 1939 et 1940, rassemblés dans l’ouvrage Molière et la comédie classique (1965) : Lisa Guez reprend le premier chapitre consacré à la mise en vie du personnage d’Alceste pour le transformer en une répétition captivante présentée au Studio de la Comédie-Française dans une mise en scène savoureuse (>). Dans les trois rôles retenus, ceux de deux comédiens apprentis et de Jouvet, on retrouve Gilles David, Didier Sandre et Michel Vuillermoz.

      Le processus de création d’un personnage de théâtre est une démarche énigmatique soumise aux effets de mode, ce qui se vérifie d’autant plus rapidement dans le cas des personnages classiques. On ne saurait plus les incarner comme à l’époque de Molière ou au XIXe siècle sans désarçonner les spectateurs contemporains, si ce n’est dans une reconstitution historique revendiquée comme telle, fondée sur la reprise des codes de jeu propres à l’âge classique. Mais dans le cas d’Alceste, il ne s’agit pas de la seule « façon de jouer », il s’agit aussi de l’interprétation psychologique et morale de ce personnage conçu par Molière pour sa comédie de caractère comme essentiellement ridicule et ce, malgré toute la critique sociale qu’il véhicule avec pertinence. C’est que sa relecture rousseauiste (La Lettre à D’Alembert, 1758) renverse de fond en comble la dimension comique d’Alceste en l’imposant peu à peu comme une sorte de paria romantique susceptible d’émouvoir à travers un double échec, celui d’un amant injustement éconduit comme celui d’un plaideur sournoisement battu, échec qui le rassure in fine dans sa résolution de se retirer du monde pour vivre à l’écart des hommes. Tout est dès lors à reconsidérer et à réinventer dans la création d’Alceste et par-là même celle du Misanthrope.

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On ne sera jamais Alceste, mise en scène par Lisa Guez, Comédie-Française (Studio), 2022
© Christophe Raynaud de Lage

      Selon les mots de Jouvet, Alceste échappe à une interprétation définitive figée dans le temps : ses notes représentent dès lors une indéniable source de réflexions qui relèvent autant de la démarche herméneutique qu’elles ne témoignent de la manière de penser le théâtre dans l’entre-deux-guerres. L’entreprise ambitieuse de Jouvet, novatrice pour son époque et restée moderne, inspirée du travail dramaturgique de son maître Jacques Copeau, tient à la création individualisée d’un personnage de théâtre tout en rejetant le faux brillant et les parades gratuites du théâtre de boulevard tiré âprement vers le bas par la promesse du gain. À l’en croire Jouvet, tout repose sur la répétition qui favorise l’appropriation progressive mais fondamentale du caractère d’un personnage : « Dans la répétition, les paroles finissent par convertir les comédiens en ses instruments. » Le défaut qui en ressort d’emblée relève de la volonté d’aller vite en besogne : Michel Vuillermoz dans le rôle de Jouvet arrête ainsi rapidement Gilles et Didier venus pour répéter Le Misanthrope en leur demandant de recommencer sans jouer et de ne faire que dire le texte. Il s’agit non seulement de trouver un ton juste et une posture adéquate en interaction avec l’autre, mais aussi et surtout de comprendre les mobiles les plus intimes du personnage mis en vie pour entrer dans sa peau avec conviction.

