Archives de catégorie : 05- Saison 2022/23

Théâtre de l’Essaïon : Darius

Darius théâtre      Darius, à l’affiche au Théâtre de l’Essaïon, est une pièce de Jean-Benoît Patricot présentée dans une mise en scène émouvante d’André Nerman (>). Cette pièce retrace l’histoire d’une rencontre fabuleuse entre un parfumeur artisanal et la mère d’un enfant handicapé qui lui prête le nom. La mise en abîme entraînée par le caractère épistolaire de l’action dramatique et le jeu des comédiens atténuent cependant sa tonalité pathétique. L’équilibre délicat ainsi obtenu subjugue les spectateurs séduits.

      Si la pièce de Jean-Benoît Patricot s’intitule bel et bien Darius, Darius atteint d’une maladie dégénérative ne paraîtra jamais sur la scène : son histoire fait l’objet d’échanges tendus entamés par sa mère Claire en quête de moyens susceptibles de l’aider à se remémorer des moments de bonheur, ce qui ne va pas de soi dans le cas d’un adolescent sourd et aveugle, cloué en plus dans un fauteuil roulant. Le seul moyen qui s’impose semble reposer sur une stimulation olfactive suggestive à l’aide de parfums originaux qui lui rappellent ces moments de bonheur connus autrefois lors des voyages entrepris à travers les quatre coins de l’Europe. Darius replace ainsi au centre d’intérêt l’idée d’un certain bien-être spirituel des personnes handicapées, mais la pièce de Jean-Benoît Patricot est loin d’être une pièce engagée qui porte des revendications sociales : son action tient au récit d’une recherche proustienne de fragrances subtiles, sans se cantonner à l’histoire de l’enfant meurtri à l’origine de cette entreprise olfactive qui implique et affecte les deux personnages présents de la pièce.

Darius, Théâtre de l’Essaïon, 2022

      La facture dramaturgique de Darius est aussi étrange et frappante que peu habituelle pour un texte destiné à la scène : un échange épistolaire suppose en effet une certaine distance entre personnages, alors que le théâtre réunit ceux-ci dans un même lieu. Claire, chercheuse au CNRS, vit à Paris, séparée de son mari mais aussi de son fils Darius placé désormais dans un centre de soins, tandis que Paul, veuf, ayant tout abandonné après la mort de sa femme, est un parfumeur installé en Provence. Leurs deux rencontres représentées symboliquement font par ailleurs, elles aussi, l’objet d’une correspondance effervescente. Toutes les interactions sont dès lors exclusivement épistolaires, ou électroniques en cas de communication par mails. Ce qui n’est pas moins problématique pour le théâtre, c’est également la production et la réception, habituellement silencieuses, des missives échangées. Ce ne sont en fin de compte que de faux problèmes, non pas tant parce que le théâtre contemporain est capable de les contourner sans incommoder les spectateurs, mais parce que les choix dramaturgiques opérés conditionnent l’effet produit en sélectionnant avec précision les faits mis en récit et en remodelant en même temps les émotions évoquées par l’épistolier avec du recul et en fonction du destinataire.

      La scénographie et l’action scénique reposent dès lors sur la mise en vie plus que conventionnelle et invraisemblable d’une histoire fragmentée constituée de correspondances privées. Ce qui est singulier et ce qui pousse à l’extrême le caractère artificiel du théâtre paraît paradoxalement étonnamment naturel. Sur scène, deux bureaux, flanqués de chaises, séparés par une étroite ruelle, sont simplement posés côte à côte. Le regard des comédiens se trouve par-là curieusement le plus souvent dirigé vers les spectateurs, ce qui les rapproche les uns des autres dans une communion bouleversante tout en accentuant la distance géographique entre les personnages qui s’envoient des lettres à cette époque même où les nouvelles technologies ont fait disparaître ce moyen de communication ancien. Non pas que l’usage de ces technologies soit banni, puisque chacun des deux bureaux dispose d’un ordinateur portable en plus d’être décoré de plusieurs accessoires symboliques — un cadre photo pour Claire et des flacons de parfum pour Paul —, mais leur usage restreint et la place accordée à celui de la lettre participent de cette longue série de paradoxes inscrits dans la mise en scène de Darius.

