Archives de catégorie : 04- Saison 2021/22

Théâtre de l’Île Saint-Louis : Le Caprice de Sade 1772

Le Caprice de Sade 1772 affiche Le Caprice de Sade 1772 est une pièce d’Isabelle Toris Duthillier présentée dans une mise en scène de l’auteur au Théâtre de l’Île Saint-Louis Paul Rey (>). Elle réunit dans une action unique plusieurs personnages de l’entourage du Marquis de Sade afin d’évoquer sa passion tant pour les lettres que pour sa belle-sœur Anne et ce, au moment où il se trouve condamné à mort par le parlement de Provence à la suite de la sulfureuse affaire de Marseille. Rédigée dans une savoureuse langue du XVIIIe siècle, qui mêle avec finesse l’alexandrin au phrasé classique, cette pièce épatante nous plonge voluptueusement au cœur de la vie passionnée du divin marquis.

      Dès ses premiers scandales liés à toute une gamme de pratiques dépeintes dans l’abondante littérature pornographique de l’époque, le Marquis de Sade (1740-1814), réputé athée et moralement dépravé, ne cesse de faire l’objet des fantasmes les plus audacieux. C’est qu’à ces scandales, rendus sans doute plus piquants grâce à l’affabulation propre à la presse contemporaine et aux correspondances privées, s’ajoute un œuvre littéraire subversif, que celui-ci fût parvenu à ses lecteurs par des voies officielles ou grâce au marché clandestin de colportage des livres imprimés à l’étranger. Au scandale de l’affranchissement sexuel se superpose ainsi celui de l’écrit polémique et ce, à la manière de la conduite de ces personnages sadiens qui ne discourent jamais sans passer à la pratique non seulement pour vérifier la validité des propos, mais aussi pour mettre à l’épreuve l’ordre et les valeurs de la nouvelle société bourgeoise émergeant grâce aux transformations socio-économiques véhiculées par les actions de ceux qu’on appelle communément les « philosophes des Lumières ». Les Infortunes de la vertu (1791) ou La Philosophie dans le boudoir (1795), deux ouvrages clandestins qui s’apparentent à des récits d’apprentissage, représentent, du point de vue philosophique, la négation la plus emblématique des valeurs humanistes des Lumières tout en interrogeant de façon systématique les limites du « mal » orchestré sous la juridiction de l’homme. L’œuvre de Sade relève dès lors moins de la fiction littéraire que d’une démarche philosophique au même titre que les œuvres de Descartes, Diderot ou Locke.

      De cette pensée philosophique qui repose sur la transgression systématique des interdits moraux, sociaux, politiques, religieux et sexuels, l’imaginaire populaire ne garde généralement en mémoire que le piquant des pratiques sexuelles auxquelles Sade a fâcheusement prêté son nom. C’est ainsi que les attentes des spectateurs ont été rapidement déçues lors des lectures des extraits de son œuvre proposées il y a quelques années par Isabelle Huppert, dans la mesure où les « turpitudes déjantées » ne représentent qu’une partie restreinte dans l’ensemble des écrits tout en s’inscrivant dans une pensée philosophique complexe avec laquelle elles font sens. Isabelle Toris Duthillier, quant à elle, contribue, avec son Caprice de Sade 1772, à déconstruire l’idée simpliste et réductrice que l’on se fait hâtivement du parcours de vie et de l’œuvre de Sade. Certes, le scandale et la débauche (mais non pas le libertinage au sens du XVIIIe siècle) constituent des données narratives incontournables pour mettre en œuvre la trame épique de l’action, mais l’auteure ne s’en saisit que pour dresser un autre portrait du Marquis dépassé lui-même aussi bien par ses écarts sexuels qui nourrissent son œuvre que par la réputation qui le rattrape pour avoir raison de l’attachement de celle dont il semble sincèrement amoureux — Anne-Prospère de Launay, sa belle-sœur, devenue chanoinesse à 19 ans, qu’il séduit en 1771 et avec qui il s’enfuit en 1772 à la suite de sa condamnation. Isabelle Toris Duthillier nous présente ainsi un Sade différent : celui qui cherche à atténuer ou à relativiser auprès des siens la portée de ses débauches pour reconquérir le cœur d’Anne, mais aussi un Sade à l’œuvre passionné de théâtre et de belles-lettres. Le « caprice » dans le titre de la pièce, en référence à sa comédie en cinq actes Le Capricieux, se conçoit dès lors à l’envers de ce que connote habituellement l’imaginaire sadien.

