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Petit-Montparnasse : Saint-Ex à New-York

     Le Théâtre Montparnasse a mis à l’affiche une seconde pièce qui porte, lors de cette saison théâtrale, sur le célèbre aviateur et écrivain : après Le Mystère de l’aviateur d’Arthur Jugnot et Flavie Péan jouée au théâtre Le Splendid (>), Saint-Ex à New-York de Jean-Claude Idée est donnée, dans une mise en scène de l’auteur, au Petit-Montparnasse (>) avec autant de succès.

      Si les deux pièces mettent en scène le même personnage historique, elles ne sont pas construites de la même manière ni ne racontent la même histoire. L’action du Mystère de l’aviateur embrasse l’ensemble de la vie de Saint-Exupéry par le truchement d’une situation de mise en abîme : c’est une histoire familiale qui en déclenche le récit, transformé rapidement en maints tableaux dramatiques entremêlés aux scènes de cette histoire cadre. Celle-ci poursuit un triple objectif : éclairer le mystère sur la passion d’un ancien soldat collaborateur pour Saint-Exupéry, inspirer et transmettre cette passion à un fils qui en veut à mort à son père, mais aussi résoudre le conflit entre eux. Le palpitant « récit » de vie de l’aviateur qui se déroule comme une chasse au trésor séduit de plus en plus le fils, de telle sorte que l’action débouche non seulement sur la réconciliation, mais aussi sur la révélation de plusieurs versions tant soit peu crédibles de la mort de Saint-Exupéry disparu en plein vol au large des côtes de Marseille. Le Mystère de l’aviateur joue donc subtilement sur une tension vibrante entre l’histoire prosaïque d’une famille et la carrière romanesque de Saint-Exupéry. Comme l’annonce le titre, l’action de Saint-Ex à New-York est en revanche centrée sur le seul séjour aux Etats-Unis au tournant des années 1942 et 1943, lorsque « Saint-Ex » s’y retrouve en exil avec sa femme Consuelo et lorsqu’il rédige Le Petit Prince. Cette seconde pièce dont les enjeux esthétiques sont alors différents de la première paraît d’autant plus intime qu’elle dépasse le côté séduisant et sensationnel et qu’elle cherche à saisir la pensée de Saint-Exupéry à un moment charnière de sa vie mouvementée.

     Avec Saint-Ex à New-York, l’auteur et le metteur en scène Jean-Claude Idée a réussi à concevoir une pièce remarquable tant par les aspects matériels de son déroulement scénique qu’à travers une intrigue extrêmement riche et étonnamment équilibrée. Celle-ci est resserrée certes autour de la figure centrale de Saint-Exupéry qui fédère tous les fils conducteurs, mais elle ne fait intervenir que trois personnages, tous emblématiques de son séjour à New-York, pour amener une tonalité intime propre à l’ambiance d’un cercle restreint de quelques amis : sa femme Consuelo et sa maîtresse Sylvia Hamilton, d’une part, et le philosophe Denis de Rougemont, d’autre part. Le choix de ces trois personnages favorise le développement de trois volets parallèles qui s’enchevêtrent finement dans une action unique pour déboucher naturellement sur le départ bouleversant de Saint-Exupéry pour le front africain : les amours croisées, la rédaction du Petit Prince et les débats philosophico-politiques. Chacun des trois volets contribue à dépeindre la personnalité complexe de Saint-Exupéry en proie à des passions qui le conduisent à faire des choix difficiles, parfois maladroits, paradoxaux ou même contradictoires. Les débats menés essentiellement avec Denis de Rougemont dévoilent, sur le plan des idées, un personnage préoccupé de l’avenir de l’humanité après la Guerre et en quête d’une pensée humaniste à valeur universelle, explicitée dans ses ouvrages, à commencer par Le Petit Prince amplement discuté au cours de l’action. Saint-Exupéry apparaît ainsi moins comme un héros idéalisé et canonisé par l’histoire littéraire, que comme un être humain confronté à une situation historique trouble et ce, avec des travers et obstinations qui en font toute la richesse.

Saint-Ex à New-York, mise en scène de Jean-Claude Idée, Théâtre Montparnasse
© Fabienne Rappeneau

      Sur le plan scénographique, Jean-Claude Idée mise sur une simplicité pittoresque qui fait alterner des situations prosaïques et des moments poétiques soutenus par des discours empreints de grandes émotions. Plusieurs tables et chaises de jardin dont la disposition change au cours de la représentation en fonction des tableaux sont installés sur scène, y compris une desserte munie de boissons ou une table avec un échiquier. Les projections sur le grand écran du fond situent l’action à l’extérieur de la villa où habitaient Saint-Exupéry et Consuelo, à Bevin House dans le nord de Long Island près de New York. Des paysages en forme de dessins colorés de style plat confèrent à chaque tableau une tonalité différente suivant les saisons et les moments de journée évoqués.