 

      Les deux comédiens, Catherine Aymerie et François Cognard, insufflent à l’histoire de Darius cette vie éthérée qui le fait vivre à travers les récits poignants des deux personnages créés avec entrain. La mise en voix des lettres à laquelle les deux comédiens se laissent aller avec aisance se traduit par l’adoption de postures animées qui reflètent des dispositions sentimentales connues grâce à l’activité scripturaire. Claire, délicatement incarnée par Catherine Aymerie, n’apparaît jamais dans la posture d’une mère éplorée brisée par l’état de santé d’un enfant mourant : la comédienne s’empare au contraire de sa création en nous rendant amplement sensibles à l’enthousiasme de cette mère dévouée qui cherche à apaiser autant que possible la souffrance de Darius ; aux moments les plus éprouvants mêmes — le récit du voyage à Amsterdam ou celui de la mort de Darius —, Catherine Aymerie conserve une allure élégante, touchante et attachante, favorisée en l’occurrence par la distance temporelle entre l’événement vécu et son récit. François Cognard, de son côté, crée un Paul émotif et colérique, replié sur lui-même mais entraîné par le défi d’inventer des parfums pour Darius : il lui donne avec assurance un air à la fois hésitant et déterminé suivant les circonstances, contrastant efficacement avec une noble maîtrise de soi qui caractérise Claire. Qu’ils restent assis à leur bureau ou se déplacent sur le devant de la scène, les deux comédiens séduisent ainsi les spectateurs grâce à un jeu palpitant tout en déjouant les enjeux d’une action fondée sur des échanges épistolaires : l’histoire de Darius, mais aussi celle de leurs personnages, et leur prestance nous font oublier les artifices de la scène pour mieux nous happer avec la force du vertige.

     Darius de Jean-Benoît Patricot, dans la mise en scène d’André Nerman, raconte sur une note originale les souffrances d’un enfant handicapé voué à la mort tout en métamorphosant ces souffrances en une aventure olfactive émaillée de rebondissements et de moments de joie. Malgré la douleur qui affecte fatalement tous les personnages, l’histoire de Darius se présente ainsi comme une promesse lumineuse de pouvoir vivre des instants exceptionnels.

Théâtre de la Contrescarpe : Zola l’infréquentable

Zola l'infréquentable      Zola l’infréquentable est une création originale de Didier Caron présentée au Festival d’Avignon OFF 2022 dans une mise en scène classique mais saisissante de l’auteur, programmée en ce pluvieux automne au Théâtre de la Contrescarpe (>). Tant on a été séduit par la dimension sensible et pittoresque de Madame Zola jouée il y a quelques années au Petit-Montparnasse, que l’on est happé par la teneur mordante de Zola l’infréquentable écrite dans une langue élégante du XIXe siècle.

      Émile Zola fait partie des grandes figures incontournables de la fin du XIXe siècle, ne serait-ce qu’au regard de son œuvre littéraire, de sa mémorable fresque des Rougon-Macquart composée de vingt romans qui ont consacré le mouvement naturaliste mis en œuvre et porté par Zola lui-même chef de file. Mais au-delà de cette immense œuvre littéraire accueillie favorablement par le grand public, quoiqu’étrillée et qualifiée de « putride » par la critique d’époque, Émile Zola nous intéresse aussi bien par sa vie amoureuse romanesque digne d’une véritable comédie de boulevard que par son engagement politique, notamment dans l’affaire Dreyfus qui a littéralement ébranlé la société fin de siècle de la IIIe République en la divisant brutalement en deux camps irréconciliables. Par ses positions esthétiques et politiques, Émile Zola est rapidement devenu une figure controversée, désavouée et moquée par ses confrères issus d’une bourgeoisie bien-pensante et forts de leur succès immédiat. La pièce de Didier Caron revient précisément sur des polémiques littéraires, sociales et politiques alimentées par des prises de position de Zola qui défend radicalement ses convictions et doit même partir en exil après la parution de son pamphlet retentissant « J’accuse », publié au lendemain de l’acquittement du véritable coupable dans l’affaire Dreyfus, celui du comte Esterhazy.

Zola l'infréquentable
Zola l’infréquentable, de Didier Caron, Théâtre de la Contrescarpe © Fabienne Rappeneau

      L’action dramatique proprement dite de Zola l’infréquentable est fondée sur trois grands actes qui opposent Émile Zola et Léon Daudet, un des fils de l’écrivain célèbre Alphonse Daudet, trois ans après la condamnation du capitaine Dreyfus, au moment où Émile Zola commence à s’intéresser à cette affaire. Si les deux hommes se rencontrent dans la maison parisienne d’Alphonse Daudet mourant et qu’Émile Zola refuse fermement de lire un article antisémite haineux de Léon Daudet, leur débat acerbe passe d’abord au crible leurs positions esthétiques diamétralement opposées. L’affaire Dreyfus et l’engagement de Zola pour sa cause ne s’introduisent dans l’action que progressivement pour s’imposer in fine comme le sujet principal des échanges. Les trois brillants dialogues, amplement dramatiques, correspondant aux trois grands moments de la pièce, se voient d’autre part innervés d’une dimension épique qui introduit dans l’action l’écoulement du temps historique. Zola l’infréquentable dépasse dès lors le clinquant des dialogues conflictuels, injurieux malgré toute l’élégance plaisante de tournures caustiques décochées sur un rythme endiablé, en confrontant précisément les deux personnages à des situations éprouvant leurs positions auxquelles aucun des deux n’est prêt à revenir, situations telles que la mort d’Alphonse Daudet, l’acquittement du coupable ou la parution de « J’accuse ». L’action dramatique instaure par-là une puissante tension dialectique entre le dramatique et l’épique, entre un échange stimulé par l’actualité contemporaine et son inscription dans l’Histoire.