 

      La scénographie se distingue par sa plus grande simplicité : deux chaises anciennes placées au milieu de la scène sont les seuls accessoires, qui évoquent d’emblée le XVIIIe siècle et auxquels s’ajoutent par la suite un livre en cuir et de magnifiques costumes confectionnés par Benjamin Warlop. Malgré une sobriété décorative, l’esprit du XVIIIe siècle ne manque pas de s’instaurer rapidement dans la salle à travers des éléments choisis avec délicatesse plus pour réactiver l’imaginaire des spectateurs que pour chercher à le représenter matériellement. Tout repose en effet sur des gestes symboliques transcendés par le bruissement et l’éclat des étoffes ayant servi à la fabrication des robes et des tenues dont sont habillés les cinq comédiens. C’est d’autant plus subtil et dramaturgiquement efficace que l’action conçue par Isabelle Toris Duthillier se coule au premier abord dans cet imaginaire réputé à la fois folâtre et licencieux pour œuvrer ensuite à le dépasser en nous proposant un Sade tel qu’on ne veut souvent pas le connaître — plus sensible et raffiné qu’en proie à des pratiques déjantées. Les poutres et les boiseries peintes en rouge qui encadrent la scène, ensemble avec des choix musicaux qui préparent ou accompagnent certaines entrées dramatiques (Vivaldi ou Mozart), mais aussi la diction et les postures adoptées qui se marient merveilleusement avec l’élégance du phrasé classique, tout évoque durant une heure et quart cet esprit galant du XVIIIe siècle pour lequel il est réputé. La simplicité scénographique, dans un rapport dialectique avec le raffinement du costume, du propos et du geste, entraîne ainsi un puissant effet de féerie et d’attraction.

      L’action scénique proprement dite est empreinte d’une sensualité délicate qui nous renvoie plus au libertinage érotico-galant consacré dans l’œuvre de Crébillon fils qu’à la réalité matérielle des exploits sexuels impraticables, décrits par exemple dans La Philosophie dans le boudoir. La première scène qui invite sur le plateau Sade et son valet Latour semble à cet égard programmatique : elle montre les deux personnages dans l’intimité explicite d’une répétition tant soit peu lascive du Capricieux (la tirade mise en voix reproduite ci-dessous), dès lors que la chemise du valet découvre son torse et que le Marquis ne s’empêche pas de l’effleurer. Mais tout n’est en fin de compte que symbolique aussi bien pour suggérer des relations charnelles possibles et camper une ambiance suave que pour montrer l’attrait exercé par Sade sur les autres personnages qui ne cessent de le rechercher, à commencer par sa belle-mère Madame de Montreuil, sa femme Renée-Pélagie, mais aussi sa belle-sœur Anne-Prospère qui a du mal à s’en protéger. Sade les approche ainsi en les manipulant avec tendresse à travers des gestes et des regards sensuels convoqués pour traduire sa propension aux plaisirs du corps, position défendue dans Le Capricieux par Fonrose, victime d’une instabilité sentimentale.

 

      Guillaume Chabaud incarne ainsi un Sade élégamment séducteur en lui prêtant des postures aussi affables que gracieuses. Patrick Dogan crée un Latour dévoué et soumis à son maître auquel il semble vouer une admiration sans limites. Isabelle Toris Duthillier, quant à elle, apparaît dans le rôle de Mme de Montreuil, qu’elle montre d’abord sous le charme de son beau-fils, mais qui s’en prend à lui, après avoir découvert la liaison qu’il entretient avec sa fille Anne, avec autant de véhémence que de noblesse dans le ton adopté. Manon Dussap s’empare de la création de Renée-Pélagie en lui donnant une allure certes résignée face aux inconséquences d’un époux volage, mais élégamment fière et douloureusement éprise de lui. Maddy Dubois, dans le rôle d’Anne-Prospère, incarne une jeune femme en proie à une douleur émouvante exprimée avec dignité, sans excès de pathos. Tous les comédiens créent ainsi cinq personnages aux caractères et dispositions sentimentales finement individualisés, et conférent à leurs mouvements et gestes comme aux inflexions de leur voix ce je ne sais quoi de noble et de gracieux qui subjugue le spectateur pour le tenir en haleine du début à la fin.

      Le Caprice de Sade 1772 d’Isabelle Toris Duthillier est une pépite conçue dans l’esprit érotico-galant du XVIIIe siècle pour réactiver, avec autant d’espièglerie que d’intelligence, l’imaginaire libertin de cette époque mythique emportée par la Révolution française. Elle met en vie l’une des figures les plus emblématiques et les plus problématiques en remodelant les clichés tissés autour de son œuvre : elle nous donne à avoir un Sade plus sensible et plus soucieux de ses écrits littéraires que le spectateur ne se le représente habituellement.