      L’action s’ouvre sur la vue dans le jardin de la villa de Bevin House un jour d’été 1942 pour s’achever un jour de printemps 1943 : la succession de tableaux de plus en plus courts introduit une temporalité historique comme un rythme qui va crescendo. Chaque tableau plus ou moins long referme en outre un de ces moments poétiques mis en exergue par un changement instantané de paysage, mais aussi par une luminosité tamisée et une musique de jazz. Si l’un d’entre eux, fondé sur la projection d’un ciel nocturne étoilé, fait un retour en arrière pour évoquer la rencontre de Saint-Exupéry avec Consuelo, un autre nous plonge, sur fond d’un paysage marin teinté de couleurs grises, dans son rêve personnel d’écrire un grand livre, puis un autre nous met au cœur d’une lecture déchirante de la scène de la rose tirée du Petit Prince et qui se confonde avec l’histoire du couple marquée tant par un amour passionné que par des infidélités mutuelles. Ces moments poétiques fonctionnent comme le zoom pour transporter le spectateur dans l’intimité profonde de Saint-Exupéry sans verser dans l’excès. La scénographie pittoresque met ainsi en place un parcours équilibré en harmonie avec la teneur romanesque du texte.

Saint-Ex à New-York, mise en scène de Jean-Claude Idée, Théâtre Montparnasse
© Fabienne Rappeneau

      Chaque comédien individualise son personnage grâce à quelques traits saillants pour en proposer des types humains qui dépassent l’histoire personnelle de Saint-Exupéry. Ceux qui se démarquent le plus sont les personnages de femmes : Consuelo et Sylvia Hamilton. Alexandra Ansidéï, dans le rôle de la première, crée un personnage animé par des sauts d’humeur qui expriment avec authenticité toute la passion ressentie par Consuelo pour Saint-Exupéry. Elle se distingue par un accent très prononcé, mais aussi par des postures féminines quelque peu stéréotypées comme elle s’y laisse aller lors de ces scènes de dispute au sujet du Petit Prince dont elle réclame la paternité avec une véhémence émouvante. Roxane Bennett confère à Sylvia le charme énigmatique d’une américaine élégante : ses propos qui mélangent l’anglais et le français et son accent également prononcé représentent d’autant plus le pendant pittoresque de Consuelo que Sylvia ne comprend souvent pas ce que dit Saint-Exupéry et que sa posture est marquée par une parfaite maîtrise de soi et ce, à ces moments éprouvants mêmes quand la femme sollicite la maîtresse pour l’aider à retenir le mari volage à New-York. Mais sa compréhension en demi-teinte est aussi à l’origine de cette magnifique scène pendant laquelle Sylvia dit à l’aviateur d’aller « vers son étoile ». Gaël Giraudeau et Adrien Melin, respectivement dans les rôles de Saint-Exupéry et de Denis de Rougemont, créent des personnages d’hommes pénétrants et lucides : si le premier s’impose malgré tout par une prestance quelque peu rêveuse en accord avec son personnage déterminé à aller jusqu’au bout de ses convictions, le second se montre comme un partenaire fidèle et conciliant, sans conflit, toujours à l’écoute, pour discuter avec Saint-Ex de manière posée.

      Saint-Ex à New-York de Jean-Claude Idée est donc une création ciselée avec un grand sentiment dramatique tant pour une conception minutieuse de l’intrigue que pour son passage élégant et harmonieux à la scène. Cette création enchante le spectateur par la grâce et l’émotion mêlées avec délicatesse pour le plonger dans la vie fabuleuse de Saint-Exupéry.

Saint-Ex à New-York, texte et mise en scène par Jean-Claude Idée, Théâtre Montparnasse, 2021.

Théâtre Les Déchargeurs : Frantz

      Frantz est la première création de cinq jeunes comédiens réunis par Marc Granier autour d’un texte fragmenté conçu par le metteur en scène lui-même. Frantz n’est cependant pas une simple pièce bien faite portée sur scène, c’est au contraire un spectacle composite qui mêle finement le jeu de mime, le contage, le théâtre parlé et le bruitage. Il est donné, pendant tout le mois d’octobre, au théâtre Les Déchargeurs (>).