      Une scénographie pittoresque, conçue par Capucine Grou-Radenez, semble parfaitement fonctionnelle dans la mesure où elle favorise des changements de lieux rapides tout en nous laissant pénétrer dans le salon de l’un ou de l’autre des deux personnages. Deux fauteuils d’époque et un bureau Second Empire sont placés, et déplacés au cours de l’action, devant une grande paroi mobile représentant de façon symbolique une bibliothèque introduite en référence aux activités littéraires des deux écrivains-journalistes. Tandis qu’au premier acte c’est Émile Zola qui se rend chez les Daudet et qu’il y est retenu par Léon enclin à la gausserie, pressé d’étriller le vieil ami de son père, au second acte c’est Léon qui surprend Émile Zola en train de rédiger une lettre, pour lui annoncer la mort d’Alphonse Daudet. Ces changements de lieux et les déplacements des décors qui les accompagnent permettent de relancer et rendre dynamique le déroulement de l’action avant que celle-ci ne s’enlise dans un échange gratuit de propos blessants. De plus, les courtes scènes encadrant les trois grands actes — au début, deux brefs récits de souvenir situés au cimetière du Père-Lachaise, puis, à la fin, une succession de récits qui évoquent les dernières années d’Émile Zola : sa fuite, son exil, son retour ainsi que sa mort mystérieuse et ses obsèques et ce, devant un décor de rue dépouillé —, ces courtes scènes pittoresques épiques transcendent les échanges dramatiques en crescendo en entraînant adroitement une émotion forte.

 

      L’action scénique repose sur la justesse du ton et des gestes adoptés d’autant plus que sa majeure partie tient aux dialogues lors desquels les deux adversaires cherchent non seulement à atteindre au vif et à se rabaisser l’un l’autre, mais aussi et surtout à convaincre : dans ces conditions, le moindre geste et la moindre hésitation du corps engagent plus qu’ailleurs l’image que le comédien souhaite donner de son personnage. La langue élégante dans laquelle la pièce se trouve rédigée invite dans le même temps à prendre des précautions pour ne pas verser dans la déclamation et à nuancer l’expression pour transposer les états d’âme des deux personnages. Les spectateurs apprécient ainsi la virtuosité avec laquelle les deux comédiens s’emparent de la création d’Émile Zola et de Léon Daudet. Pierre Azéma incarne le premier en lui prêtant un certain air de bonhommie, mais qui ne compromet en rien la détermination farouche de Zola à aller jusqu’au bout de ses convictions. Le comédien déconstruit cependant la réputation d’un Zola vieillissant âprement intraitable tel que le dépeint Léon Daudet à travers ses invectives : il crée malgré tout un Zola sensible et droit dans ses bottes, libéré de toute attitude opportuniste. Bruno Paviot, quant à lui, dans le rôle de Léon Daudet, incarne avec aplomb un adversaire mordant et fougueux, très à l’aise dans la peau d’un journaliste conservateur vindicatif qui baigne dans un opportunisme haineux. Les deux comédiens nous réservent des moments d’autant plus délicats et parfois même désopilants malgré tout que leur jeu enflammé fondé sur des effets de contraste rend les dialogues particulièrement vivants : une nonchalance arrogante de Léon jure d’abord avec une posture crispée d’Émile Zola, mais les deux attitudes du premier acte connaissent une évolution dramatique qui renverse les rapports de force entre un Léon en deuil et un Émile affectueux. Tout est pensé au moindre détail pour le plus grand plaisir du spectateur.

      Brillamment écrite, brillamment interprétée, Zola l’infréquentable de Didier Caron est certes une création magnétisante pour tous les amoureux de la littérature, mais elle séduit également ceux qui découvre l’auteur de Nana et du Germinal en leur donnant sans aucun doute l’envie de lire et de creuser davantage ce patrimoine littéraire. Dans l’un ou l’autre des cas, Zola l’infréquentable est un grand moment de théâtre.

https://www.youtube.com/watch?v=rTbpbqLyozc&t=2s

Théâtre de l’Île Saint-Louis : La Dernière étreinte

Marie-Antoienette, La Dernière étreinte      Marie-Antoinette, La Dernière étreinte est une pièce originale d’Isabelle Toris-Duthillier créée en 2018 dans une mise en scène émouvante de l’auteur au Théâtre de l’Île Saint-Louis Paul-Rey (>). Après la création du Caprice de Sade 1772, cette femme de théâtre exceptionnelle, passionnée par le XVIIIe siècle, s’intéresse aux derniers moments de la vie de la dernière Reine de France, moments que celle-ci passa à la Conciergerie lors de son scandaleux procès monté sans aucune pièce à conviction avant son départ pour l’échafaud, où elle fut guillotinée dans la précipitation le 16 octobre 1793.

