Archives de catégorie : 02- Saison 2019/20

Voici les critiques des pièces de théâtre de la saison 2019/20 sauf celles données à la Comédie-Française et à Odéon classées dans deux catégories spécifiques.

La Scène Parisienne : Un tramway nommé Désir

      Un tramway nommé Désir est l’une des plus célèbres parmi les pièces de Tennessee Williams. Mise en scène par Manuel Olinger, elle est jouée au théâtre La Scène Parisienne (>).

      Un tramway nommé Désir est devenue aujourd’hui une pièce mythique que tout amateur du théâtre connaît pour l’avoir lue ou pour avoir vu son adaptation cinématographique d’Elia Kazan avec Vivien Leigh et Marlon Brando. Pour les spectateurs avertis ou des connaisseurs inconditionnels de l’œuvre bouleversante de Tennessee Williams, toute nouvelle mise en scène apparaît ainsi comme une opération très délicate de reprise ou de renouvellement. Il n’est en effet pas évident de proposer une interprétation tant soit peu originale sans trahir le soi-disant esprit de la pièce. Reproduire ou restituer simplement est une démarche plate qui ne suscite pas l’enthousiasme du public. Revoir le texte de fond en comble et élaborer une mise en scène décapante risquent au contraire d’agacer parce que le spectateur peut avoir l’impression de ne plus retrouver sa Blanche, sa Stella et son Stanley (Un tramway de Warlikowski, Odéon, 2010). L’entreprise dramatique de Manuel Olinger se situe davantage du côté de la restitution à la recherche de la couleur locale et des émotions fortes. Comme « l’adaptation cinématographique ne correspondait pas à la vision qu[’il] avai[t] de l’œuvre, trop actée sur la relation de Blanche et Stanley, » il souhaitait nous donner la version de la pièce revue selon sa lecture personnelle. Dans cette reprise d’Un tramway nommé Désir, Manuel Olinger travaille donc sur les relations entre tous les trois personnages principaux tout en redorant le blason de Mitch. Son avantage est d’avoir à sa disposition des comédiens qui parviennent aisément à entrer dans leur rôle et à les porter à la scène : Julie Delaurenti (Blanche), Murielle Huet Des Aunay (Stella), Manuel Olinger (Stanley Kowalksi), Gilles Vincent Kapps (Michtell) et Jean-Pierre Olinger (Steve et saxophoniste). Mais la mise en scène en tant que telle suscite d’abord quelques réserves quant à son originalité.

      Le regard d’un spectateur averti reconnaît rapidement la disposition de l’espace scénique constitué des éléments de décor qui figurent l’appartement exigu et modeste de Stella et Stanley. En balayant la scène de gauche à droite, on remarque un balcon en fer forgé mobile, un vieux lit de fer couvert de draps clairs, derrière lequel une commode rouge foncé est remontée d’un miroir, ensuite une table blanche avec quatre chaises, une salle de bain, visible au fond de la scène, derrière une paroi avec un petit placard de rangement, un lit pliable, enfin un petit escalier d’entrée. Ces meubles usés témoignent bien des conditions matérielles dans lesquelles vivent les Kowalski et amènent l’ambiance de la Nouvelle-Orléans des années 40. Mais comme la scénographie construit l’espace scénique en suivant fidèlement les indications du dramaturge, elle n’offre finalement au regard du spectateur qu’un cadre banal sans invention particulière et ne tient qu’à la recherche de la couleur locale.

      Cette recherche de la couleur locale est d’autre part soutenue par le choix des costumes : conformément à l’espace scénique historicisant, les personnages sont habillés selon la mode de l’époque. Stanley porte un pantalon noir et un t-shirt noir assorti çà et là d’un gilet. Stella, quant à elle, doit se contenter de vêtements modestes mais jolis et qui ne manquent pas de relever sa féminité. La garde-robe de Blanche censée rentrer dans les deux malles avec lesquelles elle débarque chez les Kowalski impressionne tout de même par sa variété clinquante. Elle est constituée de costumes classiques propres à la profession d’une professeur d’anglais, mais aussi de robes de soirée élégantes pour sortir et qui contrastent avec l’appartement des Kowalski. L’habillement des personnages renforcent ainsi l’impression d’assister à une mise en scène qui s’appuie sur un décor réaliste porté à une plate appréciation esthétique : le cadre matériel ne sollicite pas davantage l’imagination du spectateur. C’est en revanche le jeu des comédiens qui le fait réellement vibrer.

“Après avoir abordé Molière, Hugo, Claudel, qui sont des auteurs à texte, j’avais envie de m’attaquer à une œuvre américaine qui met en valeur le contexte et qui appelle le jeu, ce qui demande une direction d’acteur pointue. C’est un théâtre contextuel et non textuel qui laisse une part importante à l’acteur d’incarner  leur personnage.”
Manuel Olinger, Un tramway nommé Désir,
La Scène Parisienne, Dossier de presse.
 