Frantz      À l’entrée des spectateurs dans la salle, les comédiens sont déjà installés sur le plateau dans un cadre singulier qui annonce d’emblée une aventure théâtrale non conventionnelle. Un comédien est assis sur un tabouret situé sur le devant de la scène côté cour. Un autre est couché au milieu, la face tournée au public, les mains pliées sous la tête. On remarque enfin trois comédiens debout, au fond, derrière une table en bois flanquée d’une étagère. Les deux meubles sont munis d’instruments divers et variés en évoquant un fourre-tout habituellement placé dans un grenier ou une cave. Le comédien couché au milieu de la scène est par ailleurs le seul à porter des habits qui le différencient des autres (un pantalon crème et une chemise bleu clair) : on se dit alors que ce sera bien lui Frantz. Les autres, hommes ou femmes, sont vêtus de mêmes chemises rouges et de mêmes pantalons noirs maintenus par des bretelles noires, un seul d’entre eux ayant mis par-dessus une veste orange en toile. Cette uniformité vestimentaire produit un curieux effet de distance, tandis qu’elle concentre l’attention sur celui qu’on prend pour Frantz. La scénographie ainsi soumise au regard voyeuriste des spectateurs entrant dans la salle a de quoi brouiller leurs repères du théâtre parlé. Elle les prépare en quelque sorte à une plongée originale dans un univers déjanté constitué de plusieurs types de langages ou de réseaux de signes. Le travail de déchiffrage et d’interprétation commence cependant dès ce moment-là dans la mesure où l’on s’interroge avec perplexité sur la signification de l’aménagement scénique et des choix vestimentaires.

   Si l’action scénique rassemble dans un spectacle unique le contage, le jeu de mime et le bruitage, mais aussi quelques rares passages de théâtre parlé, l’essentiel repose sur le fonctionnement synchronique des trois premiers éléments. Aussi le conteur qui occupe une position exposée sur le devant de la scène et qui sert de lien entre la salle et la scène se met-il à conter l’histoire de Frantz, pendant que le comédien qui l’incarne se lève pour mimer les faits évoqués et que les trois comédiens qui assurent les bruitages fabriqués de façon explicitement artificielle créent un fond sonore le plus souvent figuratif. Par exemple, le bruit des vagues qui déferlent les unes sur les autres est créé à l’aide du froissement d’un sac plastique, les cris de mouette sont le fruit d’une manipulation déformée de voix humaine. C’est de cette manière surprenante que se met en place une formidable aventure scénique qui sollicite tout au long de la représentation l’imagination des spectateurs amenés à construire eux-mêmes l’histoire de Frantz. Si le conteur représente une sorte de Charon, nocher des Enfers, suspendu entre la réalité matérielle de la salle et la fiction fantasmatique de la scène pour fournir des repères factuels à la compréhension de cette histoire, son rôle n’est pas de tout dire ni de tout expliquer : il indique par intermittence quelques dates et quelques faits essentiels de la vie de Frantz pour la laisser le plus souvent évoluer au rythme et aux sons suggestifs donnés par les trois bruiteurs.

      Quand le conteur cesse de conter ou de commenter, le spectacle ne tient plus qu’au jeu de mime et au bruitage en s’autonomisant par moments sur la scène qui se referme sur elle-même. C’est à ces moments-là plus ou moins importants que l’action scénique fait volontairement surgir des zones d’ombre dans l’histoire de Frantz tout en laissant les spectateurs interpréter des passages ainsi figurés. La dimension épique de cette histoire se voit donc régulièrement concurrencée et déconstruite par un jeu scénique accompagné de bruitages, comme si une tension instaurée entre le verbe qui revient et le mouvement qui se poursuit voulait dénoncer les défaillances du langage parlé, considéré comme inapte à saisir une vie humaine dans sa globalité. Le jeu de mime et les bruitages constituent en l’occurrence un nouveau mode d’expression composé de deux réseaux sémiotiques complémentaires, à ceci près que les sons produits à l’aide de simples outils ne correspondent pas aux réalités matérielles qu’ils suggèrent, et que le jeu de mime même est composé de gestes conventionnels tirés de la vie de tous jours. Le spectacle ainsi constitué dévoile sa propre artificialité fondamentale tout en s’imposant à l’attention des spectateurs dans sa nudité la plus pure.

      Ce qu’il en reste en fin de compte n’est que cette recherche épistémologique animée par la volonté de trouver un langage expressif susceptible de suggérer plus que d’asserter des vérités invérifiables, dès lors qu’il s’agit de reconstruire les émois d’une conscience troublée par des traumatismes d’enfance entraînés par la mort mystérieuse de la mère de Frantz et le rapport problématique avec son père. La vie banale de Frantz bascule en effet un mardi soir à la suite d’un appel et de ciseaux cassés, deux événements ordinaires présentés de manière dérisoire : c’est paradoxalement à ce moment-là que le « récit » scénique se met à progresser à travers des retours en arrière centrés sur des rencontres troublantes avec le père. Et ce récit ne s’achèvera que que lorsque certains torts ou certains non-dits ne seront en apparence éclaircis.

      Présenté au théâtre Les Déchargeurs, Frantz est une création remarquable qui fourmille d’idées ingénieuses et qui offre aux spectateurs une expérience théâtrale fondée sur la primauté donnée cette fois-ci à d’autres formes d’expression dramatique que la parole. La jeune compagnie dirigée par Marc Granier a réussi à monter un spectacle à la fois fantasmatique et poétique, mais aussi drôle, et ce, à travers des choix esthétiques pleinement signifiants à chaque instant de la représentation.

Frantz, mise en scène par Marc Granier, Théâtre Les Déchargeurs, 2021.