      Le destin de la dernière Reine de France a inspiré des auteurs de théâtre dès sa mort dans les premiers mois de la terreur révolutionnaire : les premières pièces, des tragédies coulées dans les codes dramatiques de l’époque, apparaissent ainsi dès la fin du XVIIIe siècle. Marie-Antoinette a par ailleurs fait l’objet d’admiration de l’impératrice Eugénie qui a remis à la mode le style Marie-Antoinette à l’époque du Second-Empire, en parallèle avec la vogue du XVIIIe siècle auprès de collectionneurs d’objets d’art. Mais il fallait attendre la célèbre biographie de Stefan Zweig (1932) pour que Marie-Antoinette soit reconnue dans la plénitude de son destin de femme et a fortiori dans ses rôles d’épouse et de mère. Au regard de toute la propagande antiroyaliste ordurière, alimentée par une abondante littérature pamphlétaire résolument diffamatoire — et selon laquelle Marie-Antoinette est regardée comme une femme lubrique livrée avec désinvolture à tout type de plaisirs sexuels —, la tâche menée par les historiens pour séparer la diffamation d’avec la vérité historique n’était pas aisée. Depuis la parution de l’ouvrage de Zweig conçu suivant une démarche psychanalytique sans doute discutable, les biographies historiques ne cessent de pulluler tout en provoquant un nouvel engouement pour le destin de Marie-Antoinette. Isabelle Toris-Duthillier, quant à elle, s’inscrit avec sa pièce de théâtre dans une veine dramatique qui appréhende la vie de Marie-Antoinette comme celle d’une femme brisée sur laquelle l’autrice porte un regard sensible mais lucide, sans aucune volonté d’idéalisation romantique.

Marie-Antoinette, La Dernière étreinte, Théâtre de l’Île Saint-Louis, 2022 © Francis Thery

      La pièce d’Isabelle Toris-Duthillier est tout d’abord une pièce intime dont l’action se déroule majoritairement dans la cellule de Marie-Antoinette incarcérée à la Conciergerie, où elle est accompagnée d’une certaine Rosalie devenue sensible à la condition de cette Reine martyre, à qui elle s’attacha rapidement en essayant de rendre ses derniers jours plus supportables. Sans se présenter comme une grande fresque historique, l’action de la pièce est constituée de plusieurs scènes bien documentées, pensées certes à l’appui de documents historiques attestées, mais elle ne bascule pas dans une simple reconstitution scrupuleusement véridique. Une part belle est en effet laissée à la réinvention du personnage de Marie-Antoinette inspiré de ses propos retranscrits et de ses correspondances privées conservées, à la réinvention de ses états d’âme animant ses derniers moments compte tenu du déroulement de son procès dont l’issue était jouée d’avance comme au regard de son état de santé qui se dégradait au jour le jour. L’action de la pièce se présente dès lors comme un compromis judicieux fait entre la vérité historique et l’invention romanesque : en plus de Rosalie et de Louis-François de Busne dont le rôle de gardien révolutionnaire s’impose comme un contrepoint discret à toute affection excessive, on retrouve la figure capitale intervenue lors du procès, celle de Claude-François Chauveau-Lagarde qui défendit Marie-Antoinette et qui fut l’un des derniers hommes à l’avoir fréquentée. L’écriture d’Isabelle Toris-Duthillier nous séduit ainsi tant par son caractère sensible que par une tension dialectique entraînée par la mise en vie fictive de faits historiques.

      Comme l’écriture, la scénographie tient à un compromis astucieux, considéré moins comme tel dès lors que les choix de mise en scène confèrent à l’action un puissant effet d’émotion. Deux simples tabourets en bois et un petit guéridon décoré d’une sculpture portative de Jésus-Christ — élément symbolique qui évoque aussi bien l’attachement de la Reine à ses devoirs religieux mentionnés dans sa dernière lettre (en rupture flagrante avec les idées révolutionnaires) que le martyre qu’elle s’apprête à subir elle-même —, ces quatre éléments constituent les seuls objets de décor, ce qui semble un choix d’autant plus expressif et perspicace que la Reine ne disposait dans sa cellule aux murs jaunis que d’un strict nécessaire. Contrairement à cette heureuse scénographie dépouillée, de beaux costumes d’époque, conçus par le styliste costumier Benjamin Warlop, introduisent dans l’action un côté historique pittoresque propre à transposer les spectateurs dans ces temps anciens qui ont durablement marqué les esprits. S’ils permettent sans doute d’identifier les quatre personnages et captiver agréablement l’œil des spectateurs, ils produisent dans le même temps ce curieux effet de réel et de vérité historique qui contraste avec le caractère artificiel de l’espace théâtral : l’attention des spectateurs se concentre dès lors d’autant plus efficacement sur ces figures historiques ranimés comme par magie par les corps des quatre comédiens avec un soin particulier prêté aux inflexions de voix et aux moindres gestes projetés dans l’intimité de la petite salle en boiseries peintes du théâtre de l’Île Saint-Louis.