Le Caprice de Sade
Le Caprice de Sade, de et par Isabelle Toris Duthillier, Théâtre de l’Île Saint-Louis © Marek Ocenas

 

FONROSE, avec chaleur et légèreté

                          Contemplez la nature,
Offre-t-elle à vos yeux sous une règle sûre
La fatigant tableau de l’uniformité ?
Tout en elle est changeant, tout est variété.
Dans aucun de ses jeux sa main n’est ressemblante,
C’est par-là qu’elle plaît, c’est par-là qu’elle enchante.
Observer du zéphyr les agiles ardeurs :
Lui voyez-vous jamais prolonger ses faveurs ?
Voltigeant sans nul choix sur les filles de Flore,
Son souffle délicat ne veut que les éclore.
Il en trouve, il parcourt, il rafraîchit leurs sens,
Et toutes en un jour servent à ses desseins ;
Les tendres déités, où nos transports s’adressent,
Sont les mêmes hélas ! que ses baisers caressent,
Des mains de la nature, une femme, un beau lys,
Une rose, un œillet, sont des dons accomplis,
Mais qui n’ont, croyez-le, nulle autre différence
Qu’un peu plus ou moins d’art dans leur frêle existence.
Soyons donc, sans effroi, zéphyrs à notre tour,
Adorons les plaisirs et méprisons l’amour.
(Le Capricieux, IV, 6)

Théâtre Les Déchargeurs : Marion 13 ans pour toujours

      Marion 13 ans pour toujours est une pièce coécrite par Nora Fraisse et Jacqueline Rémy sur le thème du harcèlement scolaire en lien avec le développement des nouvelles technologies, les réseaux sociaux en particulier : présentée au théâtre Les Déchargeurs dans une mise en scène percutante de Frédéric Andrau (>), cette création est une adaptation pour le théâtre du livre de Nora Fraisse (Livre de Poche, 2016), qui a fait l’objet, en 2017, d’une adaptation pour la télé. C’est ainsi une nouvelle façon de faire vivre l’histoire douloureuse d’une jeune fille qui s’est pendue en 2013 et ce, pour alerter sur un phénomène répandu qui peut rapidement faire des ravages en milieu scolaire.

      Marion 13 ans pour toujours est le témoignage d’une mère bouleversée par le suicide de sa fille entraîné par un harcèlement de plusieurs mois passé inaperçu jusqu’au passage à l’acte fatal. S’il s’agit de mettre en lumière une histoire vraie qui est récente (2013), le récit ne délivre que le point de vue parcellaire de Nora Fraisse, constitué d’éléments et informations obtenus à la suite d’une enquête personnelle. Plusieurs zones d’ombre persistent qui ne permettent toujours pas de comprendre à la famille ce qui s’est passé exactement, pour que Marion en classe de 5e soit poussée au suicide par ses camarades de collège. Certes, le témoignage de la mère ne manque pas de révéler plusieurs failles relatives à la gestion de l’affaire et peut-être même à l’enquête policière, mais il n’est pas tant question d’accuser ou montrer du doigt les responsables que de reconstituer les événements dans le but de rechercher la vérité. C’est une démarche toute humaine susceptible d’aider à faire le deuil à la manière de ces personnages durassiens qui eux aussi enquêtent inlassablement sur le passé pour se délivrer de souffrances de longue date qui pèsent sur leur vie.

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Marion 13 ans pour toujours, mise en scène par Frédéric Andrau, Théâtre Les Déchargeurs, 2022 © Jérôme Dominé

      Si l’action de Marion 13 ans pour toujours suit un déroulement épique en retraçant la vie de la jeune fille, de la naissance à la mort, et en la prolongeant à travers des éléments d’enquête rassemblés, elle ne garde du récit initial que sa dimension narrative pour avoir condensé une longue durée d’histoire dans un spectacle d’une heure et quart. L’action dramatique proprement dite repose en effet sur des dialogues posthumes instaurés le plus souvent entre la fille morte et ses parents qui l’interrogent autant sur son acte que sur les circonstances qui l’y ont précipitée. Comme les auteurs du texte évitent soigneusement d’interpréter les faits pour présenter ce spectacle témoignage sous le signe de la plus grande objectivité possible, les scènes semblent plus juxtaposées selon les données disponibles qu’elles ne constituent une fiction rationalisée pour paraître parfaitement cohérentes dans un ensemble homogène. C’est ainsi que les parents obtiennent de leur fille les mêmes réponses laconiques qu’ils semblent avoir reçues de son vivant, ou que Marion se laisse aller à la lecture de sa bouleversante lettre d’adieu ou à celle des échanges retrouvés dans son téléphone. C’est dès lors aux spectateurs d’élaborer une interprétation personnelle et de tirer des faits racontés une « leçon » ou une « mise en garde » contre les méfaits du harcèlement. Ce parti pris élude dans le même temps la volonté de ternir le blason de l’institution scolaire en ne révélant que des témoignages personnels avérés qui laissent pourtout les spectateurs perplexes quant à la gestion de l’affaire. L’action ainsi construite, intégrant aussi bien des zones d’ombre que des non-dits, gagne en force et en authenticité.