Théâtre Essaïon : Cœur ouvert

      Cœur ouvert est une pièce de théâtre de Claude Cohen mise en scène par Yvon Martin à l’occasion du Festival OFF d’Avignon, reprise en cet automne à Paris au Théâtre Essaïon (>).

      L’action de Cœur ouvert se déroule sur fond d’événement historique marquant dans le domaine de la médecine, celui de la première transplantation du cœur réalisée par Christiaan Barnard en 1967 dans un hôpital du Cap en Afrique du Sud. La recherche et l’expérience ont peu à peu fait accepter cette pratique aux sociétés modernes, ce qui n’allait pas de soi il y a plus de soixante ans tant pour des raisons morales qu’au regard de certaines croyances profondément ancrées dans les consciences. Si de nombreuses découvertes de la médecine ont été assimilées depuis cette époque-là, la question d’éthique ou de foi n’est jamais résolue de façon définitive, d’autant plus qu’aucune science ne peut se prévaloir d’être omnipotente et que chacune doit au contraire accepter  ses limites.

     Claude Cohen se saisit ainsi de la première transplantation du cœur précisément pour instaurer un débat quasi métaphysique sur un rapport social entre la médecine et la foi si ce n’est celui sur la primauté de l’une sur l’autre. Il s’y attèle selon un procédé devenu traditionnel en inventant une action dramatique à partir d’un fait divers ou d’un événement historique : il s’appuie en l’occurrence sur une relation conflictuelle entre un fils médecin et un père pasteur. Si l’action est bien documentée, la soirée d’un grand orage pendant laquelle les deux personnages confrontent leur vision du monde reste fictive. Il importe peu qu’ils se soient dit ou non ce qu’elle représente : c’est leur confrontation à valeur universelle qui compte pour nous dans la mesure où elle nous renvoie aux questions éthiques de notre présent historique traversé par de nouveaux progrès scientifiques dont l’application peut s’avérer problématique.

      Le théâtre a ce formidable pouvoir de soulever les problèmes philosophiques dans des situations concrètes susceptibles de toucher un public plus large que ne le fait un traité rigide écrit dans une langue ampoulée. Si ce n’est pas pour des raisons didactiques comme en rêvaient certains philosophes des Lumières, Cœur ouvert suscite chez les spectateurs des interrogations intimes selon leurs propres expériences et convictions, d’autant plus que la pièce de Claude Cohen et la mise en scène d’Yvon Martin touchent aux questions fondamentales de la foi, de la vie et de la mort. Elles ne font qu’interroger suivant une argumentation propre aux convictions de chacun des deux personnages tout en se gardant de trancher en faveur de l’un ou de l’autre. Le dénouement qui semble concilier le fils et le père reste ainsi ouvert comme le laisse entendre le titre pleinement polysémique : plus que de persuader de la vérité de l’un ou de l’autre, il suggère sans mièvrerie l’idée d’ouverture et de tolérance, ce qui permet aux personnages de retrouver le chemin l’un vers l’autre.

      Le fils médecin intimement convaincu de la toute-puissance de la médecine se voit confronté à la mort de son patient survenue dix-huit jours après la transplantation mais aussi aux croyances de son père pasteur qui remet en cause sa foi imperturbable en la science et qui tente de lui inspirer une certaine humilité s’il n’espère plus le ramener dans le giron de l’Église. Mais la situation est beaucoup plus complexe qu’elle ne paraît au premier abord parce que les échanges parfois houleux révèlent progressivement non seulement les défauts de l’un et de l’autre, mais aussi des torts qui remontent dans leur passé et qui continuent à peser sur leur présent. Les deux personnages sont ainsi façonnés de manière à ce qu’aucun d’eux ne puisse se prévaloir de la pureté de son caractère ou de l’indéfectibilité de ses convictions. Avant d’être métaphysique, leur confrontation est tout d’abord amplement humaine, ce qui affecte le spectateur ainsi curieux de comprendre les fondements de leur pensée. Les deux comédiens qui incarnent le fils (Bruno Paviot) et le père (Marc Brunet) parviennent avec aisance à douer leurs personnages de cette humanité et à stimuler par-là notre curiosité intellectuelle.

