Le Théâtre Montparnasse a mis à l’affiche une seconde pièce qui porte, lors de cette saison théâtrale, sur le célèbre aviateur et écrivain : après Le Mystère de l’aviateur d’Arthur Jugnot et Flavie Péan jouée au théâtre Le Splendid (>), Saint-Ex à New-York de Jean-Claude Idée est donnée, dans une mise en scène de l’auteur, au Petit-Montparnasse (>) avec autant de succès.
Si les deux pièces mettent en scène le même personnage historique, elles ne sont pas construites de la même manière ni ne racontent la même histoire. L’action du Mystère de l’aviateur
embrasse l’ensemble de la vie de Saint-Exupéry par le truchement d’une situation de mise en abîme : c’est une histoire familiale qui en déclenche le récit, transformé rapidement en maints tableaux dramatiques entremêlés aux scènes de cette histoire cadre. Celle-ci poursuit un triple objectif : éclairer le mystère sur la passion d’un ancien soldat collaborateur pour Saint-Exupéry, inspirer et transmettre cette passion à un fils qui en veut à mort à son père, mais aussi résoudre le conflit entre eux. Le palpitant « récit » de vie de l’aviateur qui se déroule comme une chasse au trésor séduit de plus en plus le fils, de telle sorte que l’action débouche non seulement sur la réconciliation, mais aussi sur la révélation de plusieurs versions tant soit peu crédibles de la mort de Saint-Exupéry disparu en plein vol au large des côtes de Marseille. Le Mystère de l’aviateur joue donc subtilement sur une tension vibrante entre l’histoire prosaïque d’une famille et la carrière romanesque de Saint-Exupéry. Comme l’annonce le titre, l’action de Saint-Ex à New-York est en revanche centrée sur le seul séjour aux Etats-Unis au tournant des années 1942 et 1943, lorsque « Saint-Ex » s’y retrouve en exil avec sa femme Consuelo et lorsqu’il rédige Le Petit Prince. Cette seconde pièce dont les enjeux esthétiques sont alors différents de la première paraît d’autant plus intime qu’elle dépasse le côté séduisant et sensationnel et qu’elle cherche à saisir la pensée de Saint-Exupéry à un moment charnière de sa vie mouvementée.
Avec Saint-Ex à New-York, l’auteur et le metteur en scène Jean-Claude Idée a réussi à concevoir une pièce remarquable tant par les aspects matériels de son déroulement scénique qu’à travers une intrigue extrêmement riche et étonnamment équilibrée. Celle-ci est resserrée certes autour de la figure centrale de Saint-Exupéry qui fédère tous les fils conducteurs, mais elle ne fait intervenir que trois personnages, tous emblématiques de son séjour à New-York, pour amener une tonalité intime propre à l’ambiance d’un cercle restreint de quelques amis : sa femme Consuelo et sa maîtresse Sylvia Hamilton, d’une part, et le philosophe Denis de Rougemont, d’autre part. Le choix de ces trois personnages favorise le développement de trois volets parallèles qui s’enchevêtrent finement dans une action unique pour déboucher naturellement sur le départ bouleversant de Saint-Exupéry pour le front africain : les amours croisées, la rédaction du Petit Prince et les débats philosophico-politiques. Chacun des trois volets contribue à dépeindre la personnalité complexe de Saint-Exupéry en proie à des passions qui le conduisent à faire des choix difficiles, parfois maladroits, paradoxaux ou même contradictoires. Les débats menés essentiellement avec Denis de Rougemont dévoilent, sur le plan des idées, un personnage préoccupé de l’avenir de l’humanité après la Guerre et en quête d’une pensée humaniste à valeur universelle, explicitée dans ses ouvrages, à commencer par Le Petit Prince amplement discuté au cours de l’action. Saint-Exupéry apparaît ainsi moins comme un héros idéalisé et canonisé par l’histoire littéraire, que comme un être humain confronté à une situation historique trouble et ce, avec des travers et obstinations qui en font toute la richesse.

