Petit-Palais : Sarah Bernhardt, et la femme créa la star

      Sarah Bernhardt, et la femme créa la star est une exposition historique présentée au Petit-Palais (>) à l’occasion du centième anniversaire de la disparition de cette comédienne mythique, appréhendée au travers des objets exposés comme une personnalité célèbre œuvrant inlassablement à la construction de son image. Ce parti pris n’invite pas moins à déceler derrière cette image aux accents publicitaires une femme sensible sincèrement passionnée d’art et de théâtre. Cette exposition unique a été préparée avec délicatesse par Annick Lemoine, Stéphanie Cantarutti et Cécilie Champy-Vinas.

      Appelée par Cocteau « monstre sacré », Sarah Bernhardt s’est durablement inscrite dans la culture générale comme la comédienne iconique liée aux représentations de la Belle-Époque et de l’Art-Nouveau. Ce sont sans doute les affiches emblématiques réalisées par Mucha pour ses créations théâtrales qui nourrissent le plus notre intérêt pour le destin romanesque de Sarah Bernhardt, d’autant plus qu’il s’agit des créations marquantes dans l’histoire du théâtre français, à commencer par celles de La Dame aux camélias et de Lorenzaccio (1896), mais aussi celle de La Tosca (1899) de Victorien Sardou qui a in fine inspiré Giacomo Puccini pour son opéra immortel. Quand on cherche à savoir qui est l’énigmatique femme dessinée sur les affiches de Mucha, l’on découvre en effet rapidement un personnage haut en couleurs qui ne manquait ni d’audace ni de talent pour s’imposer spectaculairement comme une figure incontournable de renommée internationale — qu’elle soit adulée par les uns ou dénigrés par d’autres, selon le goût de tout un chacun — au sein de la vie artistique et mondaine parisienne. S’il n’y avait au commencement qu’une certaine passion de théâtre et une indéniable volonté de réussir, Sarah Bernhardt est admirablement parvenue aussi bien à renouveler l’engouement pour ses créations qu’à se construire comme une star moderne.

Sarah Bernhardt, et la femme créa la star
Georges Jules Victor Clairin, Portrait de Sarah Bernhardt, 1876, © Paris Musées / Petit Palais

      Les commissaires de l’exposition consacrée à Sarah Bernhardt proposent un parcours captivant à travers douze salles thématiques tout en instaurant une tension dialectique entre l’image donnée de la comédienne inépuisable montrée à l’œuvre et cette autre image d’autoreprésentation et d’autopromotion qu’elle n’a cessé de forger elle-même au cours de ses périples dramatiques parisiennes comme lors de ses tournées anglaises et américaines. Le nombre de ses représentations semble ainsi impressionnant, qu’il s’agisse des photos, des affiches, des peintures, des sculptures, mais aussi des dessins et des caricatures, voire des enregistrements sonores et cinématographiques. Comme programmatiques s’imposent dès lors, dans la première salle d’introduction, ces illustrations murales grandeur nature composées de photos et images iconiques de l’inoubliable Sarah Bernhardt. Le fil conducteur de l’exposition reste pour autant le théâtre ou l’art de façon générale, dans la mesure où l’activité créatrice de Sarah Bernhardt s’étend sur la peinture et sur la sculpture en particulier, ce que les commissaires ne manquent pas de souligner à plusieurs reprises en dehors de la salle 3 transformée en un véritable salon d’art. Le visiteur suit ainsi un parcours dynamique qui aborde avec équilibre différents aspects de la carrière dramatique et artistique de la comédienne relevée de ses nombreuses photographies qui l’immortalisent à des moments variés.

      La scénographie de l’exposition nous plonge avec élégance dans des salles aménagées avec une certaine sobriété pour mettre pleinement en valeur les objets exposés tout en mêlant des espaces de dimensions moins importantes à de grands espaces d’allure spectaculaire. La sobriété n’exclut cependant pas le raffinement avec lequel les commissaires ont disposé les objets exposés. En traversant les salles aux dimensions plus réduites qui traitent d’aspects certes au premier abord épisodiques mais non moins fondamentaux, comme le passage décrié de Sarah Bernhardt à la Comédie-Française (salle 2) ou son engagement en tant qu’infirmière en temps de guerre, les visiteurs pénètrent dans des espaces impressionnants qui soulignent les aspects les plus marquants de sa carrière : la passion durable pour la sculpture retracée dans la salle 3 autour d’une série de sculptures installées sur un tapis rouge sous le patronage de Sarah Bernhardt représentée par Georges Clairon dans son plus célèbre portrait, ainsi que ses plus grands succès théâtraux — Froufrou, La Dames aux camélias, La Tosca, Cléopâtre, Lorenzaccio ou Phèdre — racontés notamment dans la salle 5 non seulement à travers des photographies d’époque et les célèbres affiches de Mucha, mais matérialisés aussi grâce à de magnifiques costumes portés par Sarah Bernhardt lors de leurs représentations. La salle 9, quant à elle, est consacrée au succès triomphal de la pièce oubliée d’Edmond Rostand L’Aiglon en exposant aussi bien des photographies qu’un costume d’enfant, plusieurs accessoires ayant appartenu à Sarah Bernhardt et même la maquette conservée pour l’acte II. Mentionnons également la salle 6 où l’on trouve entre autres plusieurs affiches publicitaires réalisées par des artistes renommés, et la salle 7 aménagée comme un petit wagon avec des tables interactives installées pour amener les visiteurs à reconstituer le parcours inédit des tournées internationales organisées par Sarah Bernhardt tant pour pallier ses problèmes financiers que pour donner du lustre à son rayonnement mondial.

      Les visiteurs s’attendent sans doute à (re)voir les pièces les plus connues telles que son célèbre portrait provenant des collections du Petit-Palais, les affiches de Mucha ou son buste en marbre teinté de Jean-Léon Gérôme exposé au Musée d’Orsay, ce qui ne porte aucun préjudice à l’intérêt du parcours proposé parce que ces pièces maîtresses se trouvent subtilement recontextualisées par d’autres objets et des commentaires riches. Si elles réactivent d’emblée les représentations stéréotypées de Sarah Bernhardt, les nombreuses photographies et les portraits réunis, comme ceux de Louise Abbéma, semblent comme insuffler une identité organique à ces représentations figées dans le temps par des raccourcis inauthentiques et par-là comme reconstruire l’identité historique de Sarah Bernhardt ancrée dans la vie parisienne de la Belle-Époque en particulier. On décèle dès lors avec plaisir le réseau de ses relations avec des hommes de lettres et de théâtre ainsi qu’avec des artistes de son temps. L’on se trouve émus par plusieurs témoignages accompagnés de photographies, comme ceux de Maurice Rostand qui évoque la création de L’Aiglon et qui prend en photo son père Edmond et Sarah Bernhardt en train de jouer aux cartes. L’on est en revanche frappé par les costumes et les accessoires exposés non pas seulement parce qu’ils sont beaux et qu’ils ont réellement appartenu à Sarah Bernhardt, mais aussi parce qu’ils sont parvenus jusqu’à nous comme des preuves matérielles de son existence : l’on tombe immédiatement sous leur charme, comme sous celui de cette splendide robe crème que la comédienne portait dans Froufrou.