      La lecture de la pièce conduit le spectateur à se représenter Stanley comme un mâle dominant qui n’est pas très raffiné et qui est tout l’opposé de l’univers originel des deux sœurs. C’est ce personnage que Manuel Olinger tente de faire renaître sur scène et ce, avec succès : sa stature, les mouvements brusques mais sûrs ainsi que les inflexions profondes de sa voix de baryton rendent crédible la création de son personnage. À l’instar de Marlon Brando, il joue cruellement avec Blanche en la pourchassant sans répit comme un gros chat poursuit une petite souris fragile à la recherche d’un endroit sûr. C’est ce jeu fascinant que Manuel Olinger parvient à imposer à Julie Delaurenti qui s’ébat désespérément entre ses mains jusqu’à un départ forcé. La présence imposante de Stanley se fait sentir dans les postures incertaines de Julie Delaurenti même quand il n’est pas sur scène. Manuel Olinger monte dans les degrés à tel point que le spectateur n’est jamais vraiment sûr de ce qui va se produire même s’il connaît la suite. Mais si Stanley parvient à protéger son territoire devant l’intrusion de la sœur manipulatrice qui met à mal l’harmonie brisée de son couple, celui de Manuel Olinger paraît plus agressif et beaucoup moins rêveur par rapport à celui de Marlon Brando. Julie Delaurenti, quant à elle, crée une Blanche légèrement hystérique et plus nerveuse, plus déstabilisée que ne le fait Vivien Leigh : sa Blanche est moins lunatique et semble assumer davantage ses mensonges dont elle se sert pour cacher sa chute tragique. Le raffinement et l’innocence apparente de Vivien Leigh cèdent le pas à une interprétation plus crue, plus animale, plus expressive de sorte que Julie Delaurenti donne à sa Blanche une dimension plus humaine.

      Quant au personnage de Stella, dans le film d’Elia Kazan, l’actrice qui l’incarne a l’air largement naïve : elle semble croire aux mensonges et à l’innocence de Blanche. L’interprétation de Murielle Huet Des Aunay est plus nuancée. Certes, Stella défend sa sœur contre les accusations de Stanley comme l’indiquent les répliques, mais l’inquiétude que l’on observe dans le jeu de Murielle Huet Des Aunay nous persuade que Stella cherche plus à protéger sa sœur chérie qu’elle n’adhère à ses propos fallacieux. Cette inquiétude combinée à une certaine réserve suggère que Stella se doute que tout n’est pas comme Blanche le raconte. Murielle Huet Des Aunay construit donc un personnage moins partial et plus profond. On est impressionné par la sensibilité avec laquelle elle prête son corps à Stella partagée entre l’amour de Stanley et celui de Blanche.

      Le jeu des acteurs relève donc la scénographie qui reproduit platement les codes esthétiques d’antan. On prend un vrai plaisir à retrouver sur scène Stanley, Stella et Blanche dans des interprétations plus nuancées par rapport au film d’Elia Kazan. Ce constat montre en même temps qu’Un tramway nommé Désir n’est pas une pièce facile à monter : la porter à la scène représente un véritable défi tant pour un metteur en scène et son scénographe que pour des comédiens.

Comédie-Française : Angels in America

      Angels in America est une pièce de Tony Kushner nouvellement créée à la Comédie-Française (>), salle Richelieu, sous la baguette du cinéaste Arnaud Desplechin. Cette mise en scène était attendue avec impatience ne serait-ce qu’au regard de la distribution retenue : Dominique Blanc, Florence Viala, Jennifer Decker, Michel Vuillermoz, Jérémy Lopez, Clément Hervieu-Léger, Christophe Montenez, Gaël Kamilindi.

      Le sujet de cette pièce, devenue mythique aux États-Unis dans les années 90, n’est pas facile à aborder sur les planches de la première scène en France : les années SIDA en Amérique au moment où la maladie fait rage parmi les homosexuels les plus touchés et au moment où les traitements médicaux ne sont pas encore développés. Après Les Idoles de Christophe Honoré présentées à l’Odéon l’an dernier et qui se saisissaient de la même problématique sociale en France à travers des rencontres fictives entre des artistes morts du SIDA, la Comédie-Française montre à son tour qu’elle ne connaît aucun tabou quant au choix des sujets ou même des metteurs en scène. Si le sujet a tout de même de quoi surprendre ses habitués, confier la mise en scène à un cinéaste peut lui aussi les laisser dubitatifs et, ce d’autant plus que l’organisation du texte fait plus penser à un scénario qu’à une pièce de théâtre. Arnaud Desplechin a donc été confronté à un défi épineux : créer une pièce célèbre dont le sujet est explosif et dont l’écriture est singulière. Il s’est cependant emparé de cette tâche avec une sensibilité particulière pour proposer une création d’Angels in America sobre, mais élégante, drôle et émouvante à la fois. Son incontestable avantage est de pouvoir travailler avec les meilleurs comédiens.