      L’action dramatique est située dans le cabinet d’hôpital de Christiaan Barnard, aménagé sans une recherche particulière de vérité historique. On pourrait le prendre pour un cabinet de travail dans la maison du célèbre chirurgien. Ce n’est qu’à la faveur de l’échange entre les deux personnages que le spectateur décrypte toute la symbolique de la scénographie moins limpide qu’elle ne paraît au premier abord. Un bureau en bois massif, installé côté jardin, représente le repère le plus emblématique dans cette scénographie figurée tout comme une sorte de séparation entre le fils médecin renfermé dans son univers et le père pasteur paradoxalement plus souple dans son esprit. C’est en effet le père qui recherche explicitement le chemin vers son fils qui se défend rigidement de toute tentative de retournement spirituel tout en se braquant derrière son bureau. Plusieurs piles de livres en cuir mélangés à d’anciens dossiers médicaux se trouvent placées sur scène, de part et d’autre, pour symboliser sans doute ce poids de la science qui pèse lourdement sur la vie du fils médecin entraîné par un travail acharné au mépris de relations plus humaines. Si deux chaises en cuir placées devant et derrière le bureau et un poste de téléphone à cadran rotatif situent rapidement l’action dans les années 1960, la peau de zèbre étalée au sol fait un clin d’œil à l’aire géographique de son déroulement. Les éléments constitutifs de la scénographie de Cœur ouvert sont ainsi doués d’une valeur métaphorique superposée à leur valeur matérielle transparente au lever du rideau, valeur métaphorique qui se dévoile peu à peu au cours de la représentation en fonction des propos et des gestes des comédiens.

      Bruno Paviot et Marc Brunet créent deux personnages émouvants malgré des crispations intellectuelles ou spirituelles dont ceux-ci sont affectés. Le premier, dans le rôle du fils, paraît tout d’abord fier et sûr de lui face à un père qui se présente à lui avec une certaine humilité (stratégique ?), si bien que le comédien ne manque pas de se laisser aller à des sauts d’humeur et à des réactions colériques pour souligner l’embarras de son personnage troublé déjà par la mort fâcheuse du patient. Ce n’est que progressivement qu’il le fait évoluer sur le plan émotionnel pour rendre le rapprochement avec le père crédible. Le second, dans le rôle de ce même père, incarne son personnage en semant un doute tant dans l’esprit du fils que dans celui du spectateur quant à la « sincérité » de la démarche conciliatrice : le comédien se partage en effet entre le rôle de père et celui de pasteur grâce à une posture volontairement douce, ce qui « énerve » le fils parce qu’il ne sait jamais auxquels des deux il parle. Marc Brunet parvient ainsi à donner à son personnage une profondeur psychologique qui le rend extrêmement complexe et qui met dans le même temps en cause la position (faussement) supérieure du pasteur en raison du message humaniste qu’il semble porter. La conciliation finale, restée fragile pour ne pas décrédibiliser la véracité des sentiments, n’est en fin de compte possible que lorsque les deux personnages arrivent à faire chacun un mea culpa salutaire qu’on laisse le spectateur aller découvrir par lui-même.

      Cœur ouvert de Claude Cohen, joué actuellement au Théâtre Essaïon, est une mise en scène réussie, fondée sur un jeu complexe et adroit de deux comédiens convaincants dans leurs rôles respectifs. Elle soulève, en outre, avec acuité des questions fondamentales sur le rapport à la vie et à la foi, mais aussi celles sur un rapport quasi œdipien entre un fils et un père.

Coeur ouvert, mise en scène par Yvon Martin, 2021.

Théâtre de la Contrescarpe : Les Sœurs Tatin

      La pièce Les Sœurs Tatin, une vie à la Tchekhov, jouée au Théâtre de la Contrescarpe (>), est une nouvelle création de Laetitia Gonzalbes (Compagnie Kabuki >), jeune auteure et metteuse en scène, qui s’empare librement d’un célèbre texte de Tchekhov dans une démarche intertextuelle explicite. Le spectacle ainsi empreint de réminiscences des Trois Sœurs porte sur scène la vie de deux sœurs, hôtelières à Lamotte-Beuvron en Sologne, créatrices de la fameuse tarte à laquelle elles prêtent leur nom.

      Anton Tchekhov ne cesse d’intriguer les auteurs et les metteurs en scène à travers son œuvre dramatique qui renferme, tout en l’annonçant, la dramaturgie moderne développée au cours du XXe siècle. Ce ne sont pas seulement les thèmes abordés qui continuent à nous affecter au plus profond de notre sensibilité humaine, c’est aussi une écriture dramatique novatrice qui leur confère une résonance singulière en rupture avec les techniques de la rhétorique classique. Les Trois Sœurs et La Cerisaie, les deux dernières pièces qu’il a données, comptent de ce point de vue parmi les plus achevées et sans doute aussi parmi les plus jouées. Si la seconde montre, sur un ton de dérision, l’incapacité des hommes à dépasser de vieux acquis sociaux et à se construire dans le présent en accord avec les tendances de l’époque moderne, la première représente plusieurs vies brisées à cause d’un criard manque de volonté à prendre des décisions radicales. Olga, Irina et Macha ne retourneront jamais à Moscou, elles chercheront un réconfort dans le travail pour essayer de sortir de la léthargie existentielle à laquelle elles semblent (s’être) vouées. Comme les trois sœurs de Tchekhov, Stéphanie et Caroline Tatin rêvent, elles aussi, d’une autre vie qu’elles ne mènent à Lamotte-Beuvron : partir et s’installer à Paris, mais aussi rencontrer un grand amour. Les sorts des unes et des autres se croisent dans le même désir d’accéder à une plénitude existentielle comme dans l’impression d’avoir échoué.