      C’est précisément ce qui fait l’objet d’On ne sera jamais Alceste de Lisa Guez : la répétition de la scène 1 de l’acte I du Misanthrope, cruciale pour poser dès le lever du rideau le caractère d’Alceste remonté contre son ami Philinte. La metteuse en scène transforme la scène et la salle du Studio en un amphi accueillant des étudiants de théâtre. Si Gilles David et Didier Sandre font leur entrée en s’installant sur scène et en préparant les accessoires pour la répétition, Michel Vuillermoz dans le rôle de Jouvet entre, quant à lui, en descendant l’escalier et en faisant des remarques sur la création des personnages du Misanthrope aux spectateurs curieusement pris pour étudiants. Les lumières ne s’éteignent que peu à peu pour cantonner l’action sur scène, même si les trois comédiens qui se font finalement passer le rôle de Jouvet ne s’empêchent pas de diriger la répétition depuis la salle. Cette interaction implicite produit un saisissant effet de réel d’autant plus jubilatoire que les comédiens apprentis qui s’essaient à créer Alceste et Philinte représentent les trois comédiens eux-mêmes : Gilles, Didier et Michel. À tour de rôle, ils se retrouvent ainsi chacun dans chacun des les trois rôles pour proposer une variété impressionnante de tons et de postures aussi fantasques pour certains qu’intrigants pour d’autres.

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On ne sera jamais Alceste, mise en scène par Lisa Guez, Comédie-Française (Studio), 2022
© Christophe Raynaud de Lage

      La répétition de la scène 1 de l’acte I du Misanthrope se transforme rapidement en un laboratoire passionnant d’essais et de propositions qui entraînent autant de commentaires sur l’appropriation psychologique du personnage que de remarques sur la respiration, la diction ou les accessoires. Chaque fois que Jouvet arrête les deux comédiens pour les reprendre sur un parti pris, son reproche les fait paradoxalement aussitôt tomber dans un défaut opposé. Quand, par exemple, Jouvet gronde Didier pour une diction lourde et une mauvaise humeur trop prononcée, le comédien reprend le rôle d’Alceste en le rejouant avec une attitude quasi éplorée. Le jeu affecté et une diction trop artificielle entraînent une remarque sur la volonté de raisonner et l’absence de sentiment, ce qui conduit à un excès de pathos. Du tragique, les comédiens basculent dans le pathétique et ainsi de suite jusqu’à épuiser le répertoire de registres possibles. Si cette variété de tons et de postures nous fait penser à celle ébauchée dans la tirade du nez, Michel ne manquera pas de se revêtir en Cyrano non seulement par facilité parce qu’il y est bon, mais aussi pour exprimer son désarroi et sa frustration à l’égard de l’impossible création d’Alceste. Gilles David, Didier Sandre et Michel Vuillermoz se prêtent ainsi brillamment à un jeu entraînant et virtuose pour apporter chacun selon son expérience une touche personnelle aussi bien à cette création foisonnante d’Alcestes qu’à celle de Jouvet et de Philinte. S’ils constatent qu’ils ne seront jamais Alceste, ils nous persuadent au reste qu’ils le sont tous les trois chacun à sa manière.

      On ne sera jamais Alceste, donné au Studio de la Comédie-Française à l’occasion de la saison Molière, est une création pétillante qui entraîne les spectateurs dans l’univers du théâtre en leur livrant de façon ludique la réflexion menée sur la création du personnage le plus problématique du théâtre de Molière. Gilles David, Didier Sandre et Michel Vuillermoz nous épatent à travers un jeu virtuose et virevoltant en partageant avec nous leur brillant savoir-faire.

Comédie-Française : Le Misanthrope de Clément Hervieu-Léger

      La création du Misanthrope par Clément Hervieu-Léger remonte au printemps 2014 : reprise déjà deux fois, en 2015, puis en 2019, cette création fait son retour sur les planches de la salle Richelieu (>) à l’occasion de la saison Molière lancée début janvier 2022 pour célébrer la naissance du « patron » de la Comédie-Française. Si la distribution a évolué depuis, on retrouve toujours avec le même plaisir Loïc Corbery dans le rôle d’Alceste et Florence Viala dans celui d’Arsinoé. En plus de la brillante interprétation, soutenue par tous les comédiens, la mise en scène intemporelle de Clément Hervieu-Léger renferme d’indéniables qualités dramaturgiques qui en font un chef-d’œuvre.