 

      La question qu’on se pose avant d’aller voir Angles in America est celle de la manière de traiter la multiplicité des lieux dramatiques. Au cours des deux parties de la pièce, l’action promène constamment les spectateurs d’un lieu à l’autre : cimetière, appartement de Louis et Prior, celui de Joe et Harper, bureau de Roy Cohn, hôpital, café ou restaurant, rue, Central Park… La course semble folle compte tenu des changements rapides entre les scènes étonnamment courtes pour une action dramatique. Arnaud Desplechin et son scénographe Rudy Sabounghi ont cependant trouvé une solution aussi classique que peu usitée de nos jours : de grands rideaux de velours bleu foncé séparent différentes scènes tout en favorisant la fluidité du spectacle, alors même que, pour certaines d’entre elles, deux espaces dramatiques simultanés se succèdent vite à l’aide d’un simple éclairage. Ces grands rideaux quelque peu surannés amènent peut-être plus aisément l’ambiance de la seconde moitié des années 80, avec un clin d’œil à certaines émissions télé, en plus des costumes et des références culturelles des personnages. Le spectateur s’y habitue petit à petit tout en se laissant séduire par la beauté de scènes relevée par la projection symbolique d’un paysage. Les personnages se retrouvent devant une fontaine surmontée d’un ange en bronze, dans une allée enneigée du Central Park ou sur une plage plongée dans la brume… On se laisse entraîner par un tel traitement de l’espace d’autant plus que d’autres scènes montrent des hallucinations de Harper ou celle de Roy et des visitations de Prior par l’Ange d’Amérique. Et lorsque le lit d’hôpital disparaît sous la scène aux cris d’un malade, celui-ci semble comme abandonné de Dieu et tiraillé par les bas-fonds de l’enfer. La frontière entre le réel et le surnaturel s’efface au profit d’une symbiose d’éléments disparates.

      En plus de la sobriété de la scénographie, Arnaud Desplechin a opté pour la retenue dans le choix des costumes, des postures et du jeu des comédiens. Sans provocation gratuite et sans le kitch souvent associé à l’image des homosexuels, la mise en scène met l’accent sur la création individualisée des personnages tout en faisant résonner des aspects brûlants de l’histoire à travers les émotions mitigées que les comédiens suscitent chez les spectateurs. Ce n’est pas pour autant qu’Arnaud Desplechin renonce entièrement aux clichés. On pense, par exemple, à cette scène où Prior malade, habillé d’un peignoir orange aux motifs floraux, se travestit en femme tout en menant une conversation hallucinée avec Harper, femme schizophrène de Joe. Avec une touche d’effémination, Prior porte d’autre part des vêtements légèrement colorés et des cheveux longs qui laissent transparaître son orientation sexuelle. Mais le jeu de Clément Hervieu-Léger atténue les excès qu’une telle attitude peut sous-entendre : le comédien crée au contraire un personnage déchiré par sa maladie, abandonné de son copain Louis ― qui lui, interprété par Jérémy Lopez, imprime au sien un look hétéro ―, et perturbé par les visitations de l’Ange. Prior est le seul personnage principal qui incarne un cliché d’homosexuel : ni Louis ni Joe (Christophe Montenez) ni Roy Cohn (Michel Vuillermoz) ne cherchent à inscrire leur posture ou leur jeu dans une quelconque effémination. Cette retenue dans la création de personnages socialement décriés, à cause de leur orientation sexuelle et de leur maladie, confère à la mise en scène un aspect émouvant que le rire provoqué par certains propos n’efface pas.

 

      Le personnage le plus sulfureux de la pièce est l’avocat républicain Roy Cohn qui a réellement existé et qui incarne une vision cynique et ringarde de ce que représente l’Amérique : fort de son succès obtenu grâce à ses manœuvres et à son réseau, Roy Cohn méprise tout et tout le monde. Il est brillamment interprété par Michel Vuillermoz qui souligne avec conviction son caractère orgueilleux et calculateur. Le comédien s’en saisit avec cette sorte de vigueur qui dévoile une personnalité diabolique sans limites et sans respect de rien d’autre que de sa propre réussite. Ses intonations fermes, sa voix grave et ses gestes plus que sûrs persuadent le spectateur que Roy Cohn ― et tous ceux que la pièce représente en lui ― ne reculera jamais devant rien ni personne. Homosexuel non assumé et homophobe, l’avocat est rattrapé par la maladie du SIDA mais qui, elle non plus, ne le fait pas plier : il se bat jusqu’au dernier souffle pour préserver la façade trompeuse de son intégrité. Ce faisant, le patient Roy nargue, avec des propos racistes, l’infirmer black qui y répond avec un grand sens de repartie et avec des postures gays. La légèreté virevoltante de Gaël Kamilindi qui crée, entre autres, le personnage de l’infirmier, parvient à susciter le rire et à dédramatiser les propos autrement scandaleux de Roy Cohn.