      La scénographie présente un plateau nu, sans aucun décor particulier, si ce n’est un banc en bois placé au milieu de la scène. C’est sur ce banc que s’installe Nina Thiéblemont, dans le rôle de Marion, au son de joyeux cris d’enfants évoquant une cour de collège ; c’est aussi là que les deux comédiens qui incarnent les parents la rejoignent en entrant sur scène par le fond de la salle, du côté des vivants. La scène s’impose dès lors aux spectateurs comme un lieu magique capable de réunir les morts et les vivants, de par son statut d’« illusion comique », dans une étrange communion qui établit un dialogue impossible entre un passé irréversible et un présent douloureux. L’aspect dépouillé renforce l’intensité des propos poignants portés par les victimes sans toutefois s’acharner sur les coupables. Le téléphone portable qui représente le seul accessoire rappelle par ailleurs l’extension du harcèlement scolaire sur le domaine privé et par-là l’impossibilité de la victime d’échapper à ceux qui la persécutent avec une plus grande cruauté. Ces choix symboliques sont dramaturgiquement d’autant plus efficaces qu’il ne s’agit pas de produire un spectacle pittoresque dans le seul but d’émouvoir les spectateurs ou dans celui, le cas échéant, de rendre un simple hommage public à la jeune fille : l’émotion se mêle ici avec tendresse à la volonté de remuer les consciences pour les intéresser non seulement au cas particulier de Marion Fraisse, mais aussi à l’ampleur du phénomène et à l’urgence de réagir vite.

      Trois comédiens s’emparent de la création de plusieurs personnages : ceux de Marion et de ses parents, mais aussi des personnages épisodiques tels que le principal du collège, les professeurs de gym et de français ou le père d’un ancien camarade de classe. Nina Thiéblemont, tout d’abord, incarne la jeune fille morte avec attachement : sans pathos et sans grands gestes, elle lui prête une allure sereine tout en persuadant les spectateurs que Marion a retrouvé la paix dans la mort et qu’elle a réussi à pardonner, ce que laisse au reste entendre la teneur de sa lettre d’adieu adressée à ses camarades de classe. Cet apaisement émouvant fait ressortir la souffrance de Marion avec une plus grande force que ne l’auraient fait des cris ou des propos irascibles. Cette posture correspond au caractère supposé de la jeune fille qui paraît ainsi comme non conflictuelle : elle la montre en même temps dans une impuissance désarmante face à la férocité sadique de ceux qui l’agressaient au quotidien. Le contraste entre l’apaisement et cette violence évoquée sans hostilité est saisissant. Valérie Da Mota et Renaud Le Bas, dans le rôle des parents essentiellement, prolongent ensuite cet effet de contraste en adoptant le même type de postures équilibrées : ils ne versent ni dans le pathos ni dans la rancune, ils créent des personnages aussi bien tourmentés par la mort de leur fille qu’ouverts au dialogue et prêts à porter leur deuil avec une sublime hauteur d’âme.

      Marion 13 ans pour toujours est une création vibrante d’émotion qui évoque avec délicatesse une histoire poignante. Les auteurs et le metteur en scène ont opté pour la simplicité du dispositif scénographique afin de donner aux propos une résonance lisse d’autant plus efficace que des éléments manquants ne permettent pas de saisir tous les enjeux épiques et psychologiques qui ont conduit Marion au suicide. L’équilibre trouvé entre l’expression de la douleur ressentie par les parents et leur détermination de la partager pour alerter sur le harcèlement scolaire est tout à fait convaincant. C’est une réussite !

Studio Hébertot : Le Titre est provisoire

Le Titre est provisoire      Le Titre est provisoire est une comédie de Christophe Corsand, présentée dans une mise en scène entraînante de Jean-Philippe Azéma en 2019 au Festival d’Avignon OFF et programmée, après bien de péripéties liées à la crise sanitaire, en avril 2022 au Studio Hébertot (>). Christophe Corsand signe par-là sa première pièce qu’il écrit dans un ton léger tout en situant adroitement l’action dans l’univers du théâtre. Il incarne dans le même temps l’un des trois rôles aux côtés de Magali Bros et Olivier Doran.

      Il ne va pas aujourd’hui de soi de faire une comédie sans que la pièce ne passe pour une comédie de boulevard, un genre dévalorisé en raison de facilités servies à satiété pour séduire rapidement les spectateurs. Selon sa définition traditionnelle, la comédie fait monter sur scène des personnages issus de classes intermédiaires, en l’occurrence celle de la bourgeoisie moyenne, et se trouve en phase avec des mœurs et des stéréotypes pris pour cible avec autant de légèreté que d’humour. Si son action se développe autour d’une histoire d’amour en entraînant des désordres momentanés au sein d’une microsociété concernée, elle se termine par un arrangement complaisant avec l’ordre social établi. Dans Le Titre est provisoire, Christophe Corsand contourne la vacuité de telles facilités en mêlant une discrète intrigue galante à la lecture privée d’une pièce de théâtre écrite par une jeune auteure novice. Une scénographie dépouillée et un jeu nuancé des trois comédiens esquivent dans le même temps les codes du théâtre de boulevard.