      Plusieurs similitudes observées par Laetitia Gonzalbes entre l’histoire des trois sœurs de Tchekhov et celle des deux sœurs Tatin l’ont sans doute amenée à les rapprocher dans une libre réécriture pour rendre certes hommage au dramaturge russe, mais aussi pour souligner la valeur universelle de leur destin. En plus des références explicites au texte source, la pièce de Laetitia Gonzalbes représente une sorte de mise en abîme narrative conçue à la faveur d’un récit rétrospectif : le spectateur retrouve, au lever du rideau, Stéphanie Tatin, en un âge avancé, Les Trois Sœurs à la main dont elle dit d’emblée qu’elle les aime relire parce que la pièce lui rappelle sa propre vie vécue aux côtés de sa sœur Caroline décédée depuis un certain temps. Murée dans une solitude de vieille dame, elle commence alors le récit de leur vie commune à l’hôtel de Lamotte-Beuvron hérité de leurs parents morts de façon prématurée comme ceux des trois sœurs. C’est par le biais de la citation initiale de la pièce de Tchekhov que la jeune auteure instaure sans ambages une situation intertextuelle susceptible de conduire le spectateur à la relecture des Trois Sœurs à l’aune de la destinée bouleversante de Stéphanie et Caroline Tatin, incarnées en l’occurrence par Roxane Le Texier et Anaïs Yazit dans une mise en scène éclectique. L’action ne cesse par la suite de jouer subtilement sur des réminiscences de la pièce de Tchekhov tout en se traçant un nouveau chemin pour faire accéder les deux sœurs à leur propre existence théâtrale.

      L’espace scénique mêle finement plusieurs lieux, à commencer par la chambre où vient s’installer Stéphanie pour évoquer la disparition de sa sœur et sa solitude : elle s’assoit à grand peine, la voix tremblante, dans un grand fauteuil en bois placé sur le devant de la scène côté jardin tout en se demandant pourquoi se souvenir, introduisant ainsi dans l’action un des leitmotivs empruntés aux Trois Sœurs de Tchekhov. C’est à ce moment-là qu’apparaît Caroline comme dans un rêve pour la conduire à faire une plongée dans leur jeunesse commune passée à l’hôtel de Lamotte-Beuvron. La scène semble aménagée de façon à favoriser les processus de remémoration et à représenter par-là ce qui aurait fait l’objet d’un récit de vie. Un grand four en acier est placé côté cour, de manière symbolique, non seulement pour faire un clin d’œil à l’activité professionnelle qui a rendu les deux sœurs célèbres, mais aussi pour situer rapidement l’action dans une époque historique. Cette historicité est dans le même temps soutenue par les costumes : les deux comédiennes portent en effet des robes blanches à volant, serrées par des ceintures larges, rouge pour Stéphanie et jaune pour Caroline. Ces éléments symboliques rappellent d’emblée au spectateur la province française du début du XXe siècle. Mais l’action scénique s’appuie également sur des chansons et des projections qui le transposent littéralement, non sans une certaine nostalgie pittoresque, dans une époque révolue. Les chansons, chantées avec émotion par Roxane Le Texier et Anaïs Yazit et accompagnées par des numéros rondement chorégraphiés, illustrent le sort des deux sœurs tout en introduisant une certaine légèreté pour juguler une mélancolie trop appuyée : Le chagrin d’amour, Le temps des cerises comme les trois autres, elles rythment toutes l’action scénique dans la même perspective de remémoration. À cet égard, quelques projections, tournées à Lamotte-Beuvron même, viennent enrichir le récit de vie des deux sœurs en montrant des scènes clés qui évoquent fortement certains épisodes des Trois sœurs et qui créent par-là une nouvelle forme de citation fondée sur des séquences filmées dans un autre cadre spatio-temporel, qu’il s’agisse du major amoureux venu de Paris (Verchinine), de la ceinture verte (Natacha) ou de l’incendie (acte III). Tout concourt ainsi à saisir le destin de Stéphanie et Caroline Tatin à travers une réécriture originale de Tchekhov portée sur scène dans une mise en scène douée d’une profondeur existentielle, dès lors que les deux sœurs se mettent, non sans une ironie résolument tchekhovienne, à « philosopher » sur la vie dans deux ou trois cents ans ou sur son sens immédiat par rapport à leur vécu.