Angels in America, Comédie-Française, 2020 © Marek Ocenas

      La mise en scène d’Angels in America est enfin auréolée par Dominique Blanc qui, comme les autres comédiens, endosse plusieurs rôles : le rabbin du début, le docteur de Roy Cohn, le général russe ou l’Ange Asiatica ― rôles d’autant plus éphémères dans la pièce que ces personnages n’interviennent qu’une seule fois dans l’action ―, mais aussi la communiste exécutée Ethel Rosenberg et la mère de Joe, Hannah Pitt. La variété dans la création de ses personnages rend le travail de la comédienne peut-être plus difficile dans la mesure où elle ne crée cette fois-ci que des personnages secondaires. Mais on ne doute jamais du talent de Dominique Blanc : elle ne néglige aucun personnage, parvenant au contraire à les individualiser par son jeu, même ceux qui paraissent les plus stylisés. On la reconnaît certes dans des habits d’hommes, mais Dominique Blanc varie d’autant dans son jeu que les personnages qu’elle joue ne se ressemblent pas : ils se distinguent par leurs intonations, leurs accents, leurs gestes, leurs mouvements. C’est valable aussi bien pour les personnages masculins que pour les personnages féminins : Ethel Rosenberg et Hannah Pitt.

      Inscrite au répertoire de la Comédie-Française, Angels in America de Tony Kushner compte parmi les pièces phares du théâtre américain contemporain. Jouer cette pièce est un nouveau pas de la maison de Molière dans la modernité comme c’était le cas il y a deux ans avec Poussière de Lars Norén et, ce à travers des textes contemporains portés par les comédiens toujours brillants.

Interview avec Arnaud Desplechin au sujet d’Angels in America à la Comédie-Française.

Odéon (Berthier) : Un conte de Noël

      Un conte de Noël est une nouvelle création de Julie Deliquet qui, cette fois-ci, adapte pour le théâtre le film éponyme d’Arnaud Desplechin (2008). Il s’agit d’une production du Collectif In Vitro jouée en tournée aux ateliers Berthier-Odéon (>) et en régions.

      Après Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman, adaptée en 2019 pour la Comédie-Française, Julie Deliquet poursuit son travail de metteur en scène en puisant une nouvelle fois dans le cinéma. Comme elle l’explique elle-même, ce choix n’est pas le fait du hasard. Julie Deliquet continue à explorer la famille au sens large et les relations qu’engendre cette unité sociale plus ou moins ouverte sur le monde extérieur. Elle choisit alors un film récent présenté au Festival de Cannes il y a une dizaine d’années et qui a connu un succès honorable auprès du public comme film d’auteur. Le passage de l’écran à la scène n’est cependant pas une entreprise ordinaire qui aille de soi dans la mesure où la fabrication d’un film et celle d’un spectacle vivant ne répondent pas aux mêmes enjeux techniques et esthétiques. Le théâtre peut, certes, promener les personnages d’un lieu à l’autre comme au cinéma, ce qui n’est plus une démarche répréhensible, mais l’action dramatique en garde habituellement des traces fâcheuses. Le spectateur qui connaît le film original risque en outre de se sentir trahi par le metteur en scène parce qu’il ne peut pas le restituer tel quel. La question de réécriture ou de fidélité se pose peut-être moins pour Bergman dont l’expérience artistique est marquée autant par le cinéma que par le théâtre. Ce travail d’adaptation devient plus délicat dans le cas d’Un conte de Noël d’Arnaud Desplechin que Julie Deliquet réussit pourtant à porter à la scène grâce à une réécriture dramatique remarquable. Sa version théâtrale efface toute trace de cinéma en exploitant au maximum les possibilités scéniques.

J’avais déjà commencé l’adaptation de Fanny et Alexandre à la Comédie-Française au moment où j’ai pensé à Un conte de Noël. Le rapport du théâtre au cinéma me passionne, mais avec toutes les adaptations filmiques qui ont envahi nos scènes ces dernières années, j’en suis très vite venue à me poser la question : comment les réalisateurs eux-mêmes se situeraient-ils face au fait que l’on “emprunte” leurs films ? J’ai voulu trouver un auteur-réalisateur qui non seulement me donnerait son accord, mais qui entamerait avec moi un dialogue entre le théâtre et son cinéma.
Entretien avec Julie Deliquet,
Programme d’Un conte de Noël, Odéon, 2020.
 

      Le dispositif bi-frontal relève sans doute de ces choix dramaturgiques qui aident Julie Deliquet à ne pas tomber dans le piège d’une adaptation complaisante avec le film source. L’ouverture de l’espace scénique aux spectateurs placés en gradin l’oblige à repenser la disposition matérielle des comédiens et de la scène. Celle-ci représente, tout au long de l’action, sans changement de décor, le salon oblong des Vuillard situé dans la maison familiale d’Abel et Junon. Elle est fermée des deux côtés latéraux par de grandes baies vitrées à carreaux. D’un côté se trouve un vaisselier ancien en bois massif foncé devant lequel est placée une grande table entourée de chaises ; de l’autre, un arbre de Noël avec des illuminations brillantes, un piano, une écritoire surmontée d’étagères avec des photos de famille, une bibliothèque en bois et une chaise balancelle en fer blanc ; au milieu, deux lits bas, l’un flanqué d’une lampe, l’autre d’un placard ouvert contenant une radio ancienne et une platine vinyle. Cette installation des décors dans un lieu unique confère à la transformation d’Un conte de Noël en pièce de théâtre l’avantage d’un cadre stable qui favorise le déploiement d’une action purement dramatique. Les décors et les costumes des personnages, tous datés, situent, d’autre part, l’action bien avant les années deux mille à un endroit peu précis en France. Que ce soit Roubaix, on ne l’apprend qu’accessoirement à partir des propos des personnages. Julie Deliquet ne cherche donc pas de couleur locale : elle va droit au cœur d’un drame familial en s’appuyant sur une scénographie à la fois réaliste et fonctionnelle.

