Loomie et les robots est une création de Benjamin Isel, Hadrien Berthaut et Louis Hanoteau, jouée au Théâtre Le Funambule (>) jusqu’au 30 décembre 2021, dans une mise en scène de Benjamin Castaneda de la compagnie Les 7 Fromentins. Elle est certes conçue comme un spectacle pour enfants, mais le sujet peut également interpeller les adultes. On retrouve dans le rôle de Loomie Barbara Lambert face à plusieurs robots qui s’imposent comme des personnages à part entière.
« La raison de notre existence, l’émancipation, notre rapport voire notre addiction à la technologie… De ces thématiques sont nés six robots animatroniques et … Loomie ! Nous invitons nos spectateurs à suivre le parcours initiatique du personnage de Loomie, orpheline surprotégée par “Papa”, une intelligence artificielle programmée pour la préserver des dangers extérieurs. »
Loomie et les robots se présente d’emblée comme une dystopie aux confins d’un récit fantastique, empreinte d’une certaine dimension métaphysique au regard de la situation existentielle de la jeune fille. À la suite d’une catastrophe planétaire, un bébé est en effet déposé dans un bunker qui lui permet de survivre grâce à l’autogestion préprogrammée des locaux pour ce type d’événements : Loomie grandit au milieu des robots réglés non seulement pour assurer ses fonctions vitales (nourriture et suivi médical) et son éducation, mais aussi pour lui tenir compagnie. Elle se trouve alors totalement coupée du monde extérieur, supposé désormais inhabité et dangereux en raison des conditions climatiques. Ses liens sociaux se réduisent aux seules interactions avec les machines qu’elle affectionne comme ses amis en allant jusqu’appeler « papa » la voix du logiciel apparenté à une forme d’intelligence artificielle propre à gérer sans faille le fonctionnement du bunker durant des années. C’est au regard de ces faits initiaux que l’histoire de Loomie plonge rapidement le spectateur, petit comme grand, dans une ambiance inquiétante susceptible de soulever des questions existentielles quant à la survie de l’espèce humaine, mais aussi quant à la place de l’intelligence artificielle au sein de notre société. Si ce n’est pas tant l’addiction aux jeux vidéo qui suscite en l’occurrence une vraie inquiétude, c’est en revanche une possible recréation vitale de liens sociaux avec des machins programmés pour répondre aux besoins des hommes : malgré l’impression que ces machins se montrent d’emblée sensibles à ses caprices tout en continuant à la « chouchouter », on comprend plus loin que tout avait été réglé pour retenir Loomie en sécurité dans le bunker coûte que coûte. Le frémissement existentiel qui intervient au cours de l’action est maintenu jusqu’à l’épreuve finale de Loomie, de telle sorte que tout spectateur peut trouver son compte à cette histoire : alors que le petit s’accrochera davantage à la trame narrative d’un récit d’apprentissage, le grand sera plus sensible aux questions concernant sa place d’homme dans le monde à venir bouleversé par des défis socio-politiques du XXIe siècle.
Loomie ou les robots, © Pedro Lombardi, 2021.