      Les comédiennes individualisent avec conviction les deux sœurs Tatin conçues par Leatitia Gonzalbes pour son spectacle en leur donnant une profondeur humaine modelée selon leurs modèles littéraires. Si elles sont deux, elles ne ressemblent donc pas, comme c’était déjà le cas des trois sœurs de Tchekhov : l’une est plus rêveuse et plus coquette, tandis que l’autre se laisse plus facilement aller à la mélancolie et à la « philosophie ». Roxane Le Texier donne vie à la première, Stéphanie Tatin, alors qu’Anaïs Yazit prête son corps à la seconde, Caroline Tatin. Les deux jeunes comédiennes, parfaitement synchronisées, se complètent merveilleusement en formant un duo inséparable à l’image des deux sœurs qu’elles incarnent avec aisance. Cette complicité sororale soulignée à maints égards dans les propos des deux personnages est mise en valeur par le jeu complice des deux comédiennes. Celles-ci nous montrent tout au long de la représentation qu’elles savent varier les tons pour évoquer les différents états d’âme de leurs personnages pleins de rêves de jeunesse mais aussi de mélancolie : elles créent ainsi un spectacle équilibré qui ne laisse s’installer de façon durable ni la joie ni le chagrin. Elles nous persuadent que même sans jamais partir pour Paris, les deux sœurs Tatin ont réussi à donner un sens à leur existence retirée au fin de la province grâce à la foi dans le travail que celles-ci semblent considérer comme le meilleur remède contre l’abandon de soi : à les en croire au regard de leur propension à « philosopher », « L’homme doit croire en quelque chose ».

      Laetitia Gonzalbes, en se plongeant dans une relecture des Trois Sœurs de Tchekhov, a donc réussi à concevoir un spectacle extraordinaire, présenté dans l’intimité de la salle exiguë du théâtre de la Contrescarpe : l’effet produit par la complicité sororale que Roxane Le Texier et Anaïs Yazit parviennent à nouer avec les spectateurs pour les intéresser au sort des sœurs Tatin est absolument fabuleux ! Elles servent avec bravoure une vie à la Tchekhov.

Théâtre Rive-Gauche : Le Visiteur

      Le Visiteur est une pièce d’Éric-Emmanuel Schmitt parue en 1993. Elle s’est peu à peu imposée à l’attention des spectateurs pour obtenir un succès grandissant. Elle a été nouvellement montée au Théâtre Rive-Gauche dans une mise en scène de Johanna Boyé (>).

      L’action du Visiteur repose sur une rencontre imaginaire entre Freud et un visiteur qui est en réalité un Dieu incarné et qui est apparu « déguisé » en homme. L’intrigue paraît d’emblée tout aussi séduisante qu’invraisemblable en raison de son Le Visiteur Schmittfondement entièrement irrationnel et de son caractère totalement fictif. Elle s’appuie pourtant sur des faits vrais et avérés, tirés de la vie de Sigmund Freud, en l’occurrence sur ses hésitations réelles à quitter Vienne ainsi que sur les circonstances de son départ effectif survenu peu après l’envahissement de l’Autriche par les nazis. Le dramaturge, comme tant d’autres avant lui, choisit un moment opportun dans la biographie désespérément incomplète de son personnage pour y insérer un volet secret qui semble faire défaut. Pour Freud, il s’agit d’un moment d’autant plus charnière dans sa vie personnelle qu’il risque de perdre sa fille Anna, de compromettre tant sa carrière que sa réputation et de terminer même dans un camp de concentration. Pour Freud, connu pour être juif mais réputé athée, il s’agit précisément de revenir sur les motivations de son départ forcé à la faveur d’un dilemme conçu à la manière de la tragédie classique. Peu importe donc, dans ces conditions, que l’action soit entièrement fictive, pour peu que le cadre spatio-temporel reste suffisamment vraisemblable pour embrasser un débat métaphysique qui représente le véritable enjeu dramatique de la pièce.

      La tragédie classique fonctionnait de la même manière : fondée sur un fait historique, elle développait une action dont on savait qu’elle n’eut jamais lieu telle que mise en œuvre par le dramaturge. Éric-Emmanuel Schmitt reprend ce dispositif dramaturgique à son compte dans une formule assouplie, exempte de toute règle contraignante, même si sa pièce semble paradoxalement « respecter » formellement celle des trois unités. L’action de son Visiteur se déroule en effet la nuit du 22 avril 1938 dans le cabinet de Freud situé au 19 Berggasse à Vienne ; elle est en outre resserrée autour de la figure du célèbre père de la psychanalyse. D’autres détails relevés dans les propos échangés viennent en renfort pour construire la crédibilité de l’intrigue ainsi que pour susciter l’adhésion du spectateur. Éric-Emmanuel Schmitt combine donc des faits historiques et un inventio littéraire dans une perspective dialectique tout en instaurant une tension constante entre la vérité (historique) et la fiction (littéraire) dépassées précisément dans la véracité et la teneur métaphysiques de l’échange qui seul intéresse vraiment le spectateur. Toute mise en scène doit prendre en compte cette perspective qui fait tout le sel du Visiteur et transposer sur scène cette tension qui situe l’action dans l’entre-deux, ce que tente de faire Johanna Boyé grâce à une scénographie de facture classique.