      Ce qui réunit la famille dispersée en plus des fêtes de Noël, c’est la maladie de Junon : le cancer de la moelle osseuse et la recherche d’une greffe compatible parmi les membres de la famille, enfants et petits-enfants. Or, le retour imprévu d’Henri, fils prodigue disparu depuis six ans à l’instigation de sa propre sœur Elisabeth, met le feu aux poudres tout en conduisant à des règlements de compte ou à des révélations qui affectent toute la famille. L’action dramatique se noue principalement autour de cette figure excentrique qui suscite des sentiments opposés : la haine d’Elizabeth (et de la mère ?), ainsi que l’amour du père et du frère Ivan, ou même l’indifférence d’autres membres de la famille. Henri est d’autant plus un personnage clé que son sang, avec celui de Paul, fils schizophrène d’Elizabeth, est compatible avec celui de Junon pour la greffe. Elizabeth qui le déteste voudra à tout prix obtenir qu’Henri soit éliminé au profit de son propre fils. L’arrivée enthousiaste dans la maison familiale ne fait ainsi que poser le cadre d’un drame grotesque qui va progressivement se dérouler. Cet enthousiasme paraît même surjoué à travers des embrassades et des tapotements excessifs, notamment dans le cas d’Ivan et de Simon, neveu de Junon. Mais le spectateur comprend par la suite qu’une telle posture relève des personnalités problématiques des deux hommes fragiles qui rajoutent du sel au drame familial notamment à travers Sylvia, femme du premier mais aimée des deux. Un conte de Noël de Julie Deliquet exploite donc les tensions et les conflits qui peuvent exister au sein d’une famille nombreuse en apparence tout à fait ordinaire et heureuse.

      Le drame qui se joue chez les Vuillard montre divers conflits interpersonnels sans pour autant les résoudre de manière définitive. À la fin, chacun reviendra à son quotidien dans la bonne humeur comme si de rien n’était. Ce retour étrange à l’ordinaire après un Noël déchirant surprend le spectateur qui s’attendait sans doute à une leçon ou à un message explicite. Le spectacle lui tend pourtant le miroir dans lequel se reflètent ses propres fantasmes à la faveur d’un rire grinçant et d’un humour parfois noir qui se mêlent à l’émotion provoquée par des situations pathétiques. Certains propos et certaines révélations frôlent même l’absurde, tant ils paraissent incongrus ou à la limite du possible. Le ton est donné dès le début de l’action, dès lors que Junon rentre de l’hôpital en plaisantant sur sa maladie mortelle avant de pleurer dans les bras d’Abel. Ni le rire ni l’émotion ne s’imposent durablement sur scène, ils alternent constamment tout en se mélangeant parfois de manière ambiguë. Les excès d’Henri favorisés par l’alcool ne manquent d’amuser autant certains personnages que les spectateurs. Mais ce ne sont que des parades qui trahissent la plupart du temps des personnages déséquilibrés et en souffrance faute d’arriver à trouver une place et une reconnaissance au sein de la famille. Henri appelle Junon « la femme de son père », ne se gênant pas de lui manifester son amertume, de lui dire sa haine, mais il est en même temps prêt à lui donner sa moelle dont elle-même semble avoir peur. Le spectateur se trouve ainsi balloté entre le rire et l’émotion grâce à une variété remarquable des personnages créés par des comédiens attentifs à leur personnalité. Ceux-ci lui dévoilent en même temps des sentiments refoulés par respect des conventions morales inculquées depuis l’enfance. C’est à cet égard que la mise en scène de Julie Deliquet interpelle le spectateur.

      Comme  Fanny et Alexandre dont la première partie se déroule au théâtre, Un conte de Noël de Julie Deliquet est lui aussi empreint d’une dimension méta-théâtrale. Junon et Elizabeth brisent à deux reprises l’illusion théâtrale en s’adressant aux spectateurs pour donner leur point de vue sur la famille. Elizabeth est en outre une metteuse en scène qui remporte un grand succès à Londres, alors que sa nièce Esther fait des études théâtrales. La famille peut ainsi se lancer, sous la baguette d’Esther, dans la répétition du Titus Andronicus de Shakespeare. Tous les Vuillard revêtent alors d’un costume de théâtre à la romaine pour jouer la scène sanglante du banquet à la place du repas de Noël dans la pénombre féerique amenée par l’éclairage aux bougies disposées sur la table. Ils commettent une série de meurtres symboliques déclenchée par celui de Lavinia violée, tuée par son propre père Titus. Tout effrayés, ils s’arrêtent cependant au moment où Paul/Lucius brandit un vrai couteau. C’est que cet enfant schizophrène l’avait précédemment dressé contre sa propre mère. Cette mise en abyme singulière révèle spectaculairement les fantasmes refoulés des Vuillard qui finissent par remercier Esther pour la mise en scène du banquet sanguinaire.