      Au cœur du problème du Titre est provisoire se trouve le désaccord entre deux comédiens sur la qualité de la pièce qui leur est proposée, ce qui entraîne une série de quiproquos et de malentendus, révélateurs par ailleurs de souffrances plus profondes. Si Manu invite Thibault pour la lecture de la pièce dans son nouvel studio où il est en train d’aménager, c’est sans lui dire que Jeanne, l’auteure, doit les rejoindre pour les premiers essais actés par un metteur en scène réputé. L’obstacle tient au fait que l’action de la pièce de Jeanne engendre des longueurs et qu’en plus d’entrain, elle manque aussi de cohérence : elle raconte en effet l’histoire de deux immigrés albanais malmenés par une travailleuse humanitaire copieusement raciste. Alors que Manu, en manque de nouveaux rôles, se montre conciliant et qu’il pousse son partenaire à des concessions, le refus de Thibault mal à l’aise est catégorique. Il va désormais falloir le faire comprendre à Jeanne, pleine d’enthousiasme et même d’admiration pour celui des deux comédiens qui est farouchement opposé à toute possibilité de création. L’action renferme ainsi une délicate situation de théâtre dans le théâtre, avant qu’elle ne se révèle in extremis elle-même comme une répétition de l’action déroulée. Elle conduit à un dénouement surprenant dont on ne dira pas plus pour ne pas briser le suspens.

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Le Titre est provisoire, mise en scène par Jean-Philippe Azéma, Studio Hébertot 2022

      Contrairement à la comédie de boulevard qui situe l’action scénique dans un salon bourgeois reproduit avec une touche hyperréaliste, la scénographie du Titre est provisoire la situe dans le salon d’un appartement de 38 m2 au cinquième étage d’un immeuble sans ascenseur. La seule cheminée, incrustée dans le mur du fond, avec une petite lampe et un cadre photo posés dessus, évoque ce type d’espace topique détourné ici grâce à son aspect dépouillé. Des boîtes de carton servent de plus aussi bien de décors que de pièces de mobilier : notamment, une table et des tabourets placés au milieu. Si cet aménagement symbolique de l’espace scénique renvoie à la situation matérielle de Manu, et qu’il fasse même un malicieux clin d’œil au titre de la pièce, il semble traduire également la volonté dramaturgique et l’ambition esthétique de conférer à la mise en scène une dimension créative propre à travailler l’imagination des spectateurs. Pour peu que la scénographie en cartons s’explique par le dénouement, ce n’est qu’au cours de l’ultime étape de l’action cadre qui infléchit considérablement le caractère comique de la pièce fondée sur une subtile chaîne de mises en abîme. Le titre est provisoire s’impose dès lors à notre attention comme une drôle d’illusion comique.

      L’action, quant à elle, amène adroitement des situations tant soit peu embarrassantes grâce à la diversité caractérielle des trois personnages, mais aussi à cause des manœuvres loufoques de Manu qui mène par le nez les deux autres pour décrocher un rôle dans une nouvelle création du célèbre Vernier. Si elle ne suscite pas des fous rires entraînés le plus souvent par une forme abâtardie de comique de situation, elle amuse pour autant avec intelligence en s’appuyant sur le comique de caractère qui engendre des tensions grinçantes survenues entre les trois personnages. Christophe Corsand crée un Manu jovial qui détonne souvent avec des blagues ou des propos qui ne prennent pas et laissent Thibault et Jeanne perplexes. Olivier Doran s’empare de son personnage en lui donnant un air taciturne et grincheux, peu ouvert au compromis ou à des solutions arrangeantes. Magali Bros, quant à elle, incarne une Jeanne entreprenante et entraînante en adoptant une posture légèrement affectée qui sied bien à la jeune parisienne à l’affût de nouvelles affaires. Si Manu et Jeanne poursuivent un objectif particulier, Thibault qu’ils essaient de séduire tente ainsi d’échapper à toutes les manipulations dont il ne décèle pas tout à fait les motifs. L’ensemble est aussi curieux que pétillant d’un humour raffiné.

      Le Titre est provisoire de Christophe Corsand est une jolie comédie astucieuse, relevée d’un dénouement surprenant. Elle évite les écueils du théâtre de boulevard pour nous persuader qu’on peut toujours rire au théâtre avec raffinement. Son action comme le jeu des trois comédiens nous entraînent en même temps au cœur de la création théâtrale qui pose avec intérêt la question de l’émergence de nouveaux talents. 