© Fabienne Rappeneau
Sur le plan scénographique, Jean-Claude Idée mise sur une simplicité pittoresque qui fait alterner des situations prosaïques et des moments poétiques soutenus par des discours empreints de grandes émotions. Plusieurs tables et chaises de jardin dont la disposition change au cours de la représentation en fonction des tableaux sont installés sur scène, y compris une desserte munie de boissons ou une table avec un échiquier. Les projections sur le grand écran du fond situent l’action à l’extérieur de la villa où habitaient Saint-Exupéry et Consuelo, à Bevin House dans le nord de Long Island près de New York. Des paysages en forme de dessins colorés de style plat confèrent à chaque tableau une tonalité différente suivant les saisons et les moments de journée évoqués.
L’action s’ouvre sur la vue dans le jardin de la villa de Bevin House un jour d’été 1942 pour s’achever un jour de printemps 1943 : la succession de tableaux de plus en plus courts introduit une temporalité historique comme un rythme qui va crescendo. Chaque tableau plus ou moins long referme en outre un de ces moments poétiques mis en exergue par un changement instantané de paysage, mais aussi par une luminosité tamisée et une musique de jazz. Si l’un d’entre eux, fondé sur la projection d’un ciel nocturne étoilé, fait un retour en arrière pour évoquer la rencontre de Saint-Exupéry avec Consuelo, un autre nous plonge, sur fond d’un paysage marin teinté de couleurs grises, dans son rêve personnel d’écrire un grand livre, puis un autre nous met au cœur d’une lecture déchirante de la scène de la rose tirée du Petit Prince et qui se confonde avec l’histoire du couple marquée tant par un amour passionné que par des infidélités mutuelles. Ces moments poétiques fonctionnent comme le zoom pour transporter le spectateur dans l’intimité profonde de Saint-Exupéry sans verser dans l’excès. La scénographie pittoresque met ainsi en place un parcours équilibré en harmonie avec la teneur romanesque du texte.

© Fabienne Rappeneau
Chaque comédien individualise son personnage grâce à quelques traits saillants pour en proposer des types humains qui dépassent l’histoire personnelle de Saint-Exupéry. Ceux qui se démarquent le plus sont les personnages de femmes : Consuelo et Sylvia Hamilton. Alexandra Ansidéï, dans le rôle de la première, crée un personnage animé par des sauts d’humeur qui expriment avec authenticité toute la passion ressentie par Consuelo pour Saint-Exupéry. Elle se distingue par un accent très prononcé, mais aussi par des postures féminines quelque peu stéréotypées comme elle s’y laisse aller lors de ces scènes de dispute au sujet du Petit Prince dont elle réclame la paternité avec une véhémence émouvante. Roxane Bennett confère à Sylvia le charme énigmatique d’une américaine élégante : ses propos qui mélangent l’anglais et le français et son accent également prononcé représentent d’autant plus le pendant pittoresque de Consuelo que Sylvia ne comprend souvent pas ce que dit Saint-Exupéry et que sa posture est marquée par une parfaite maîtrise de soi et ce, à ces moments éprouvants mêmes quand la femme sollicite la maîtresse pour l’aider à retenir le mari volage à New-York. Mais sa compréhension en demi-teinte est aussi à l’origine de cette magnifique scène pendant laquelle Sylvia dit à l’aviateur d’aller « vers son étoile ». Gaël Giraudeau et Adrien Melin, respectivement dans les rôles de Saint-Exupéry et de Denis de Rougemont, créent des personnages d’hommes pénétrants et lucides : si le premier s’impose malgré tout par une prestance quelque peu rêveuse en accord avec son personnage déterminé à aller jusqu’au bout de ses convictions, le second se montre comme un partenaire fidèle et conciliant, sans conflit, toujours à l’écoute, pour discuter avec Saint-Ex de manière posée.
Saint-Ex à New-York de Jean-Claude Idée est donc une création ciselée avec un grand sentiment dramatique tant pour une conception minutieuse de l’intrigue que pour son passage élégant et harmonieux à la scène. Cette création enchante le spectateur par la grâce et l’émotion mêlées avec délicatesse pour le plonger dans la vie fabuleuse de Saint-Exupéry.