      Si certaines pièces de Molière semblent davantage ancrées dans l’époque historique de leur composition à cause de leurs sujets propres à la manière de penser le monde à l’âge classique, Le Misanthrope compte sans aucun doute parmi celles qui ont le moins vieilli. Ce qui l’emporte dans son cas, c’est le parcours d’un Alceste désenchanté, prêt à se retirer du « commerce des hommes » pour se mettre à l’abri de l’hypocrisie et de la duplicité omniprésentes, liées à l’exercice mondain de la représentation sociale. Selon le parti pris dramaturgique, Alceste peut paraître comme un personnage parfaitement extravagant à cause de son attachement excessif à la franchise, âprement opposé à tout compromis qui favorise le vivre-ensemble : l’excès peut le rendre ridicule au sein d’une microsociété qui se laisse prendre au jeu pour satisfaire à ses prérogatives. La légèreté féroce des liens sociaux et l’impossibilité de tisser des relations sincères, à l’origine de la profonde désillusion d’Alceste, infléchissent néanmoins la signification métaphysique de son attitude « extravagante ». Il peut dès lors paraître, tel un Sisyphe, voué à lutter désespérément contre la complaisance et la coquetterie qui le font reculer à chaque avancée : au terme de son parcours en cinq actes qui se solde par un cuisant échec, après avoir vainement éprouvé les sentiments de Célimène, mais aussi après avoir perdu son procès évoqué en parallèle, Alceste revient en effet à sa résolution initiale qui le hisse paradoxalement au rang de personnages tragiques modernes. 

Le Misanthrope, mise en scène par Clément Hervieu-Léger, Comédie-Française 2014 © Brigitte Enguérand

      Et c’est la recherche de ce tragique moderne qui nous affecte tant dans la mise en scène de Clément Hervieu-Léger. Non pas que le comique en soit complètement banni : plusieurs scènes intègrent des éléments grotesques, tels que ces gestes drôlement apprêtés d’Oronte (Serge Bagdassarian) lors de la lecture de son sonnet dérisoire, et entraînent par-là un rire grinçant. Un rire bien grinçant, dans la mesure où ces éléments qui amusent au premier abord le spectateur enfoncent en même temps Alceste dans ses sombres convictions morales qui le persuadent de vouloir vivre à l’écart des hommes. C’est enfin une question d’équilibre dramaturgique trouvé entre un Alceste désenchanté et ces personnages bons-vivants dont la volonté de briller et de plaire les rend tant soit peu « ridicules », à commencer par Célimène et ses prétendants qui ne cessent de stimuler son penchant pour la coquetterie comme pour la médisance fondée sur le brillant du trait d’esprit. De tels propos et gestes ne sauraient pas ne pas provoquer le rire, d’autant plus que le spectateur les attend souvent avec impatience. Mais ce qu’il y a d’excessif dans ces travers est aussi bien atténué par un jeu sérieux et un air de souffrance d’Alceste que par l’instauration d’ambiances singulières qui soulignent l’impasse de ces postures sociales.

      La scénographie et les costumes, quant à eux, transposent l’action dans une époque vaguement proche de la nôtre. Si le costume cravate en toile d’Alceste a quelque chose de suranné qui évoque la mode de la fin du XXe siècle, et si les pantalons et les vestes en velours portés par les deux marquis tirés à quatre épingles inspirent la même impression, les vêtements des personnages féminins, Célimène comme Arsinoé, ou encore Éliante, semblent tout à fait intemporels : un contraste délicat, plus suggéré que nettement prononcé, produit par-là une tension esthétique entre l’ancrage historique de la pièce et son actualité pour nous persuader qu’à quelques années près, l’action aurait pu arriver dans un passé récent. L’aménagement de la scène va dans le même sens en privilégiant des décors et des accessoires dont l’aspect classique verse dans la même ambiguïté temporelle. Ces éléments classiques nous rappellent en effet inlassablement ce qu’on désigne souvent par le terme de « vieille-France » : sans être hors d’usage ni à la mode, ils renvoient à un certain milieu bourgeois qui n’a pas vraiment disparu. La scène représente par ailleurs un lieu de rencontre ambivalent en confondant curieusement l’intérieur du salon de Célimène et le devant de sa maison : un piano installé à jardin contre une haute paroi blanche, entre une porte et une série de trois fenêtres, contraste en effet avec un grand escalier installé à cour et menant à l’appartement de la coquette. L’ensemble situe ainsi l’action dans un entre-deux spatio-temporel efficace quant à l’impression d’intemporalité.