Comédie-Française (Studio) : On ne sera jamais Alceste

      On ne sera jamais Alceste est une création tirée des cours de Louis Jouvet donnés entre 1939 et 1940, rassemblés dans l’ouvrage Molière et la comédie classique (1965) : Lisa Guez reprend le premier chapitre consacré à la mise en vie du personnage d’Alceste pour le transformer en une répétition captivante présentée au Studio de la Comédie-Française dans une mise en scène savoureuse (>). Dans les trois rôles retenus, ceux de deux comédiens apprentis et de Jouvet, on retrouve Gilles David, Didier Sandre et Michel Vuillermoz.

      Le processus de création d’un personnage de théâtre est une démarche énigmatique soumise aux effets de mode, ce qui se vérifie d’autant plus rapidement dans le cas des personnages classiques. On ne saurait plus les incarner comme à l’époque de Molière ou au XIXe siècle sans désarçonner les spectateurs contemporains, si ce n’est dans une reconstitution historique revendiquée comme telle, fondée sur la reprise des codes de jeu propres à l’âge classique. Mais dans le cas d’Alceste, il ne s’agit pas de la seule « façon de jouer », il s’agit aussi de l’interprétation psychologique et morale de ce personnage conçu par Molière pour sa comédie de caractère comme essentiellement ridicule et ce, malgré toute la critique sociale qu’il véhicule avec pertinence. C’est que sa relecture rousseauiste (La Lettre à D’Alembert, 1758) renverse de fond en comble la dimension comique d’Alceste en l’imposant peu à peu comme une sorte de paria romantique susceptible d’émouvoir à travers un double échec, celui d’un amant injustement éconduit comme celui d’un plaideur sournoisement battu, échec qui le rassure in fine dans sa résolution de se retirer du monde pour vivre à l’écart des hommes. Tout est dès lors à reconsidérer et à réinventer dans la création d’Alceste et par-là même celle du Misanthrope.

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On ne sera jamais Alceste, mise en scène par Lisa Guez, Comédie-Française (Studio), 2022
© Christophe Raynaud de Lage

      Selon les mots de Jouvet, Alceste échappe à une interprétation définitive figée dans le temps : ses notes représentent dès lors une indéniable source de réflexions qui relèvent autant de la démarche herméneutique qu’elles ne témoignent de la manière de penser le théâtre dans l’entre-deux-guerres. L’entreprise ambitieuse de Jouvet, novatrice pour son époque et restée moderne, inspirée du travail dramaturgique de son maître Jacques Copeau, tient à la création individualisée d’un personnage de théâtre tout en rejetant le faux brillant et les parades gratuites du théâtre de boulevard tiré âprement vers le bas par la promesse du gain. À l’en croire Jouvet, tout repose sur la répétition qui favorise l’appropriation progressive mais fondamentale du caractère d’un personnage : « Dans la répétition, les paroles finissent par convertir les comédiens en ses instruments. » Le défaut qui en ressort d’emblée relève de la volonté d’aller vite en besogne : Michel Vuillermoz dans le rôle de Jouvet arrête ainsi rapidement Gilles et Didier venus pour répéter Le Misanthrope en leur demandant de recommencer sans jouer et de ne faire que dire le texte. Il s’agit non seulement de trouver un ton juste et une posture adéquate en interaction avec l’autre, mais aussi et surtout de comprendre les mobiles les plus intimes du personnage mis en vie pour entrer dans sa peau avec conviction.

      C’est précisément ce qui fait l’objet d’On ne sera jamais Alceste de Lisa Guez : la répétition de la scène 1 de l’acte I du Misanthrope, cruciale pour poser dès le lever du rideau le caractère d’Alceste remonté contre son ami Philinte. La metteuse en scène transforme la scène et la salle du Studio en un amphi accueillant des étudiants de théâtre. Si Gilles David et Didier Sandre font leur entrée en s’installant sur scène et en préparant les accessoires pour la répétition, Michel Vuillermoz dans le rôle de Jouvet entre, quant à lui, en descendant l’escalier et en faisant des remarques sur la création des personnages du Misanthrope aux spectateurs curieusement pris pour étudiants. Les lumières ne s’éteignent que peu à peu pour cantonner l’action sur scène, même si les trois comédiens qui se font finalement passer le rôle de Jouvet ne s’empêchent pas de diriger la répétition depuis la salle. Cette interaction implicite produit un saisissant effet de réel d’autant plus jubilatoire que les comédiens apprentis qui s’essaient à créer Alceste et Philinte représentent les trois comédiens eux-mêmes : Gilles, Didier et Michel. À tour de rôle, ils se retrouvent ainsi chacun dans chacun des les trois rôles pour proposer une variété impressionnante de tons et de postures aussi fantasques pour certains qu’intrigants pour d’autres.

