Le Titre est provisoire est une comédie de Christophe Corsand, présentée dans une mise en scène entraînante de Jean-Philippe Azéma en 2019 au Festival d’Avignon OFF et programmée, après bien de péripéties liées à la crise sanitaire, en avril 2022 au Studio Hébertot (>). Christophe Corsand signe par-là sa première pièce qu’il écrit dans un ton léger tout en situant adroitement l’action dans l’univers du théâtre. Il incarne dans le même temps l’un des trois rôles aux côtés de Magali Bros et Olivier Doran.
Il ne va pas aujourd’hui de soi de faire une comédie sans que la pièce ne passe pour une comédie de boulevard, un genre dévalorisé en raison de facilités servies à satiété pour séduire rapidement les spectateurs. Selon sa définition traditionnelle, la comédie fait monter sur scène des personnages issus de classes intermédiaires, en l’occurrence celle de la bourgeoisie moyenne, et se trouve en phase avec des mœurs et des stéréotypes pris pour cible avec autant de légèreté que d’humour. Si son action se développe autour d’une histoire d’amour en entraînant des désordres momentanés au sein d’une microsociété concernée, elle se termine par un arrangement complaisant avec l’ordre social établi. Dans Le Titre est provisoire, Christophe Corsand contourne la vacuité de telles facilités en mêlant une discrète intrigue galante à la lecture privée d’une pièce de théâtre écrite par une jeune auteure novice. Une scénographie dépouillée et un jeu nuancé des trois comédiens esquivent dans le même temps les codes du théâtre de boulevard.
Au cœur du problème du Titre est provisoire se trouve le désaccord entre deux comédiens sur la qualité de la pièce qui leur est proposée, ce qui entraîne une série de quiproquos et de malentendus, révélateurs par ailleurs de souffrances plus profondes. Si Manu invite Thibault pour la lecture de la pièce dans son nouvel studio où il est en train d’aménager, c’est sans lui dire que Jeanne, l’auteure, doit les rejoindre pour les premiers essais actés par un metteur en scène réputé. L’obstacle tient au fait que l’action de la pièce de Jeanne engendre des longueurs et qu’en plus d’entrain, elle manque aussi de cohérence : elle raconte en effet l’histoire de deux immigrés albanais malmenés par une travailleuse humanitaire copieusement raciste. Alors que Manu, en manque de nouveaux rôles, se montre conciliant et qu’il pousse son partenaire à des concessions, le refus de Thibault mal à l’aise est catégorique. Il va désormais falloir le faire comprendre à Jeanne, pleine d’enthousiasme et même d’admiration pour celui des deux comédiens qui est farouchement opposé à toute possibilité de création. L’action renferme ainsi une délicate situation de théâtre dans le théâtre, avant qu’elle ne se révèle in extremis elle-même comme une répétition de l’action déroulée. Elle conduit à un dénouement surprenant dont on ne dira pas plus pour ne pas briser le suspens.
Contrairement à la comédie de boulevard qui situe l’action scénique dans un salon bourgeois reproduit avec une touche hyperréaliste, la scénographie du Titre est provisoire la situe dans le salon d’un appartement de 38 m2 au cinquième étage d’un immeuble sans ascenseur. La seule cheminée, incrustée dans le mur du fond, avec une petite lampe et un cadre photo posés dessus, évoque ce type d’espace topique détourné ici grâce à son aspect dépouillé. Des boîtes de carton servent de plus aussi bien de décors que de pièces de mobilier : notamment, une table et des tabourets placés au milieu. Si cet aménagement symbolique de l’espace scénique renvoie à la situation matérielle de Manu, et qu’il fasse même un malicieux clin d’œil au titre de la pièce, il semble traduire également la volonté dramaturgique et l’ambition esthétique de conférer à la mise en scène une dimension créative propre à travailler l’imagination des spectateurs. Pour peu que la scénographie en cartons s’explique par le dénouement, ce n’est qu’au cours de l’ultime étape de l’action cadre qui infléchit considérablement le caractère comique de la pièce fondée sur une subtile chaîne de mises en abîme. Le titre est provisoire s’impose dès lors à notre attention comme une drôle d’illusion comique.
L’action, quant à elle, amène adroitement des situations tant soit peu embarrassantes grâce à la diversité caractérielle des trois personnages, mais aussi à cause des manœuvres loufoques de Manu qui mène par le nez les deux autres pour décrocher un rôle dans une nouvelle création du célèbre Vernier. Si elle ne suscite pas des fous rires entraînés le plus souvent par une forme abâtardie de comique de situation, elle amuse pour autant avec intelligence en s’appuyant sur le comique de caractère qui engendre des tensions grinçantes survenues entre les trois personnages. Christophe Corsand crée un Manu jovial qui détonne souvent avec des blagues ou des propos qui ne prennent pas et laissent Thibault et Jeanne perplexes. Olivier Doran s’empare de son personnage en lui donnant un air taciturne et grincheux, peu ouvert au compromis ou à des solutions arrangeantes. Magali Bros, quant à elle, incarne une Jeanne entreprenante et entraînante en adoptant une posture légèrement affectée qui sied bien à la jeune parisienne à l’affût de nouvelles affaires. Si Manu et Jeanne poursuivent un objectif particulier, Thibault qu’ils essaient de séduire tente ainsi d’échapper à toutes les manipulations dont il ne décèle pas tout à fait les motifs. L’ensemble est aussi curieux que pétillant d’un humour raffiné.
Le Titre est provisoire de Christophe Corsand est une jolie comédie astucieuse, relevée d’un dénouement surprenant. Elle évite les écueils du théâtre de boulevard pour nous persuader qu’on peut toujours rire au théâtre avec raffinement. Son action comme le jeu des trois comédiens nous entraînent en même temps au cœur de la création théâtrale qui pose avec intérêt la question de l’émergence de nouveaux talents.