La scène représente une sorte de chambre cave équipée de plusieurs robots manipulés par un technicien caché derrière la paroi de fond. Les trois côtés qui délimitent l’espace de jeu ressemblent aux murs en brique qu’on trouve généralement dans des caves bien entretenues : celui du côté jardin est muni d’une porte blindée impossible à ouvrir. Les robots équipés de haut-parleurs ainsi qu’une sorte de lit en forme de fer à repasser sont ensuite installés le long du mur de fond : un distributeur de plats incrusté dans ce mur même, un distributeur de boissons, un appareil d’analyse médicale et un automate de jeux vidéo. Toutes ces machines sont en même temps quelque peu humanisées : elles disposent de mécanismes qui ressemblent aux yeux, aux bouches ou aux bras et qui leur permettent ainsi de communiquer avec Loomie. Un petit aspirateur jaune aux ampoules en forme d’yeux et qui traverse infatigablement le plateau complète l’équipe visible et matériellement présente, censée veiller au bien-être de la jeune fille. Enfin un boîtier accroché au plafond à l’avant-scène représente symboliquement le logiciel considéré par Loomie comme « papa » : s’il donne l’impression d’être omniprésent et omnipotent, il ne se manifeste qu’à travers une parole articulée, un peu à la manière de Dieu créateur relayé en l’occurrence par une technologie de pointe. Quand la seule comédienne en chair et en os apparaît sur scène, incarnant une adolescente de dix-sept ans, elle pénètre ainsi dans un espace dramatique étrange pour les spectateurs : mais comme l’histoire leur laisse entendre que Loomie y a grandi, celle-ci adhère pleinement à cet univers sans s’inquiéter de son caractère artificiel ni de l’enfermement qu’elle subit. Tout semble, à Loomie, tout à fait normal, comme aux princesses de contes de fées la présence des animaux parlants, à ceci près que l’univers merveilleux traditionnel cède ici la place à un univers hautement technologique avec les mêmes enjeux narratifs d’adjuvants et d’opposants. Une telle configuration ne laisse donc pas de susciter, chez un spectateur bouleversé par le caractère oppressant de l’espace, un certain trouble existentiel dans la mesure où Loomie y est introduite comme un être humain.
PAPA. — Il faut débloquer le mécanisme.
LOOMIE. — Tu veux dire que… ?
PAPA. — Loomie, tu vas devoir sortir. Enfile ton équipement.
LOOMIE. — Maintenant ?
PAPA. — Oui. Il ne nous reste que 20 minutes d’énergie.
LOOMIE. — Mais je ne sais pas me battre, je ne fais pas la différence entre une souris et une fougère… et si ça se trouve, les dinosaures sont de retour sur la planète…
PAPA. — Nous n’avons plus le choix… Déverrouillage de la capsule.
LOOMIE. — Je ne veux pas y aller !
VOIX OFF DU BUNKER. — Ouverture de la porte.
Barbara Lambert, quant à elle, semble à l’aise dans le rôle de Loomie : elle entre dans la peau de son personnage en lui donnant l’image d’une enfant quelque peu gâtée et livrée à ses caprices, sans toutefois basculer dans la caricature. La situation de départ l’oblige même à forcer un peu la tendance de Lommie au chantage ou à la manipulation pour se soustraire aux apprentissages qui l’ennuient et dont l’utilité lui échappe dès lors qu’elle ne peut pas sortir de sa chambre. La difficulté de Barbara Lambert tenait ici à trouver un équilibre pour arriver à intéresser les petits spectateurs, sans rebuter les grands, dans la mesure où Loomie et les robots est a priori une « comédie » destinée à un public enfant à partir de six ans. La comédienne a pourtant su créer un personnage dynamique à travers des acrobaties pleines de souplesse, mais avant tout à travers un indéniable sens de la repartie, d’autant plus qu’elle se trouve seule sur scène face à six robots dirigés à distance. Elle réussit en même temps à faire évoluer l’attitude de son personnage au regard des épreuves qui transforment Loomie en une personne adulte tout en lui permettant de s’émanciper pour reconstruire sa vie sur de nouvelles bases et dans l’espoir de venir en contact avec d’autres humains. On ne peut être qu’admiratif devant la performance de Barbara Lambert compte tenu de la situation dramaturgique inhabituelle qui se présente pour elle comme une véritable épreuve : in fine, à l’instar de Loomie, parvenir à l’emporter sur l’emprise envahissante d’une ’intelligence artificielle quasi toute-puissante.
Malgré les aspects existentiels et dramaturgiques soulevés, Loomie et les robots reste tout à fait accessible aux enfants qui en font sans doute une réception différente : le spectacle n’est pas dépourvu d’une certaine touche d’humour et de références culturelles propres aux jeunes du XXIe siècle. Benjamin Castaneda a ainsi réussi à créer un spectacle susceptible de toucher aussi bien les petits que les grands qui les amènent au théâtre peut-être pour la première fois.