      Clément Hervieu-Léger invente dans le même temps une fascinante action scénique qui confère à la teneur des propos une résonance résolument mélancolique et ce, dès lors que des attitudes « dérisoires » commencent à se mêler à la « tragédie » d’Alceste. Aucun comédien ne bascule pour autant dans l’excès, si ce n’est, à l’exception près, la Célimène d’Adeline d’Hermy qui se laisse aller lors du déjeuner à d’élégants « fous rires » pour relever le mordant des portraits dressés. Les regards et les sourires gênés des deux marquis, interprétés avec un air de noblesse par Clément Hervieu-Léger et Yoann Gasiorowski, contrastent avec cette jovialité gratuite tout en montrant Célimène isolée dans son rôle de coquette courue par distraction. Ce saisissant contraste donne au déjeuner un goût d’autant plus amer et pesant que la compagnie rassemblée autour d’elle ne s’amuse in fine qu’en apparence et au grand dam d’un Alceste désabusé. C’est enfin la création de ce personnage qui instaure une tension tragique dans une ambiance légèrement folâtre amenée par des effets de lumière pittoresques et des bandes sonores apaisantes. Si Loïc Corbery parvient à contenir la virulence des diatribes d’Alceste à un niveau ferme avec justesse, il donne à l’amour de son personnage pour Célimène une dimension passionnée : son Alceste nous affecte précisément par son déchirement métaphysique entraîné par cet amour dévorant et irrationnel pour une femme qui incarne tout ce qu’il « déteste » et dénonce dès son entrée en scène. Il y a quelque chose de charnel dans les gestes perplexes et les inflexions vibrantes de la voix de Loïc Corbery qui crée un personnage doué d’une étonnante sensibilité.

      Si l’action repose essentiellement sur le dire, tous les comédiens se laissent aller à un pétillant jeu scénique pour pallier toute impression d’immobilisme : le spectateur assiste à une représentation dynamique qui allie avec finesse la parole aux gestes et mouvements, amplement révélateurs des dispositions morales et sentimentales des personnages. Aucun temps mort n’enlise ainsi l’action dans une simple diction : « il se passe toujours quelque chose » qui occupe le regard du spectateur, ne serait-ce que ces entrées et sorties des domestiques qui viennent ouvrir les volets ou qui apportent des objets pour préparer la scène du déjeuner. La manipulation des accessoires remplit peu à peu la scène en suivant l’écoulement d’une journée, pour que celle-ci soit progressivement vidée dès le troisième acte. Si Philinte, incarné avec élégance par Éric Génovèse, ne parvient pas à ramener son ami à un compromis, l’arrivée d’Arsinoé précipite Alceste dans sa pression grandissante exercée sur Célimène. Florence Viala crée ce rôle de fausse prude avec assurance tout en montrant ses délicats détours qui trahissent en sourdine sa rancune contre Célimène comme son penchant pour Alceste. Adeline d’Hermy peut dès lors s’abandonner un charmant persiflage pour convaincre la fausse prude de sa mauvaise foi. La comédienne incarne ainsi une Célimène gracieuse et sûre de sa position privilégiée au sein de la société mondaine. Si rien ne semble la déstabiliser pour de vrai, Adeline d’Hermy montre admirablement que sa Célimène assume coûte que coûte ce rôle de coquette à la mode pour ne rien perdre de son avantage social : certains sourires forcés persuadent pourtant les spectateurs que ce rôle n’est pas vécu sans douleur. L’ensemble est ainsi très subtil et entraînant, pensé au moindre détail plus pour suggérer certains états d’âme que pour donner des réponses toutes faites.

