Olympe de Gouges, plus vivante que jamais est une création originale de Joëlle Fossier-Auguste, mise en scène en 2021 par Pascal Vitiello qui a également signé celle du Rêve de Mercier donnée avec succès l’année dernière au Théâtre de la Contrescarpe. C’est un captivant seul-en-scène qui retrace avec saveur le destin quasi romanesque d’une étonnante figure historique connue essentiellement pour sa Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne (>).
La création d’Olympe de Gouges, plus vivante que jamais s’inscrit dans la lignée de ces spectacles très appréciés qui redonnent vie à un personnage historique autre que les rois et les reines de la tragédie classique et du drame romantique. De condition bourgeoise, probablement fille naturelle de Lefranc de Pompignan, femme de Lettres réputée pour ses aventures amoureuses, Marie Gouze (1748-1793) nous intéresse aujourd’hui non seulement par sa mort tragique sous la guillotine et par ses écrits dans lesquels elle défend audacieusement la cause des femmes, mais aussi comme un témoin hors du commun des événements les plus violents qui ont marqué l’histoire de France. Décriée et moquée à son époque pour s’être émancipée de la condition de femme bourgeoise, méprisée par les Révolutionnaires pour avoir eu le culot de se mettre au même rang que les hommes, elle fait partie de ces femmes fortes dont l’image a été revalorisée et qui vont jusqu’à susciter notre admiration. Joëlle Fossier-Auguste s’empare de cette figure controversée avec une grande humanité en évitant adroitement tout écueil de son instrumentation.
Le spectacle se présente, non sans une certaine ambiguïté délicate, comme un palpitant récit de vie de l’héroïne incarcérée à la Conciergerie, récit de vie fictivement déployé entre plusieurs interlocuteurs qui se confondent in fine avec les spectateurs. Ceux-ci retrouvent le personnage au moment où elle est littéralement jetée en prison et où elle fait connaissance avec le gardien censé la surveiller jour et nuit, ce qui l’amène peu à peu à lui raconter son enfance, son mariage forcé, ses amours et ses combats. Ce choix d’écriture favorise le déploiement d’une double temporalité, le temps de l’incarcération et celui des récits situés à des époques antérieures. Il en surgit une tension dialectique d’autant plus vibrante que ces récits s’apparentent à des scènes dialoguées, que ce soit avec le gardien ou avec ceux qu’Olympe de Gouges évoque à tour de rôle en se racontant. Ainsi Joëlle Fossier-Auguste réussit-elle aussi bien à refonder un simple récit épique dans une écriture dramatique particulièrement dynamique destinée à être portée sur scène par une seule comédienne, qu’à donner plus de poids, grâce à cette remarquable polyphonie, à la parole du personnage, même si celui-ci assume toutes les voix.
La scénographie nous introduit bel et bien dans la cèle d’Olympe de Gouges, symboliquement représentée par un paravent clair et une table d’écriture assortie d’une chaise, où l’héroïne écrira sa dernière lettre bouleversante curieusement adressée à un inconnu. La robe à rayures style directoire, portée par la comédienne, nous situe quant à elle dans la triste décennie révolutionnaire. C’est dans la simplicité de ce décor sobre constitué avec perspicacité que se rejouent les derniers jours d’Olympe de Gouges incarnée par Céline Monsarrat avec une vivacité entraînante qui contraste avec la condition d’une prisonnière amplement consciente de sa fin prochaine. C’est dans l’intimité de ce décor sobre qu’Olympe de Gouges, autrice de nombreuses pièces de théâtre à scandale dont certaines fustigent l’esclavagisme, semble composer ces scènes dialoguées à travers lesquelles elle se raconte jusqu’à son étonnante comparution devant le Tribunal révolutionnaire et a fortiori jusqu’à l’enclenchement du couperet, deux moments significatifs soulignés par de saisissants choix de mise en scène quant aux dessins créés avec des lumières et projetés sur le fond de la scène, pour le premier, et quant à un éclairage et un fond sonore singuliers pour l’exécution de la peine capitale.
Céline Monsarrat crée une Olympe de Gouges savoureuse, pleine d’énergie et forte de ses convictions politiques. La mise en œuvre de la double temporalité, ce va-et-vient incessant entre l’emprisonnement du personnage et le récit de sa vie romanesque, amène la comédienne à l’incarner avec ce curieux entrain mêlé d’humour, de traits d’esprit et de détermination d’Olympe de Gouges à poursuivre son combat pour les causes défendues jusqu’au dernier souffle. L’héroïne ne semble ainsi jamais s’apitoyer gratuitement sur son destin, dont elle se sert au contraire pour dénoncer les injustices sociales et les incohérences des régimes (monarchique et révolutionnaire). Sans aucune place pour l’amertume ou pour un attendrissement excessif, la création d’Olympe de Gouges par Céline Monsarrat nous livre dès lors une héroïne historique « plus vivante que jamais », telle en effet qu’elle aurait pu apparaître au cours de sa vie débordant de rencontres, d’aventures et de polémiques.
Olympes de Gouges, plus vivante que jamais, programmée en ce début de saison au Théâtre Lucernaire, est une création pleinement réussie qui donne ses lettres de noblesse à une héroïne controversée, création qui nous fait redécouvrir avec intérêt sa vie romanesque comme les polémiques modernes qu’elle a eu l’audace de provoquer à son époque.