 

      L’action proprement dite est ouverte par un récit rétrospectif du gardien hanté par le souvenir de la Reine disparue depuis longtemps, situation dramatique qui tend un miroir tant soit peu déformant aux spectateurs présents dans la salle. Ce n’est qu’après ce bref récit que la Reine, malade et épuisée, entre sur scène accompagnée de Chauveau-Lagarde pour faire le point sur certains faits abordés lors de la première audience : ses lettres, la fuite à Varennes, sa prétendue liaison avec Fersen ou l’affaire du collier qui aurait le plus nuit à sa réputation. Au cours des entretiens avec son défenseur, mais aussi avec sa servante Rosalie, Marie Antoinette a l’occasion de revenir sur plusieurs moments emblématiques de sa vie et évoquer par-là sa condition de reine de France, à commencer par son enfance heureuse à Schönbrunn, son arrivée douloureuse en France, les premières années de son mariage infructueux avec Louis XVI ou la mauvaise foi des filles de Louis XV, mais aussi ces périodes heureuses passées avec ses enfants et leur père, périodes qui la transformèrent en une mère tendre et une épouse aimante. L’action, déroulée comme une suite de tableaux, ménage ainsi aux spectateurs des moments privilégiés qui les laissent pénétrer dans l’intimité secrète de la Reine, pour s’achever sur ce tableau déchirant où elle confond Rosalie qu’elle prend dans les bras avec sa propre fille surnommée Mousseline. Cette action intègre dans le même temps la plaidoirie véhémente prononcée par Chauveau-Lagarde devant le tribunal révolutionnaire ou la mise en récit émouvante de la dernière lettre, ce qui entraîne, au regard de l’authenticité de ces deux discours, un bouleversant effet de réel.

 

      C’est Isabelle Toris-Duthillier qui s’empare de la création de Marie-Antoinette en lui prêtant une posture empreinte de fierté et de noblesse : suivant des témoignages d’époque, la comédienne donne ainsi à son personnage cet air de dignité (sans mépris) propre à la condition de reine. Mais elle incarne avant tout une Marie-Antoinette éprouvée par une maladie mortelle, une série de deuils déchirants et un emprisonnement fatal : une Marie-Antoinette qu’on sent malgré tout intérieurement lutter pour préserver et défendre son statut de Reine et de Mère au-delà de la chute de la monarchie. Patrice Faucheux, dans le rôle de Chauveau-Lagarde, incarne un homme pragmatique et sûr de lui, mais aussi empathique et tendre quand il s’agit de réconforter et soutenir la Reine affaiblie. Tandis que Guillaume Chabaud crée le soldat gardien qui intervient à quelques occasions pour brider l’attachement de Rosalie pour Marie-Antoinette, Maddy Dubois incarne cette servante dévouée, toujours à l’écoute, avec une retenue inquiète qui traduit délicatement les sentiments qu’elle n’ose pas exprimer par pudeur.

      Marie-Antoinette, La Dernière Étreinte est une pièce historique qui revient sur le destin de la dernière Reine de France suivant une approche à la fois sensible et lucide : il s’agit, pour Isabelle Toris-Duthillier, de réinventer avec vraisemblance les états d’âme de Marie-Antoinette Reine et Mère à ce moment éprouvant que celle-ci savait fatal. La mise en scène et le jeu des comédiens nous séduisent précisément par ce côté intime qui nous fait pénétrer dans la cellule où la Reine martyre passa les moments les plus douloureux de sa vie.

MAC Créteil : Combat de nègre et de chiens

      La MAC Créteil ouvre sa saison théâtrale avec la création de la pièce la plus énigmatique du répertoire koltésien : Combat de nègre et de chiens présentée dans une mise en scène classique de Mathieu Boisliveau (>), mise en scène singulière en ce qu’elle laisse le spectateur empiéter littéralement sur l’espace de jeu et en ce qu’elle remodèle ainsi le rapport au public en le rapprochant au maximum du jeu physique des comédiens amplement convaincants dans leurs rôles respectifs.

      Les textes de Marie-Bernard Koltès ne cessent de nous fasciner par l’ambiguïté de leur dimension quasi métaphysique ainsi que de résister à toute interprétation décisive. Même Patrice Chéreau, qui a le mérite d’avoir familiarisé les spectateurs avec le théâtre de Koltès, ne pouvait prétendre à détenir la clé exclusive de son décryptage définitif : les premières créations des pièces de Koltès par ce metteur en scène incontournable nourrissent indéniablement les nouvelles, et si elles ont pour un certain temps empêché même d’autres metteurs en scène de s’attaquer au théâtre de Koltès en raison de leur haute qualité dramaturgique et esthétique incontestable, elles sont devenues depuis, en plus des textes proprement dits, des repères indispensables qui servent toujours de points de départ fructueux. Si une comparaison avec Chéreau s’impose toujours, il ne s’agit pourtant absolument pas de rivaliser avec lui : sa dramaturgie accessible à travers ses notes et écrits a désormais une valeur historique qui contribue au travail herméneutique mené sur le théâtre de Koltès. Mathieu Boisliveau, intimement attaché à ce théâtre et aux questions qu’il soulève, a su se frayer son propre chemin pour proposer de Combat de nègre et de chiens une relecture personnelle fondée sur une scénographie hyperréaliste.