Rive-Gauche_ Le Visiteur
Le Visiteur d’Eric-Emmanuel Schmitt, mise en scène de Johanna Boyé, Théâtre Rive-Gauche, 2021 © Marek Ocenas

      La scène représente le cabinet de Freud aménagé de manière réaliste : ce que voit le spectateur en miniature aurait pu effectivement être la pièce où travaillait le célèbre docteur. L’espace scénique est délimité par des parois vert foncé qui imitent les boiseries anciennes tout en faisant un clin d’œil aux représentations d’une élégance viennoise réputée quelque peu pesante ou ampoulée : une bande d’or souligne en plus sur chacune d’elles des formes rectilignes comme pour insister sur le caractère ordonné du cadre spatio-temporel convoqué. Elles sont en même temps décorées de tableaux ou munies d’enfoncements qui servent d’étagères pour des livres ou des objets de déco. Coté cour se dresse un grand bureau derrière lequel se trouve une chaise à roulettes. Une méridienne en daim vert clair est installée au milieu de la scène, flanquée à son chevet d’un fauteuil curule en bois : c’est là que Freud devait recevoir ses patients, et c’est là aussi que se posera à un moment donné le visiteur pour convaincre son hôte de son origine pour le moins étrange. Deux simples rideaux correspondent enfin à deux entrées dans le cabinet : côté jardin, une porte d’entrée dans l’appartement ; côté cour, une autre qui semble conduire à une pièce adjacente. La scénographie multiplie ainsi des éléments et des détails matériels qui donnent opportunément l’illusion de la réalité. Le spectateur a l’impression qu’elle cherche à asseoir l’action scénique dans un cadre en apparence parfaitement réaliste comme pour compenser le caractère invraisemblable de la rencontre avec Dieu et conférer par-là à l’action dramatique un effet de réel maximal. Elle sert, dans ces conditions, d’un appui rassurant qui aide le spectateur à entrer confortablement dans la fiction théâtrale et à maintenir sa réception, pendant la représentation, dans un délicieux doute quant à la vérité de l’épisode. La scénographie bâtit donc un rapport ambigu à cette vérité que tout tendrait en fin de compte à abolir si Anna n’insistait pas à deux reprises sur la dimension onirique de l’action.

      En effet, Anna, au lever du rideau, avant d’être amenée par le nazi, se demande où l’on va « lorsque l’on dort ? Lorsque tout s’éteint, lorsqu’on ne rêve même pas ? Où est-ce qu’on déambule ? » Elle pose cette triple question non seulement en référence aux travaux scientifiques de son père, mais aussi pour préparer son retour après une nuit passée au poste de police quand elle rentre en le trouvant endormi sur le bureau. Le dénouement laisse dès lors entendre au spectateur que la « visite » nocturne ne serait paradoxalement que de l’ordre du rêve. Tout autorise les comédiens à créer leur personnage comme s’il s’agissait de personnes réelles, même celui du visiteur qui remet en cause les certitudes scientifiques de Freud à travers les faits étonnants qu’il ne laisse pas de lui révéler. Franck Desmedt, dans le rôle de ce visiteur, donne à son personnage l’image d’un individu quelque peu fantasque qui se distingue du commun des hommes par une assurance inébranlable et par une prestance bouleversante : son visiteur ne manque ni de souplesse ni de sens de la repartie ni d’un certain goût de l’humour. Sam Karmann parvient, en revanche, à douer le docteur Freud d’une dimension toute humaine grâce aux hésitations réussies dont il le charge : on décèle dans son jeu la lutte intérieure de son personnage contre l’ébranlement des convictions scientifiques entraîné par l’apparition du « visiteur » qu’il s’efforce de s’expliquer de manière rationnelle. Le déchirement de Freud, tout à fait émouvant grâce à l’interprétation sensible de Sam Karmann, se manifeste en particulier à ce moment crucial où il accuse désespérément Dieu du mal répandu sur Terre tout en essayant de le convaincre de son inexistence. Face à Maxime de Toledo dans le rôle du nazi auquel le comédien imprime une posture quelque peu rigide, Katia Ghaty crée une Anna énergique et ferme, marquée par une prestance à couper le souffle lorsqu’elle apparaît au début et à la fin. Chaque comédien réussit avec aisance à individualiser son personnage pour déjouer avec efficacité le caractère fictif de l’action.

      La mise en scène du Visiteur par Johanna Boyé au Théâtre Rive-Gauche est un spectacle remarquable par la précision avec laquelle celle-ci dirige ses comédiens tout en faisant attention à ménager l’effet de vérité de l’action représentée. Elle parvient ainsi à nous entraîner dans un débat métaphysique sur l’existence du mal et de Dieu, débat qui dépasse largement son ancrage historique à l’époque de la Seconde Guerre mondiale. Elle porte sur scène avec succès cet intérêt profond du Visiteur de Schmitt qui repose sur sa dimension philosophique.

Le Visiteur, mis en scène par Johanna Boyé, Théâtre Rive-Gauche, 2021.