       La création réussie d’Un conte de Noël sous la baguette de Julie Deliquet est soutenue par l’excellent jeu de tous les comédiens. Les limites que cette création franchit à travers un fond d’humour débridé fascinent le spectateur tout en interrogeant ses propres rapports familiaux tant soit peu harmonieux jusqu’à ce que les masques sociaux ne soient levés.

Petit Montparnasse : Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ?

      Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ? est une pièce d’Éric Bu & Elodie Menant, mise en scène par Johanna Boyé. Elle est actuellement jouée au Théâtre du Petit-Montparnasse (>).

      Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty se présente comme un spectacle musical sur la vie de la célèbre comédienne Arletty (1898-1992). De tels enjeux dramatiques suscitent toujours une certaine méfiance chez les spectateurs à la recherche de qualités artistiques : les facilités romanesques de l’action combinée à des chansons aux accents pathétiques ont de quoi les mettre mal à l’aise. On connaît de plus les succès éphémères de tels spectacles qui tiennent l’affiche pendant quelques semaines pour une rentabilité maximale et dont personne ne souvient après parce que confondus dans l’insignifiance de leur création rapide. Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ? est loin d’appartenir à cette catégorie. C’est un spectacle musical parce que la chanson fait partie intégrante de la carrière de Léonie Bathiat — Arletty, entre autres, pour avoir joué dans plusieurs comédies musicales ou pour avoir enregistré plusieurs chansons. Le choix d’intégrer celles-ci à la création de la pièce participe à la démarche narrative qui tient à mettre en scène la vie d’Arletty en quatre-vingt-dix minutes. Malgré cet aspect musical certes séduisant pour les amoureux du swing, du charleston ou la chanson française de l’entre-deux-guerres, les parties chantées, relevées par des chorégraphies dansées, ne prennent jamais trop de place pour se substituer au déploiement de l’action propre au théâtre parlé : on assiste donc à une pièce de théâtre, qui fait un usage mesuré et intelligent des parties musicales. Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ? est un spectacle de qualité qui évoque avec gaieté des faits souvent peu réjouissants grâce la virtuosité des comédiens.

      Le côté spectaculaire de la vie d’Arletty est symboliquement souligné par les décors polyvalents qui renvoient à l’univers du théâtre : côté cour, un rideau de cordes transparent, avec un fauteuil installé devant ; côté jardin, une sorte de porte ouverte en arche montée sur le piédestal ; et, au milieu, un balcon en fer forgé. La comédienne interprétant Arletty, Élodie Menant, se réserve de plus une entrée théâtralisée en se faufilant parmi les spectateurs avant le lever du rideau et en s’asseyant au premier rang côté jardin, alors qu’à l’autre bout de la salle se trouve installé le piano qui va l’accompagner çà et là pendant le spectacle. Vêtue d’une robe blanche de satin qui lui descend jusqu’aux chevilles, et portant significativement des lunettes aux verres foncés comme les aveugles, la comédienne monte sur scène pour faire démarrer le récit de la vie d’Arletty. Elle s’adresse gaiment aux spectateurs avec son accent typiquement parisien, instaurant d’emblée une proximité complice : comme elle le dira plus tard pour contrer les insistances d’un noble admirateur, elle ne peut pas appartenir à un seul parce qu’elle appartient à tout son public. A plusieurs reprises, elle cherchera à gommer la distance entre la scène et la salle qu’établit symboliquement la rampe. Aspirée dans le tourbillon de sa vie mouvementée, quand elle semble brisée par les événements éprouvants, elle redemande au public où elle en est dans son récit. Enfin, pour terminer sur un ton joyeux, parce qu’elle déclare ne pas aimer la nostalgie, elle relance les autres comédiens en les invitant à chanter.

