Célestins (Lyon) : La Vie de Galilée

      La Vie de Galilée est une pièce de Bertolt Brecht, mise en scène par Claudia Stavisky au théâtre des Célestins à Lyon (>), avec Philippe Torreton dans le rôle-titre.

      Comme l’annonce son titre, La Vie de Galilée représente la vie du célèbre astronome ayant vécu au tournant des XVIe et XVIIe siècles. Les moments clés qui composent l’action de la pièce soulignent d’emblée la posture philosophique du savant enthousiasmé par la recherche de la vérité mais qui se trouve fâcheusement confronté aux contraintes qu’imposent les dogmes de l’Église. C’est que ses découvertes en matière d’astronomie risquent d’ébranler les représentations traditionnelles du monde qui placent à son centre le Saint-Siège. S’il s’était avéré que le nouveau système solaire proposé par Galilée était vrai, l’Écriture aurait menti ou sa parole ne serait pas venue de Dieu lui-même. Les conséquences idéologiques et politiques posées sont majeures tant pour l’Église que pour la chrétienté. Toute l’attention est alors portée sur les démarches de Galilée coincé entre l’honnêteté scientifique et la pression exercée par le clergé. Une mise en scène de La Vie de Galilée requiert ainsi pour ce rôle un comédien à la fois dominant et humain, capable de souligner aussi bien l’enthousiasme que le désenchantement, que peut vivre un savant obligé de se taire ou d’exposer sa vie à la torture. Si Hervé Pierre brille dans le rôle de Galilée à la Comédie-Française où la pièce a été montée par Éric Ruf au printemps dernier, l’on peut en dire autant de Philippe Torreton dans la mise en scène de Claudia Stavisky présentée au théâtre des Célestins.

Si, selon Claudia Stavisky, “La Vie de Galilée nous plonge dans l’ultra-contemporain”, c’est qu’“aujourd’hui, aucun grand de ce monde ne doute sérieusement, en son for intérieur, de la réalité du dérèglement climatique et de l’impact qu’a l’homme sur son environnement. Le problème, c’est la vision « à courte vue » de tous ces hommes de pouvoir qui doivent, comme les ecclésiastiques du XVIIe siècle, faire face à un paradoxe : conserver leurs privilèges tout en actant le changement inéluctable de notre société. C’est ce paradoxe que j’ai envie d’explorer en m’emparant de La Vie de Galilée.”
Entretien avec Claudia Stavisky,
Programme de La Vie de Galilée, Théâtre des Célestins (2019).
 

      Autant le personnage de Galilée est passionné par la science, autant il aime la bonne chère et le confort : et c’est précisément cette double passion qui pose la difficulté dans la création plastique du personnage, comme dans la construction ambiguë de la figure du « héros ». Grâce à son charisme, à la maîtrise des inflexions puissantes de sa voix et au maintien de ses gestes expressifs, Philippe Torreton séduit les spectateurs présents dans la salle et qui se laissent aisément entraîner dans cette course effrénée de la lutte pour le droit de dire la vérité. Comme le souligne Galilée, cette recherche de la vérité poursuit, dans son esprit, un objectif précis : aider l’humanité à progresser sur le plan matériel, mais aussi à s’améliorer moralement. Philippe Torreton doit ainsi dépasser le fol enthousiasme d’un savant passionné pour arriver à rendre le spectateur sensible au discours et au combat de la science. Cette émotion, il la transmet le mieux au moment où Galilée répond avec véhémence aux propos très touchants du moine bien-pensant (Gabin Bastard) pour lequel la représentation du monde organisée autour de l’entrée dans le paradis est nécessaire pour donner sens à l’existence du pauvre. Or, Galilée démontre magistralement que les hommes au pouvoir, que ce pouvoir soit séculier ou ecclésiastique, ont des intérêts économique et politique à garder inchangé l’ordre fondé sur la tradition. C’est sans doute à ce moment-là que Philippe Torreton gagne l’adhésion des spectateurs pour son personnage, conférant aux recherches de Galilée une profondeur humaniste. Il leur permet de se mettre dans la peau de l’astronome afin de leur faire comprendre sa rétractation discutable et sa peur toute humaine devant la torture. Le comédien parvient donc à créer un personnage particulièrement touchant.

      Ce n’est pas le hasard si la vérité est souvent métaphoriquement associée à la lumière qui traverse l’obscurité pour éclairer ce qui était caché à l’œil : la vérité doit, elle aussi, traverser les ténèbres en perçant les plis épais de l’obscurantisme et des intérêts particuliers. Aussi bien la scène se trouve-t-elle plongée, durant la plus grande partie de la représentation, dans la pénombre, jouant avec les effets de lumière et de sa rare intensité en fonction de l’espoir et du désespoir de Galilée de parvenir à diffuser et à faire reconnaître la nouvelle conception du système solaire. Lorsqu’il présente, à Venise, la nouvelle lunette améliorée qui permet d’observer tant les turpitudes des voisins que les mouvements cachés des planètes, les portes coulissantes installées sur le plateau s’ouvrent sur la projection lumineuse de la mer agitée. Est-il possible de voir dans cet arrière-fond contrastif la promesse d’un bouleversement épistémologique relatif aux découvertes de Galilée, même relégué à une époque postérieure ? Cette lueur d’espoir est cependant, pour le moment, de courte durée parce que les prélats et le doge de la République de Venise refusent de regarder par la lunette pour ne pas mettre en danger les dogmes d’Aristote et de l’Église qu’ils défendent becs et ongles. La vérité scientifique se trouve ainsi happée par ceux qui disposent du pouvoir de la tenir secrète comme le suggère peut-être l’image que l’on peut distinguer sur les portes rouillées : celle des buissons piquants dont s’échappent quelques petits oiseaux, entravant l’envol des grands, celui de Galilée qui ne parviendra pas à s’émanciper des bras mortifères de l’Église. C’est ainsi que s’impose à l’esprit du spectateur la croix chrétienne, fortement illuminée, placée en haut de la scène, lorsque les hommes les plus influents resserrent les rênes pour tenir la vérité cachée sous le verrou du Vatican.

      Même si la mise en scène bien ancrée dans la recherche d’un pittoresque historique ne le suggère pas, le cas de Galilée résonne avec d’autres époques et d’autres savants similaires. Le théâtre de Brecht aspire à montrer plus qu’une simple restitution de l’histoire, il interroge l’humanité dans toute son épaisseur spatio-temporelle. La Vie de Galilée montée par Claudia Stavisky aux Célestins n’est pas une création originale qui marque les pratiques théâtrales et qui exploite jusqu’au bout les possibles et les dessous d’un texte extrêmement riche. Elle en propose néanmoins une lecture convenable avec les comédiens convaincants dans leurs rôles qui, pendant presque trois heures, font ressentir aux spectateurs le vertige d’un ébranlement existentiel.

Bande-annonce de La Vie de Galilée par Claudia Stavisky, Théâtre des Célestins de Lyon.