      La création du Misanthrope par Clément Hervieu-Léger est ainsi pour moi la plus élégante et la plus convaincante mise en scène de cette pièce de Molière que j’aie jamais vue. Et je l’ai vue et revue plusieurs fois depuis sa première création pour être ainsi persuadé de ses qualités esthétiques et dramaturgiques éprouvées par le temps.

Comédie-Française – Studio : Le Silence de Molière

      Le Silence de Molière de Giovanni Macchia (1975) fait partie de ces récits de vie qui donnent désormais la parole à ceux que l’histoire a oubliés : cette fois-ci c’est Esprit-Madeleine Poquelin, fille de Molière, qui sort de son silence, attribué à la parution d’un libelle outrancier à l’égard de ses parents, pour évoquer, lors d’un entretien fictif, ses souvenirs d’enfance de son illustre père. Dans une mise en scène délicate d’Anne Kessler présentée au Studio de la Comédie-Française (>), Danièle Lebrun s’empare de la création de ce personnage énigmatique avec une élégance émouvante qui subjugue la salle.

      La vie de Molière a fait l’objet d’une affabulation romanesque en raison de nombreuses zones d’ombre qui la traversent faute de manuscrits et documents d’archives conservés. Son seul enfant parvenu à l’âge adulte, Esprit-Madeleine Poquelin (1665-1723) aurait même contribué à la rédaction de la première véritable biographie de Molière parue en 1705 sous le titre de La Vie de M. de Molière, aussitôt désapprouvée. Malgré les travaux des historiens sérieux qui ont essayé de la reconstituer en s’appuyant sur des faits avérés, des anecdotes savoureuses continuent à alimenter sa légende sans chercher toujours à démêler le vrai du faux. Le destin de sa fille est placé sous le même sceau de mystère, d’autant plus qu’elle perd le père à l’âge de sept ans et qu’elle se retire du monde du théâtre par manque de goût pour le métier de comédienne. Ses souvenirs d’enfance, nourris par des récits de sa mère Armande Béjart et des membres de la troupe, se prêtent aisément à une mise en récit dramatique.

« Alors que nous avons de nombreux portraits de Molière, tous très différents d’ailleurs, se dessine en filigrane des paroles de Danièle un nouveau portrait de lui. Nous passons de l’image d’un Molière star à celle d’un père, d’un artiste, d’un Molière d’une humanité bouleversante. »
Anne Kessler
 

      Dans Le Silence de Molière, Giovanni Macchia imagine la fille de Molière comme une vielle dame qui accepte pour la première fois de parler de son père. Le récit de vie qui s’ensuit se traduit comme un faux dialogue au regard du nombre limité de questions posées : ce parti pris permet cependant d’amener une situation propice au processus de remémoration et de présenter les faits dans un certain désordre propre aux défaillances de la mémoire. Le but n’est pas de les reconstituer avec une véracité absolue, mais de réinventer un personnage sensible tombé dans l’oubli et de donner à son récit fictif une profondeur humaine. On ne peut qu’imaginer qu’il devait être difficile pour Esprit-Madeleine de vivre dans l’ombre de son père disparu et de sa mère rongée par le désir de briller. Avant d’intéresser par des anecdotes de la troupe, le récit d’Esprit-Madeleine s’impose ainsi comme un témoignage poignant sur la vie de cette famille dont on suppose qu’elle se sentait exclue.