     Élodie Menant dans le rôle d’Arletty propose un parcours de vie allant de la naissance jusqu’à la mort de la comédienne devenue aveugle, développé autour de plusieurs événements marquants qui s’enchaînent rapidement sans jamais s’appesantir sur les joies, les tristesses ou les hésitations. Elle recrée un personnage plein d’une énergie vitale et d’un humour piquant comme si cette inépuisable vitalité et cet incroyable sens de la repartie devaient lui servir de garants contre les tribulations qui animent sa vie virevoltante. Elle ne pleure jamais longuement, que ce soit la mort de son amoureux lors de la guerre de 14 ou celle de ses parents : pas le temps car la vie continue. Elle se ressaisit comme si elle faisait des saltos pour rebondir chaque fois tout en restant fidèle à quelques principes ou promesses : s’émanciper pour préserver sa liberté ou ne jamais se marier avec un autre. Ce n’est pourtant pas un personnage superficiel malgré le côté quelque peu enfantin qu’Élodie Menant lui confère. Les plaisanteries et les bons mots laissent entrevoir au contraire la part sensible d’une vedette réputée pour une vie facile de cabaret ou pour ses nombreuses rencontres, celles qui la compromettent lors de l’Occupation nazie. Il plane un doute sur le collaborationnisme d’Arletty que la pièce ne cherche pas à lever mais qu’elle semble maintenir grâce au déroulement rapide de l’action, grâce à l’humour omniprésent, même lors de l’interrogatoire, et grâce à l’impression de superficialité, ce qui rend l’action et le jeu d’autant plus crédibles. On sait qu’Élodie Menant n’est pas Arletty, et on semble pourtant y croire.

      Dans la création de son personnage, Élodie Menant est secondée par d’autres comédiens qui n’arrêtent pas d’endosser avec bravoure de nouveaux rôles : les personnages sont nombreux, allant des plus prosaïques tels les parents, en passant par les admirateurs ou amants, jusqu’aux cinéastes, dramaturges ou écrivains tels que Marcel Carmé, Louis Jouvet, Jean Cocteau ou Jacques Prévert, ce qui redonne à Arletty toute son importance au sein de la vie artistique du XXe siècle pour en faire une légende. Quelques clichés – le béret en coton, la cigarette au coin des lèvres et le regard indolent pour Prévert — suffisent souvent pour les reconnaître rapidement. On ne confond jamais les anciens personnages avec les nouveaux qui émergent tout au long du spectacle. Les comédiens ne sont que trois — Céline Espérin (co-autrice de la pièce), Marc Pistolesi et Cédric Revollon, et ils parviennent à imprimer à chaque personnage une individualité qui le distingue des autres : un costume approprié, un changement de voix, des gestes ou des mouvements stylisés se prêtent aisément à réutiliser avec efficacité les mêmes comédiens pour de nouveaux rôles.

      Ça chante, ça danse, ça brille de clinquant, ça vit au Petit Montparnasse lors des représentations de la nouvelle création Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ? Pas de trêve, dès le lever du rideau, pour l’ennui ou les larmes grâce à ce spectacle musical alerte et pourtant raffiné, léger et pourtant profond, joyeux et pourtant touchant. Quelque énigmatique que soit enfin la personnalité d’Arletty, quelle que soit la vérité sur les zones d’ombre de sa vie, l’action nous fait revivre avec charme toute une époque que l’on regarde avec nostalgie du haut de notre début d’un XXIe siècle sans éclat.

Théâtre de la Madeleine : Trahisons

      Trahisons est une pièce du dramaturge britannique Harold Pinter, nouvellement mise en scène par Michel Fau au Théâtre de la Madeleine (>).

      Le théâtre a toujours eu des stars pour remplir les salles, que ce soient des comédiens ou, plus récemment, des metteurs en scène, que ce soit au XVIIe siècle ou de nos jours. Dans le choix des pièces, en particulier pour un abonnement, la distribution et le metteur en scène jouent un rôle important : on aime revoir les comédiens qu’on apprécie, on suit le travail d’un metteur en scène ou on veut le connaître compte tenu de sa réputation. La question se pose avec autant d’acuité pour les pièces de théâtre connues ou que l’on a déjà vu jouer. Pourquoi en effet revoir une énième mise en scène du Tartuffe si celle-ci n’offre rien de plus qu’une reprise du texte sans attrait notable ? Il en va de même pour Trahisons de Pinter : qui serait tenté d’aller voir cette pièce aux accents d’une comédie de boulevard si la distribution n’avait retenu le nom du comédien populaire Michel Fau qui la met lui-même en scène aux côtés de Claude Perron et de Roschdy Zem ? Sans ces stars, la pièce serait jouée plutôt dans une petite salle que dans celle de la taille du théâtre de la Madeleine. Quand la création ne correspond pas aux attentes du spectateur friand de voir un de ses comédiens préférés, la déception est en revanche d’autant plus cuisante que le pari de la qualité ne conduit pas à l’enthousiasme espéré. C’est précisément le cas de Trahisons montée par Michel Fau : le spectateur qui a misé sur la virtuosité du célèbre comédien risque de rentrer ennuyé.