vacuité épique par une figuration matérielle foisonnante. Le parti pris scénographique de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne en diffère en ce qu’ils proposent une « simple » mise en lecture du texte sans créer de décors spécifiques. Ils n’en ont pas besoin dans la mesure où l’aspect matériel de la salle du théâtre des Bouffes du Nord est signifiant en lui-même par son état volontairement délabré, conçu au départ de la sorte pour mettre à mal l’illusion théâtrale de la salle à l’italienne. L’effet tiré d’un tel dépouillement n’en est que plus saisissant pour Oh Les Beaux Jours ! : une table installée sur le devant de la scène circulaire, entourée de quelques boîtes en carton ou en bois, recouverte d’une nappe orange, apparaît comme un radeau perdu dans un entre-deux angoissant, celui de deux êtres restés aux portes de l’existence. Les hauts murs fissurés et le fond carré de l’espace scénique sans décors confèrent à cette installation minimaliste une étonnante profondeur spatiale qui prolonge l’impression de vide grâce à leur nudité détonante et qui produit par-là un terrible effet de vertige métaphysique.
À l’entrée des spectateurs dans la salle, les comédiens sont déjà installés sur le plateau dans un cadre singulier qui annonce d’emblée une aventure théâtrale non conventionnelle. Un comédien est assis sur un tabouret situé sur le devant de la scène côté cour. Un autre est couché au milieu, la face tournée au public, les mains pliées sous la tête. On remarque enfin trois comédiens debout, au fond, derrière une table en bois flanquée d’une étagère. Les deux meubles sont munis d’instruments divers et variés en évoquant un fourre-tout habituellement placé dans un grenier ou une cave. Le comédien couché au milieu de la scène est par ailleurs le seul à porter des habits qui le différencient des autres (un pantalon crème et une chemise bleu clair) : on se dit alors que ce sera bien lui Frantz. Les autres, hommes ou femmes, sont vêtus de mêmes chemises rouges et de mêmes pantalons noirs maintenus par des bretelles noires, un seul d’entre eux ayant mis par-dessus une veste orange en toile. Cette uniformité vestimentaire produit un curieux effet de distance, tandis qu’elle concentre l’attention sur celui qu’on prend pour Frantz. La scénographie ainsi soumise au regard voyeuriste des spectateurs entrant dans la salle a de quoi brouiller leurs repères du théâtre parlé. Elle les prépare en quelque sorte à une plongée originale dans un univers déjanté constitué de plusieurs types de langages ou de réseaux de signes. Le travail de déchiffrage et d’interprétation commence cependant dès ce moment-là dans la mesure où l’on s’interroge avec perplexité sur la signification de l’aménagement scénique et des choix vestimentaires.

Claude Cohen se saisit ainsi de la première transplantation du cœur précisément pour instaurer un débat quasi métaphysique sur un rapport social entre la médecine et la foi si ce n’est celui sur la primauté de l’une sur l’autre. Il s’y attèle selon un procédé devenu traditionnel en inventant une action dramatique à partir d’un fait divers ou d’un événement historique : il s’appuie en l’occurrence sur une relation conflictuelle entre un fils médecin et un père pasteur. Si l’action est bien documentée, la soirée d’un grand orage pendant laquelle les deux personnages confrontent leur vision du monde reste fictive. Il importe peu qu’ils se soient dit ou non ce qu’elle représente : c’est leur confrontation à valeur universelle qui compte pour nous dans la mesure où elle nous renvoie aux questions éthiques de notre présent historique traversé par de nouveaux progrès scientifiques dont l’application peut s’avérer problématique.

séducteur Algernon Moncrieff connu dans la haute société londonienne pour ses aventures galantes et pour sa propension à l’oisiveté, mais aussi à travers celui de Jack Worthing qui s’est créé une double identité pour préserver sa réputation quand il a envie de sortir à Londres pour se délasser de la campagne où il vit avec sa pupille. L’intrigue renferme en outre une scène de reconnaissance on ne peut plus romanesque dans la mesure où l’action conduit in extremis à la révélation de la naissance de Jack Worthing considéré comme un orphelin parce qu’autrefois trouvé dans un sac de voyage à la gare Victoria : sa reconnaissance comme le fils égaré de la sœur de Lady Bracknell et par-là comme le frère aîné d’Algernon permet en effet de dénouer l’action avec une double promesse de mariage. Cette action est dans le même temps soutenue par l’aspiration des deux jeunes hommes devenus amis à se marier selon le choix de leur cœur, alors qu’ils rencontrent un fâcheux obstacle dans les convictions nobiliaires de Lady Bracknell farouchement attachée à préserver la pureté de son rang social. Mais l’intérêt de la pièce d’Oscar Wild ne repose pas entièrement sur la disposition de cette intrigue érotico-galante qui brasse avec virtuosité plusieurs traditions comiques : son ingéniosité tient précisément à l’imprégnation de l’action dramatique par une forme d’humour mordant, prétendument « british », qui paraît totalement désinvolte et qui ne manque pas de tourner copieusement en ridicule tous les clichés de la société anglaise. C’est sans doute dans la manipulation et le dosage de cet humour mordant que réside la réussite d’une mise en scène de L’Importance d’être constant : une pièce trop bien faite, tant au niveau de l’inventio et du dispositio que sur le plan de l’elocutio, n’attend de fait pour être jouée que la mise en place d’un rythme entraînant soutenu par l’habileté d’un jeu comique. C’est exactement ce qu’a réussi à trouver Arnaud Denis entouré d’excellents comédiens qu’il dirige avec une justesse extraordinaire.