« Ce qui nous a séduites avec Anne [Kessler], c’est justement que Macchia, […], a créé avec Esprit-Madeleine, un personnage référencé certes, mais totalement imaginaire. Ce que nous aimons aussi, c’est que les spectateurs sortiront en se demandant : “Mais qui est cette femme ?”, sans pouvoir aller chercher dans une biographie quelconque car ils ne trouveront pratiquement rien ! »
Danièle Lebrun
 

      Dans la simplicité de leur création, Anne Kessler et Danièle Lebrun semblent vouloir faire résonner les fibres les plus intimes de l’âme d’enfant d’Esprit-Madeleine, autrefois bouleversée par la mort de son illustre père ainsi que par la parution d’un pamphlet ordurier. La scène du Studio représente paradoxalement un espace ambigu : un grand miroir légèrement tourné vers jardin se trouve installé à cour derrière un banc noir, sur lequel vient s’asseoir Danièle Lebrun vêtue d’une élégante robe bleu marine et coiffée d’une perruque blanche. Le reflet dans ce miroir fait pénétrer notre regard dans les coulisses pour nous laisser voir une table en bois et des lumières qui ressemblent curieusement aux bougies grâce à un effet de flou.  C’est comme un parfum d’anciens temps qui s’introduit dans la salle pour se mêler aux équipements modernes. Ce mariage subtil entre l’ancien et le moderne construit un lien fort entre le personnage historique et le spectateur d’aujourd’hui.

Le Silence de Molière
Le Silence de Molière, Studio de la Comédie-Française, 2022
© Marek Ocenas

      Si la comédienne reste assise sur le banc tout au long de l’entretien en se tenant droit selon les bienséances liées au paraître dans la société d’antan, elle séduit rapidement les spectateurs : ses gestes gracieux, ses regards rêveurs empreints de nostalgie, son indicible air de souffrance, sa voix douce posée, établissent une telle relation de confiance et d’empathie qu’on confond par moments la comédienne et le personnage qu’elle incarne. C’est ainsi qu’on se laisse entraîner par son récit composé d’autant d’anecdotes épiques que de réflexions polémiques sur Molière. Esprit-Madeleine évoque plusieurs comédiens ou personnes connus tels que La Grange ou Michel Baron, comme elle parle des séjours de Molière à Auteuil ou de l’indifférence d’Armande Béjart à son égard. C’est alors qu’elle rebondit çà et là, comme par inadvertance, sur des sujets plus littéraires pour se demander, par exemple, pourquoi l’image d’une bonne mère n’existe pas dans le théâtre de Molière. Elle rend par ailleurs un hommage caché à ce père adulé en comparant son engagement pour le théâtre avec le cliquant et le confort de Racine qui se serait contenté d’écrire sans jamais monter sur scène. Le plus émouvant est sans doute ce souvenir de Molière qui fit jouer sa fille dans Psyché à l’âge de six ans et qui inventa pour elle le rôle de Louison dans Le Malade imaginaire qu’elle aurait refusé. Danièle Lebrun crée ainsi un personnage sublime qui remue notre sensibilité tout en nous intriguant par son récit.

      Dans la mise en scène d’Anne Kessler donnée au Studio de la Comédie-Française, Le Silence de Molière est tout simplement un spectacle magnifique : Danièle Lebrun nous rend sensibles au récit de vie d’Esprit-Madeleine avec une telle conviction que la magie de théâtre opère ici plus que jamais.

Théâtre Montansier : Le Tartuffe

      La Compagnie Yves Beaunesne (>) propose une nouvelle création de l’immortel Tartuffe de Molière dans une mise en scène brillante qui fait un délicieux froid dans le dos. Présenté au Théâtre de Liège début janvier 2022 (>), ce Tartuffe est parti en tournée à travers la France : le Théâtre Montansier à Versailles (>) l’a accueilli en premier dans sa belle salle dès fin janvier.