      Le thème de Trahisons est un amour bourgeois mêlé à une série de tromperies ou « trahisons ». S’il n’y a aucun enjeu dramatique particulier à transposer en français une  pièce aux accents d’une « comédie de boulevard » britannique, ancienne ou moderne, à moins que ce ne soit pour divertir avec le fameux humour anglais, le mérite et l’intérêt de la pièce de Pinter reposent sur la conception tant soit peu originale de l’action qui se déroule à l’envers. Le dénouement de l’histoire fait office de la scène d’exposition, alors que l’action remonte, étape par étape, à son début. Cette fausse comédie de boulevard se présente ainsi pour le spectateur comme une « enquête » sur les sentiments des personnages. Une fausse comédie de boulevard parce que le dénouement de l’histoire par lequel commence l’action ne conduit à aucune résolution : il montre les personnages bloqués et hésitants, impliqués dans des « trahisons ».  Le renversement chronologique permet cependant de terminer l’action dans la joie. Les scènes du début de l’histoire replacées à la fin produisent ainsi une fausse impression que les conflits sont dénoués. Un tel agencement de l’intrigue renferme certes des potentialités dramatiques pour toute reprise de la pièce. Mais Michel Fau montre que certains choix esthétiques génèrent des fâcheuses longueurs au point de la rendre imbuvable.

      Au lever du rideau, la scène se transforme, pendant quelques moments en une salle de sport où Robert (le mari) et Jerry (l’amant) jouent au tennis, pour figurer ensuite une sorte de bar. Cette fois-ci, Jerry et Emma (la femme), accoudés à un comptoir blanc, discutent de la révélation qu’Emma a faite de leur liaison la veille à Robert même s’ils ont cessé de se voir depuis un certain temps. Les costumes datés — une longue fourrure gris clair pour Emma et un costume en tweed foncé — situent d’emblée l’action dans les années 70, comme l’indiquent les chiffres projetés en haut de la scène tout au long de la représentation, ce qui permet au spectateur de se repérer dans l’action quand il pique du nez. Cette première scène qui se solde par un long ennui instaure bel et bien l’ambiance générale de la mise en scène de Michel Fau. On attendra en vain l’apparition du comédien dans le rôle du mari en espérant que cette mauvaise impression serait trompeuse et que la première scène ne serait que le fruit de la gêne prévisible qui résulte de la rencontre entre Emma et Jerry. Si cette gêne des personnages qui ne parviennent plus à communiquer suscite d’abord quelques rires, ces rires tiennent cependant plus à l’écriture qu’au jeu des comédiens : on y reconnaît le comique de mots fondé sur la répétition qui n’est pas vraiment drôle lorsqu’elle est mal servie sur le plateau. Et on n’entendra plus dans la salle que quelques rires épars et discrets et peut-être même forcés parce que la présentation nous promettait tout de même des « tableaux drôles et cruels ».

      La deuxième scène qui confronte Jerry et Robert, en réalité au courant de la liaison de sa femme avec son meilleur ami depuis quatre ans, ménage l’entrée de Michel Fau pour se solder par une nouvelle déception. On décèle certes dans ce numéro le potentiel comique de Michel Fau mais qui est resté cette fois-ci lettre morte. On est plus qu’outré par la perte de la diction théâtrale de Roschdy Zem qui ne fait que dire le texte appris. Les deux comédiens se retrouvent ainsi dans l’impuissance de se départir de la stricte récitation du texte et de faire rire les spectateurs. Sans démordre de cette tonalité morne, l’action qui remonte dans le temps vers les ébats joyeux d’un amour naissant fait penser, par moments, au désœuvrement du théâtre de l’absurde : les comédiens semblent coincés dans leurs dispositions initiales sans parvenir à trouver une plus grande légèreté dans leur jeu. L’action conduit lourdement les spectateurs à d’autres scènes toutes molles pour traîner jusqu’à sa fin. Tels Vladimir et Estragon, les spectateurs n’ont qu’à attendre que ça se termine.

      La scénographie ne relève nullement cette mise en scène manquée. L’aire de jeu se voit sensiblement réduite par deux parois blanches qui montent des deux côtés de la scène vers son milieu pour dessiner une pointe et qui sont traversées par une ligne rouge étrange : peut-on voir dans ce resserrement de l’espace le huis-clos ou le ring qui enferme les trois personnages à l’instar d’un terrain de tennis qui met face à face deux ou quatre joueurs ? Le fond blanc favorise d’autre part le jeu avec l’éclairage qui change d’une scène à l’autre en faisant défiler plusieurs couleurs : vert, bleu ou rouge qui restent tous sombres pour instaurer une froideur glaciale contraire à la tonalité joyeuse des couleurs dans les années 70. Un tel effet recherché aurait sans doute eu son sens au début de l’action quand les relations sont tendues, mais on ne comprend pas cet assombrissement kitch qui persiste jusqu’à la fin de l’action, alors que les tensions baissent et que la remontée du temps doit faire apparaître de plus en plus la joie et la bonne humeur. Tous les éléments concourent ainsi à rendre la mise en scène de Michel Fau plate, monotone et froide.

      C’est un four, entend-on se dire des spectateurs désemparés en sortant du théâtre. La nouvelle création de Trahisons par Michel Fau n’offre qu’une reprise kitch et ringarde du texte — une mise en scène bourgeoise manquée — avec les comédiens qui ne convainquent pas dans leurs rôles.

Bande-annonce de Trahisons, mise en scène par Michel Fau.