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On ne sera jamais Alceste, mise en scène par Lisa Guez, Comédie-Française (Studio), 2022
© Christophe Raynaud de Lage

      La répétition de la scène 1 de l’acte I du Misanthrope se transforme rapidement en un laboratoire passionnant d’essais et de propositions qui entraînent autant de commentaires sur l’appropriation psychologique du personnage que de remarques sur la respiration, la diction ou les accessoires. Chaque fois que Jouvet arrête les deux comédiens pour les reprendre sur un parti pris, son reproche les fait paradoxalement aussitôt tomber dans un défaut opposé. Quand, par exemple, Jouvet gronde Didier pour une diction lourde et une mauvaise humeur trop prononcée, le comédien reprend le rôle d’Alceste en le rejouant avec une attitude quasi éplorée. Le jeu affecté et une diction trop artificielle entraînent une remarque sur la volonté de raisonner et l’absence de sentiment, ce qui conduit à un excès de pathos. Du tragique, les comédiens basculent dans le pathétique et ainsi de suite jusqu’à épuiser le répertoire de registres possibles. Si cette variété de tons et de postures nous fait penser à celle ébauchée dans la tirade du nez, Michel ne manquera pas de se revêtir en Cyrano non seulement par facilité parce qu’il y est bon, mais aussi pour exprimer son désarroi et sa frustration à l’égard de l’impossible création d’Alceste. Gilles David, Didier Sandre et Michel Vuillermoz se prêtent ainsi brillamment à un jeu entraînant et virtuose pour apporter chacun selon son expérience une touche personnelle aussi bien à cette création foisonnante d’Alcestes qu’à celle de Jouvet et de Philinte. S’ils constatent qu’ils ne seront jamais Alceste, ils nous persuadent au reste qu’ils le sont tous les trois chacun à sa manière.

      On ne sera jamais Alceste, donné au Studio de la Comédie-Française à l’occasion de la saison Molière, est une création pétillante qui entraîne les spectateurs dans l’univers du théâtre en leur livrant de façon ludique la réflexion menée sur la création du personnage le plus problématique du théâtre de Molière. Gilles David, Didier Sandre et Michel Vuillermoz nous épatent à travers un jeu virtuose et virevoltant en partageant avec nous leur brillant savoir-faire.

Théâtre Douze : Les Mains sales

      Les Mains sales est une pièce polémique de Jean-Paul Sartre sur l’engagement d’un certain type d’intellectuels. Si elle date de 1948, elle n’a rien perdu de son actualité au regard des interrogations qu’elle soulève. Généralement peu jouée, elle a été créée en 2018 par la Cie du Cerf-Volant dans une mise en scène classique mais puissante de Jules Lecointe (>). Après bien des péripéties liées à la crise sanitaire, cette création remarquable s’est trouvée remise à l’affiche au Théâtre Douze pour y être jouée durant le mois de mars (>).

      Si les écrits de Sartre ne suscitent plus aujourd’hui le même engouement qu’ils ont connu à l’époque de leur parution, ses pièces, parfois rapidement considérées comme faisant partie du théâtre à thèses, ne cessent pas pour autant de questionner avec acuité notre rapport au monde. Par-delà leur ancrage historique et idéologique dans la pensée sartrienne, comme par-delà une certaine tendance implicite à servir d’instruments de « vulgarisation » à cette pensée, leurs histoires posent, sur le plan purement humain, des questions existentielles universelles auxquelles le spectateur ne peut pas rester insensible et ce, d’autant plus qu’elles interrogent beaucoup plus à travers des moments de crise qu’elles ne fournissent des réponses toutes faites. Aucune pièce de Sartre ne donne de clé pour déchiffrer le monde : elles campent les personnages dans des situations inextricables pour examiner les possibles et les limites de leurs actes aussi bien dans un rapport à soi-même qu’à la société à laquelle ils appartiennent de quelque manière. Dans le cas des Mains sales, il s’agit ainsi de confronter l’idéalisme d’un jeune intellectuel bourgeois à la portée de son engagement politique au sein d’un parti révolutionnaire éprouvé par des partis opposés pour l’amener à se partager le pouvoir. Jules Lecointe s’empare de cette histoire poignante avec efficacité en faisant résonner la puissance des propos ressortis de situations insoutenables.

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Les Mains sales, mise en scène par Jules Lecointe, Cie du Cerf-Volant, 2022 © Jules Lecointe

      La scénographie transpose les spectateurs dans une époque vaguement historique, celle de la Seconde Guerre mondiale, sans surcharger la représentation de détails superflus. Les costumes et les décors se contentent de faire quelques clins d’œil implicites à cet arrière-plan politique à la manière du texte qui place les événements narratifs au cœur des luttes menées entre les conservateurs au pouvoir et les anarchistes tenus à l’écart, luttes conditionnées par la victoire attendue du parti soviétique. Mais ce n’est pas cela qu’il s’agit de résoudre, c’est de considérer le meurtre commis par Hugo deux ans plus tôt pour éliminer Hoederer ouvert à un compromis précipité avec les conservateurs. C’est à travers un récit rétrospectif que l’action se déplace soudain en 1943 pour réévaluer les convictions de Hugo fraîchement sorti de prison et sa possible « récupération » par le parti révolutionnaire. Hugo n’est cependant pas un simple anarchiste prêt à tout entreprendre coûte que coûte : c’est tout d’abord un intellectuel qui s’empêtre dans un combat d’idées mené sur fond de luttes de classe hors de tout pragmatisme politique. La mise en scène de Jules Lecointe donne précisément primauté au déroulement de ce combat intérieur propre à un personnage bouleversé non seulement par l’accomplissement de son acte, mais aussi par son possible réengagement dans le parti. Elle donne ainsi tout son poids à la résonance humaine d’un drame existentiel vécu par le jeune anarchiste en manque de confiance.