      Depuis sa première création versaillaise en trois actes à l’occasion des festivités de L’Île enchantée (1664), Le Tartuffe n’a jamais cessé d’intriguer par sa dimension hautement polémique ainsi que par des ambiguïtés morales qu’il engendre pour se couler dans les codes dramatiques en vigueur à l’âge classique. Les metteurs en scène ne se retrouvent jamais à court d’idées pour interroger ce texte impossible à renfermer dans une interprétation définitive qui balaie les précédentes, sans établir avec elles un rapport dialectique. Le 400e anniversaire de la naissance de Molière voit même une curieuse éclosion de plusieurs versions du Tartuffe inscrites toutes dans des projets dramaturgiques aussi différentes quant à leurs choix esthétiques qu’originales dans leurs réalisations scéniques pensées pour relancer son inépuisable renouvellement. Après celle de Macha Makeïeff créée au Théâtre de la Criée à Marseille et celle d’Ivo van Hove donnée à la Comédie-Française, Yves Beaunesne trace adroitement son propre chemin tout en se distinguant de ses confrères tant par une vision très sombre de la famille bourgeoise que par certaines solutions saillantes qui infléchissent radicalement la signification du texte.

Le Tartuffe, mise en scène par Yves Beaunesne, 2022 ©Guy Delahaye

      Il n’est plus dans l’usage de jouer Le Tartuffe dans des tonalités comiques, même si certains propos ne manquent jamais de provoquer quelques rires, aussi légers soient-ils. La dramaturgie contemporaine a amplement retourné la comédie traditionnelle en prenant le contre-pied des procédés farcesques et comiques triomphant à l’époque de Molière. Pour actualiser le texte du Tartuffe, les metteurs en scène dotent en effet ses personnages d’une plénitude psychologique au détriment des caractères ou en révèlent des non-dits et l’implicite en dépassant la logique des passions cartésiennes et ce, pour remettre en cause les convenances sociales qui les font agir selon les bienséances classiques. Yves Beaunesne fait partie de ces metteurs en scène perspicaces qui s’emparent du Tartuffe pour en proposer une relecture troublante. Il déconstruit les scènes plus célèbres pour leur conférer une nouvelle dynamique. Il enferme les personnages dans une solitude collective tout en soulignant leur incompréhension mutuelle et leurs divergences. Ces personnages semblent vivre dans un quasi huis-clos qui les plonge chacun dans une souffrance latente, si ce n’est, pour Orgon, dans une autosatisfaction sourde aux cris de détresse émis par les membres de sa famille. S’il y a peu de place pour le comique, des tensions souterraines entre les personnages qui ne parviennent plus à s’entendre, à commencer par le couple Mariane-Valère, instaurent ainsi une ambiance pesante aux confins de tragique.

Le Tartuffe, mise en scène par Yves Beaunesne, 2022 ©Guy Delahaye

      La scénographie situe l’action dans plusieurs pièces attenantes d’un appartement des années 1960. Elle évoque en demi-teinte ces films à scandale qui représentent le milieu bourgeois fracturé de l’intérieur par des conflits générationnels et des interdits sexuels. Quelque chose de lourd se dégage vite de l’aménagement de la salle à manger qui domine la scène au lever du rideau et qui se transforme, dès le troisième acte, en salon de billard. Une grande table rectangulaire fait un clin d’œil aux repas de famille obligés : si les personnages s’y trouvent réunis avant le début de l’action dans une ambiance bon enfant, ils n’y souperont jamais parce que leurs désaccords les désunissent rapidement en les isolant les uns des autres. La scène de dispute entre Mariane et Dorine se déroule ainsi dans l’intimité d’une chambre située à cour, en apparence séparée de la pièce principale par un grand canapé en cuir marron foncé, symbole d’une certaine idée de luxe pesant propre au monde d’affaires ultra fermé. Le salon de billard plongé dans la semi-obscurité renforce par la suite l’impression qu’une opulence rigide retient les personnages dans un entre-soi autodestructeur. Déroulées sur une estrade installée au fond du plateau, les scènes de messe, qui représentent par ailleurs de sublimes intermèdes musicaux empreints de mysticisme d’ordre catholique, ponctuent les premiers actes. Elles transcendent en même temps l’action pour faire ressortir les scandales de cet entre-soi néfaste avec une déconcertante efficacité, tant au regard de la duplicité de Tartuffe que celle d’Elmire, femme d’Orgon.