Combat de nègre et de chiens, mise en scène par Mathieu Boisliveau, 2022 ©GLM

      Dans le propos imprimé sur la quatrième de couverture (Les Éditions de Minuit, 1989), Koltès insiste sur le fait que son Combat de nègre et de chiens n’est pas une pièce sur l’Afrique, le racisme ou le néocolonialisme — même si l’action est située dans un pays d’Afrique de l’Ouest et qu’elle aborde indirectement la question raciale à travers une confrontation directe entre le noir Alboury venu réclamer le corps de son frère mort et le chef de chantier Horn qui biaise pour le lui livrer. La teneur des dialogues nous persuade en effet qu’un étiquetage précipité pourrait nous induire en erreur et réduire la portée métaphysique des propos : l’action intègre certes des thèmes liés au rapport inextricable entre l’Occident/France et l’Afrique, comme au rapport complexe entre les Blancs et les Noirs, mais les dépasse largement en explorant aussi bien les rapports humains entre les quatre personnages de la pièce que le rapport entretenu par chacun d’eux au monde de manière générale : au travers de leur destin singulier, elle conduit à une confrontation féroce de quatre visions du monde qui ont raison de leur impossible entente au-delà de toutes les différences culturelles, sociales, religieuses ou raciales qui les opposent fatalement. Combat de nègre et de chien se présente comme une sombre ode à la vie dans la mesure où les quatre personnages pris isolément débordent certes d’énergie vitale, mais sans parvenir à concilier leurs aspirations dans un compromis acceptable : leurs errances sur le lieu du chantier africain se soldent par une rupture tragique irrémédiable. La mise en scène de Mathieu Boisliveau tient compte de ces enjeux dramatiques et métaphysiques en campant l’action dans un cadre imprécis à cheval entre un désert et un simple chantier.

      Plusieurs éléments de décor nous déplacent dans un lieu aride du continent africain sans qu’aucun objet explicite ne nous indique pourtant clairement qu’on se trouve en Afrique, si ce n’est ce sable jaune foncé qui recouvre entièrement la scène et qui n’a en fin de compte qu’une valeur métaphorique ambiguë. A jardin, une sorte de cabane faite en tôle ondulée évoque vaguement le caractère provisoire d’un terrain de chantier : à cour, un grand arbre parsemé de fleurs roses introduit dans cette scénographie aride un élément poétique qui contraste curieusement avec le reste. Si plusieurs rangées de spectateurs sont installées derrière ces deux éléments saillants, une table à jardin et une élévation de terrain à cour se trouvent, quant à eux, sur le devant de la scène. Les quatre angles représentent dès lors chacun un endroit symbolique spécifique pour les besoins de la mise en scène tout en contribuant dans le même temps à circonscrire l’espace de jeu dans un cercle ouvert qui semble dessiner une arène : les rangées de spectateurs placées derrière la scène et les gradins qui leur font face renforcent l’impression que l’aire sablée s’apparente à cette terrible arène où les quatre personnages jouent leur propre destin sous les regards ébahis des spectateurs installés dans leur étroite proximité, pris çà et là pour gardiens. L’action proprement dite semble tiraillée entre les quatre points symboliques en se situant au milieu de la scène à ses moments les plus marquants. L’utilisation dramaturgique de l’espace scénique relève ainsi d’une tension esthétique subtile qui répond au vœu de Koltès selon lequel son Combat de nègre et de chiens « parle simplement d’un lieu du monde ».

 

      C’est ainsi que chaque personnage entretient un rapport différent à ce lieu qui les réunit durant quelques heures. Si le chef de chantier Horn et l’ingénieur Cal l’ont investi depuis longtemps, Alboury et Léone le découvrent à l’instant en s’y rendant l’un pour récupérer le corps de son frère, l’autre pour rejoindre son futur époux, Horn. Or, les rencontres conditionnées précisément par un rapport ambigu à cette terre africaine les précipitent les uns les autres dans une catastrophe sanglante précédée d’échanges tendus qui constituent l’action propre de la pièce : des moments empreints aussi bien de violence et d’angoisse que de poésie et d’espoir, amenés par les quatre comédiens à l’aide d’un jeu assuré et entraînant, devenu haletant dès lors que l’étau se resserre et qu’un ultime règlement de comptes semble inévitable. Soulignons à cet égard qu’un subtil travail sur l’éclairage permet d’augmenter l’intensité de ces moments en instaurant des ambiances variées, ce qui est le plus sensible à ces moments exceptionnels où Léone et Alboury trouvent le chemin l’un vers l’autre pour exprimer leur fascination pour la terre africaine tant malmenée par des intérêts économiques et industriels, à ces moments poétiques où la scène est plongée dans une semi-obscurité bleutée et où l’espoir d’une issue non tragique semble encore possible. C’est le personnage de Léone qui représente l’élément le plus lumineux dont la « profanation » symbolique, l’automutilation et la disparition sonnent le glas de compromis devenus in fine impossibles.