      Si Hugo sorti de prison entre sur scène par la salle pour rejoindre Olga dans son appartement (1945), le gros de l’action se déroule dans la maison d’Hoederer (1943). Pour faciliter de tels changements spatio-temporels — salon d’Olga, chambre de Hugo et de sa femme Jessica chez Hoederer, bureau de celui-ci, salon d’Olga —, la scénographe Pauline Phan a imaginé des panneaux mobiles, certains occultants/ d’autres à fenêtres, que les comédiens redisposent rapidement eux-mêmes en créant de nouveaux espaces symboliques ou en recréant le cas échéant les mêmes. Un lit double et un bureau complètent ensuite cette scénographie pragmatique qui suggère plus les lieux avec une touche réaliste qu’elle ne cherche à les reproduire de manière naturaliste. L’ensemble scénique paraît très efficace : il favorise la mise en œuvre d’une action fluide, déroulée avec souplesse et sans aucun temps mort. Si la semi-obscurité dans laquelle se trouve plongée la scène confère à cette action une tonalité grave et sombre, elle la transcende dans le même temps en la présentant à l’attention des spectateurs comme la vision fantastique d’une crise existentielle suspendue entre la fiction narrative et la réalité théâtrale qui la reconstitue authentiquement. Cet effet est d’autant plus intense que tout ce qui se passe chez Hoederer représente une transposition théâtrale du récit entamé par Hugo dans le salon d’Olga et qui doit in extremis décider de son sort.

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Les Mains sales, mise en scène par Jules Lecointe, Cie du Cerf-Volant, 2022 © Jules Lecointe

      Cinq comédiens, trois femmes et deux hommes, créent tous les personnages de la pièce en endossant, pour certains, plusieurs rôles secondaires ou épisodiques. Celui de Louis, le chef des anarchistes, et les deux gardes d’Hoederer sont curieusement, mais sans que cela ne gêne, incarnés par les comédiennes. En plus du rôle de l’un des deux gardes, le personnage d’Olga revient à Léa Marie-Saint Germain qui lui donne un air inquiet et nerveux tout en laissant planer un doute sur son amour pour Hugo. Cette répartition judicieuse réserve ensuite les trois rôles principaux à un trio de comédiens tout à fait convaincants : Bastien Spiteri (Hugo), Aïda Hamri (sa femme Jessica) et Noé Pflieger (Hoederer).

      L’aspect juvénile de ce dernier surprend sans doute dans la mesure où on s’attend à ce que le rôle d’Hoederer soit interprété par un comédien plus âgé plus à même d’incarner un chef de parti désavoué. Noé Pflieger infléchit la création de ce personnage à travers son indéniable charme qui attire naturellement Jessica dans ses bras, mais aussi en effaçant un contraste générationnel qui l’opposait à Hugo. Ce qui oppose désormais les deux anarchistes ne relève ainsi plus que de leurs expériences et de leur vision politique : si le premier occupe un poste de premier plan en manipulant avec assurance les fils du pouvoir, le second paraît d’autant plus fragile qu’il se retrouve confronté à un rival posé qui ne lui en impose plus que par sa seule prestance. Hugo de Bastien Spiteri paraît dès lors plus sombre et plus impulsif face à l’aisance joviale d’Hoederer. Sa posture délicatement mal assurée qui traduit le louvoiement de Hugo entre la volonté d’agir et l’impuissance de passer à l’acte correspond au reste bien à l’idée que l’on se fait de ces jeunes bourgeois séduits par des idées de gauche et prêts à trahir le clan familial sous l’effet d’une ardeur romanesque. Aïda Hamri paraît subtilement joueuse dans le rôle d’une épouse potiche transformée in extremis en une véritable femme fatale qui compromet la détermination de Hugo et la signification de son acte meurtrier.

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      C’est un réel plaisir de redécouvrir Les Mains sales de Sartre dans la mise en scène de Jules Lecointe qui dirige ses jeunes comédiens avec assurance : leur fraîcheur déclinée à l’aspect classique de l’appareil scénographique confère à l’action et à son propos quelque chose de charnel qui confond finement la métaphysique d’un combat d’idées avec un drame passionnel refoulé au fond de l’âme du jeune Hugo. C’est tout aussi entraînant et passionnant qu’astucieux et subtil.