      Dans cette ambiance troublante, les comédiens créent des personnages étonnants au regard de configurations interpersonnelles inédites. Ces personnages ne se ressemblent pas : leurs caractères et leurs aspirations secrètes n’ont en fin de compte que peu de choses en commun quand on les considère à travers les yeux d’Yves Beaunesne. Le spectateur se demande souvent avec stupéfaction ce qui les fait vivre ensemble sous un même toit, si ce n’est cette unité fondamentale qu’est la famille bourgeoise âprement attachée aux apparences stéréotypées des représentations sociales. Maria-Leena Junker, dans le rôle de Mme Pernelle, détonne d’emblée avec son parler lent et ses gestes soignés qui lui confèrent un aspect maternaliste en décalage avec l’attitude de la famille, à l’exception notable de son fils Orgon entiché de la fausse bien-pensance de Tartuffe. Cette fois-ci, ce n’est pas elle qui se fâche, c’est elle qui énerve délicatement les autres avec son ton doucereux préoccupé. Ce parti pris, tout à fait convaincant, laisse sourdre la tension tenue à fleur de peau pour la faire éclater à d’autres moments choisis avec précision

Le Tartuffe, mise en scène par Yves Beaunesne, 2022 ©Guy Delahaye

      Jean-Michel Balthazar marche dans les pas de Mme Pernelle : son Orgon semble le plus souvent se contenter d’agacer les autres et de provoquer chez eux des réactions tant soit peu frustrées et ce, d’autant plus qu’il semble ne pas écouter ce qu’ils lui disent. Si Damis, incarné par Léonard Berthet-Rivière, ne manque pas de s’échauffer, Dorine, Mariane et Elmire se trouvent toutes piégées par leur position de femmes soumises à l’autosuffisance désarmante d’un Orgon sourd à leurs propos. Johanna Bonnet crée une servante très agile, débordante d’énergie, mais sans un réel effet sur Orgon malgré sa posture imposante et son ton virulent. La Mariane de Victoria Lewuillon, quant à elle, se laisse aller à une souffrance haletante que la comédienne rend avec une sensibilité feutrée. Noémie Gantier, dans le rôle d’Elmire, donne enfin à la femme d’Orgon cette élégance alerte et énigmatique qui cache sous une apparence distinguée des sentiments autres que ceux qu’elle laisse transparaître à travers une posture maîtrisée : c’est lors de la sublime scène de la table qu’elle finit par profiter du long silence d’Orgon pour céder voluptueusement à la pression de Tartuffe. Dans ce florilège d’individualités finement prononcées, Tartuffe incarné par Nicolas Avinée paraît comme un élément fatal qui fait éclater l’unité de la famille d’Orgon : il s’impose par une présence raffinée en demi-teinte, comme s’il cherchait à s’effacer pour mener ses manipulations à l’abri des regards de ceux qui le soupçonnent d’imposture. La posture très élégante qu’adopte Nicolas Avinée le rend même paradoxalement presque sympathique au sein de cette famille agonisante, en manque de vigueur et d’émancipation.

      Le Tartuffe d’Yves Beaunesne repense l’espace et les relations entre les personnages pour instaurer efficacement une atmosphère crépusculaire. Cette création souligne par-là l’essoufflement étouffant des contraintes sociales qui règlent la vie de la famille d’Orgon manipulée par un Tartuffe séducteur. Si celui-ci représente sans doute une force maléfique, son introduction dans cette famille libère paradoxalement les pulsions feutrées de ses membres et les aide in extremis à se reconstruire sur de nouvelles bases. C’est certes une création singulière, mais remarquable par ce qu’elle révèle sur des rapports négatifs implicites entre les personnages.