Combat de nègre et de chiens, mise en scène par Mathieu Boisliveau, 2022 ©GLM

      Chloé Chevalier s’empare de la création de Léone avec une sensibilité émouvante : si elle lui prête un air de naïveté en lien avec l’origine sociale de cette parisienne débarquée en Afrique, celle-ci nous séduit tant par sa pureté morale que par l’assurance avec laquelle la comédienne défend les aspirations intimes de ce seul personnage féminin. Denis Mpunga, dans le rôle d’Alboury, incarne le versant masculin de Léone en créant un personnage équilibré doué d’une étonnante sérénité et d’une persévérance inébranlable : Denis Mpunga nous persuade dans le même temps que cette posture n’est pas un signe de soumission mais qu’elle traduit la détermination et l’honnêteté pudique d’Alboury. A l’autre bout de l’échelle des valeurs humaines, Thibault Perrenoud prête son corps au cynique ingénieur Cal, âprement attaché au gain et au bien-être : il l’incarne avec une agitation fiévreuse traduisant les frustrations de ce personnage en perte de repères entraînés par une errance stérile qui précipite les autres dans le mal. Pierre-Stefan Montagnier, dans le rôle de l’homme de compromis par excellence, incarne son personnage avec un air de bonhommie tenace en nous convainquant que l’échec des actes bien intentionnés d’Horn est imputable au louvoiement et au manque de fermeté.

     Combat de nègre et de chiens dans la mise en scène de Mathieu Boisliveau est une création entraînante qui tient les spectateurs en haleine pendant les deux heures que dure le spectacle : elle relève d’une relecture personnelle sensible tout en servant le texte de Koltès avec adresse. Elle nous séduit dans le même temps par le jeu maîtrisé des quatre comédiens qui s’approprient leurs personnages avec aisance. C’est un moment intense avec le théâtre de Koltès.

TNP de Villeurbanne : La Douleur avec Dominique Blanc

      La Douleur a été créée en 2008 dans une mise en scène épurée de Patrice Chéreau, disparu en 2013. Cette mise en scène qui a fait date est reprise en cet automne 2022 au TNP de Villeurbanne (>) dans sa distribution originelle avec Dominique Blanc, devenue entre-temps sociétaire de la Comédie-Française. C’est Thierry Thieû Niang, collaborateur de Chéreau, qui a préparé cette reprise attendue avec impatience au TNP de Villeurbanne comme au Théâtre de l’Athénée, où elle est programmée au mois de novembre (>). Dominique Blanc se replonge de son côté dans le célèbre texte de Marguerite Duras avec sa sensibilité éprouvée tout en poursuivant son exploration personnelle de ce texte dont elle dit dans une interview qu’elle n’a « jamais abandonné ».

      Si La Douleur (P.O.L., 1985) est un recueil de plusieurs récits de longueur différente, le spectacle conçu par Patrice Chéreau repose sur une mise en vie scénique du premier d’entre eux qui est résolument autobiographique, récit bouleversant dans lequel Marguerite Duras revient, bien des années après les événements relatés, sur son attente et le retour douloureux de son premier mari Robert déporté dans un camp de concentration. Ce récit rétrospectif, fait à la première personne, se présente à la fois comme un journal intime recréé a posteriori et comme un témoignage poignant fondé sur des faits vrais. Marguerite Duras est douée de ce talent singulier et de cette sensibilité fiévreuse qui la conduisent à transcender une réalité puisée dans son expérience personnelle en la transposant dans une œuvre romanesque : l’écrivaine passe au crible sa propre vie pour en faire un immense chantier qui la hante de telle sorte que cette vie fait l’objet d’un inépuisable récit de soi suspendu entre un fait vrai et une fabulation épique. Le récit de La Douleur se situe dans ces mêmes interstices romanesques qui lui confèrent une puissance retentissante tirée précisément d’une expérience unique propre à se transformer en une expérience collective à caractère universel : la voix de la narratrice tend en effet à renfermer celle d’autres femmes confrontées aux mêmes accidents de vie, d’où la fascination inébranlable qu’exerce sur nous l’écriture de Marguerite Duras.

