Théâtre Le Funambule : Le Barbier de Séville

La Funambule Le Barbier de Séville

      Le Barbier de Séville de Beaumarchais compte parmi les comédies classiques toujours jouées avec succès : cette fois-ci, c’est la Cie des Ballons Rouges qui la remet au goût du jour dans une mise scène pétillante de Camille Delpech. Cette création a déjà enchanté des spectateurs venus la voir au Théâtre de la Nation (de mai à juillet 2021) et au Théâtre Le Funambule (automne 2021), où elle est de nouveau à l’affiche pour une trentaine de représentations supplémentaires (>).

      À part les comédies de Marivaux qui font l’objet d’un engouement exceptionnel, les pièces du XVIIIe siècle ne sont plus guère montées : la trilogie de Beaumarchais, qui a par ailleurs inspiré Mozart et Rossini, fait, elle aussi, partie de ces comédies que l’on peut voir jouer grâce à la qualité de leur écriture. Le Barbier de Séville, en quatre actes, cherche en effet à démontrer l’inutilité des précautions prises par un barbon jaloux pour empêcher de jeunes amants de s’aimer et de se marier : pour le comte Almaviva et l’homme à tout faire Figaro, il s’agit bien de déjouer les obstacles de Bartholo et lui arracher Rosine, que celui-ci souhaite garder pour lui-même. Camille Delpech s’empare de cette intrigue classique en l’adaptant pour sa troupe : elle renvoie l’incompétent maître de musique Basile, qu’elle remplace par le personnage de Marceline en lui confiant le rôle d’entremetteuse pour lequel celle-ci est réputée dans Le Mariage de Figaro. La jeune metteuse en scène introduit ainsi un second rôle féminin en redynamisant l’action et en développant le thème de la cupidité.

 

      Si Le Barbier de Séville dans la mise en scène de Camille Delpech se présente en fin de compte comme une adaptation, la pièce originelle de Beaumarchais ne perd rien de son entrain comique ni de sa saveur satirique. L’intrigue amoureuse reste intacte, comme Figaro conserve son ingéniosité et sa débrouillardise, réclamées haut et fort dans sa fameuse tirade sur son parcours picaresque. C’est que Figaro et Almaviva, mais aussi la malheureuse Rosine, doivent désormais compter avec un opposant plus averti et plus alerte que ne l’était un lourdaud de la trempe de Basile, facile à berner : les fâcheuses apparitions de Marceline, qui pactise la main dans la main avec Batholo pour l’aider à arranger son mariage avec Rosine, mettent de l’huile sur le feu pour seconder son âpre vigilance qui ne saura pourtant pas résister au bruissant des liasses de billets que l’entremetteuse ne dédaigne jamais de glisser dans un petit sac à main. C’est certes une affaire de troc qui substitue un type de comique à un autre, mais il faut bien avoir le texte de Beaumarchais en tête pour démêler tous les changements intégrés avec finesse dans l’intrigue originelle. Ces changements stimulent au reste agréablement la curiosité des spectateurs intrigués par cet ingénieux travail de remaniement qui réinvente le comique du Barbier de Séville. C’est un pari dramaturgique réussi.

      Comme Camille Delpech ne cherche pas dans son adaptation le pittoresque du XVIIIe siècle, elle procède à d’autres arrangements pour transposer l’action dans un passé récent : et comme l’annonce la radio allumée par Figaro après son entrée fracassante constituée de plusieurs lazzis, on est en mars 1972… et non plus en Espagne de la fin du XVIIIe siècle ! En plus de cet accessoire moderne omniprésent tout au long de l’action, certains costumes, plus que d’autres, nous rappellent en sourdine les années 70 : une souple robe jaune choisie pour Rosine, un tailleur rose de cendres et des lunettes de soleil portés par Marceline, ainsi qu’une tenue disco et une perruque africaine qui servent de déguisement à Almaviva, lorsqu’il se trouve travesti en maître de musique pour s’introduire dans la maison de Bartholo. Celui-ci, dans sa diatribe contre les défauts de son époque, ne manque pas par ailleurs de mentionner la Première Guerre mondiale, le féminisme ou l’œuvre de Marguerite Duras. La scénographie, quant à elle, reste sobre tout en donnant la primauté au jeu expressif des comédiens : des caisses en bois, un plaid rouge, des draps et un escabeau suggèrent les espaces tout en faisant un clin d’œil historique au théâtre de tréteaux, côtoyé par Beaumarchais à l’époque de la création de ses parades.

 

      Dans cet espace théâtral, tout repose sur les comédiens et leur capacité à entraîner les spectateurs dans le tourbillon d’un imbroglio d’autant plus endiablé que l’action du Barbier de Séville ne supporte aucun temps mort. Les scènes s’enchaînent avec rapidité tout en ménageant d’agréables surprises. Même si les spectateurs connaissent l’intrigue, ils découvrent avec plaisir la manière dont les comédiens interprètent les scènes les plus célèbres, que ce soient celles de la lettre ou les tentatives faites par Almaviva pour tromper la prudence de Bartholo et déjouer toutes les précautions prises pour l’empêcher de s’approcher de Rosine. C’est précisément ce qui met à l’épreuve la mise en scène de toute comédie classique : et celle de Camille Delpech réussit à surprendre les spectateurs tant par la réinvention scénique d’un texte connu que par la recréation des personnages truculents, dont la suspicion et l’agilité sont la clé du succès dans la pièce de Beaumarchais. Si tel est bien le cas du virevoltant Émilien Raineau dans le rôle de Figaro, comme celui de Drys Penthier qui incarne pourtant Almaviva avec élégance, Heidi Bay crée une Rosine énigmatique : un vague air de souffrance semble en effet traduire le pressentiment des embarras que rencontrera la future comtesse dans Le Mariage de Figaro. Camille Delpech, en alternance avec Carla Girod, dans le rôle de Marceline, et Axel Stein-Kurdzielewicz, dans celui de Bartholo, forment un duo d’opposants contrastés, la première grâce à ses volte-face drôlement intéressées, le second à travers ses sauts d’humeur qui en font un amoureux hargneux.

      Repris au Théâtre Le Funambule, ce plaisant Barbier de Séville est donc l’exemple d’une adaptation intelligente qui a remporté avec justesse les suffrages de ses spectateurs. Les comédiens, qui entrent avec aisance dans la peau de leurs personnages, nous séduisent par un air de fraîcheur qui révèle leur plaisir de jouer et la détermination de nous faire rire.