La Douleur, Dominique Blanc, TNP de Villeurbanne 2022 © Simon Gosselin

      La Douleur est tout d’abord le récit d’une attente désespérée, conçu aussi bien comme une plongée dans les pensées intimes de la narratrice que comme une succession fragmentée de micro-scènes épiques qui introduisent dans son témoigne la parole d’autrui. Il s’agit pour elle d’exprimer l’indicible douleur qui la rongeait dans les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale, à ce moment précis où les soldats, les prisonniers et les déportés commencent à rentrer en France — du moins ceux qui ont réussi à survivre, à ce moment précis où l’espoir d’un retour du front ou d’un camp de concentration se solde, pour ceux de l’arrière, par une déception angoissante renouvelée au jour le jour. Mais La Douleur est aussi le récit du retour de Robert sorti in extremis du camp de Dachau, ramené à Paris rue Saint-Benoît et arraché des bras de la mort, récit d’un retour déchirant qui débouche sur une scène de retrouvailles impensable : la vue de Robert défiguré paraît à la narratrice si insoutenable qu’elle hurle d’horreur en fuyant. Comment parvenir, dans ces conditions, à se raconter et avouer l’impensable qui donne aux autres une image dévalorisante de soi-même ? Si Marguerite Duras y est parvenue au prix de la rupture définitive avec Robert qu’elle avait quitté bien des années avant de publier son récit, comment parvenir d’autre part à montrer cette série de douleurs sans verser dans l’insoutenable ? La mise en scène de Patrice Chéreau et le jeu de Dominique Blanc ont fait le pari d’une élégante sobriété qui nous émeut à la manière de ce râle discret qu’on suppose à Laocoon enserré par le serpent.

      Cette sobriété s’impose aux spectateurs dès leur entrée dans la « petite salle » du TNP, où ils retrouvent Dominique Blanc déjà installée sur scène, assise de dos sur la chaise placée à cour derrière un grand bureau qui fait face à une rangée de plusieurs chaises à jardin. Ce grand bureau nous transpose d’emblée dans le temps historique où l’écrivaine compose son récit, si ce n’est plutôt à cette époque romanesque intermédiaire et indéterminée où la narratrice de La Douleur se laisse aller à une introspection troublante qui la conduit à se remémorer son histoire à partir des cahiers qu’elle redécouvre simultanément. La rangée des chaises tend cependant à brouiller cet ancrage spatio-temporel dans la mesure où le récit et le jeu les transmuent en cet endroit symbolique où la narratrice remontant le temps se rend à plusieurs reprises pour enquêter sur le destin de Robert, le Centre de recherche d’Orsay où elle-même contribuait autrefois à établir les listes de plusieurs centaines de déportés et prisonniers rentrés en France. Le temps et l’espace dramatiques connaissent dès lors cette altération romanesque qui les étend considérablement tant pour entraîner une délicate tension dramaturgique entre le vécu et le récit de ce vécu que pour dépasser la simple mise en vie scénique de l’acte narratif et transformer celui-ci en une véritable action scénique qui lui confère une valeur esthétique à caractère universel, celle d’un témoignage intemporel aux confins d’une vaste interrogation métaphysique menée sur le rapport à soi-même.

 

      Si les murs gris faits en béton armé, laissés en l’état, sans décor, gomment l’empreinte d’un temps historique inscrite les seuls meubles et costume de la comédienne, et qu’ils renferment par-là l’action dans une temporalité romanesque ambiguë, une porte du fond laissée entrouverte ouvre discrètement ce cadre vers un espace-temps extra-dramatique qui renvoie à la réalité théâtrale. Dominique Blanc, quant à elle, s’empare de la création de Marguerite Duras ou de la narratrice avec une délicate retenue dosée suivant le fait évoqué : une subtile ambiguïté maintenue tout au long du spectacle persiste à cet égard, dès lors que la comédienne ne cherche pas à restituer le pittoresque d’un témoignage historique par le truchement d’une incarnation authentique de l’écrivaine, mais s’emploie au contraire à sublimer ce témoignage dans une interprétation exaltante qui transcende l’insoutenable et l’horrible en une œuvre d’art subjuguant l’esprit. Dominique Blanc louvoie ainsi avec élégance entre un certain pathos propre à la diction classique et une émotion tirée d’une diction sensible, ce qui l’amène à trouver un équilibre saisissant dans la création de son personnage en proie à des souvenirs pesants qui troublent son âme malgré une importante distance temporelle entre le vécu et l’activité de remémoration. La comédienne situe ce personnage précisément dans un entre-deux épuré de toutes les traces d’une confrontation directe aux événements douloureux : cette douleur circonscrite dans les mots semble dès lors ressurgir de son for intérieur par à-coups, ce qui la conduit de façon ponctuelle à accentuer les moments les plus poignants et à créer ainsi un personnage modéré doué d’une intensité émotionnelle sublime. L’assurance avec laquelle elle lui prête sa voix, ses gestes et ses regards nous séduit ainsi tout en nous rendant sensibles à ce personnage brisé par le poids d’une peine inexpiable.